En quelques mots /1

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— Oui, je le ferai, lui offre-t-il comme réponse.

Kia soupire. Elle peut en être certaine : à se battre contre lui, elle est du côté des gentils.

Le garçon ne bronche pas, il semble absent. Perdu dans sa contemplation, bien nostalgique. À des lieux de la jeune fille qui cherche à analyser son comportement. S'il a flairé le piège, pourquoi reste-t-il aussi calme ? s'inquiète-t-elle. Ça n'annonce rien de bon. Elle ne peut s'enlever la désagréable impression d'avoir été manipulée.

Kia ravale sa salive pour continuer. Peu importe ses inquiétudes, elle doit tenir bon :

— Tu vas briser des familles ! lance-t-elle.

— Je les sauverai, plutôt. Ah, mais tu ne comprends toujours pas !

Le ton enjoué qu'il emploie à la fin de sa phrase sonne encore plus faux que d'habitude. La jeune fille se mord la lèvre, sentant bien sa déception. Navinn aurait bien aimé qu'elle le comprenne, réalise-t-elle. Cela ne l'empêche cependant pas de continuer :

— De quoi tu veux les sauver en les tuant ?

Les images des malades lui reviennent à l'esprit. Des images de contaminés et de leurs proches, qui se battent ensemble pour trouver une solution à leur misère. De l'amour par dessus-bord, des sourires, des rires et des larmes. Des familles qui donnent tout, vraiment tout, pour vaincre cette terrible malédiction. Et Navinn veut réduire tout ça à néant ? s'indigne-t-elle. Mais quel imbécile !

— Ce n'est pas en exterminant leurs proches que tu vas les aider ! tonne-t-elle, la voix vibrante de colère. Tu vas tuer des gens, tu vas briser des milliards de foyers ! C'est ça que tu appelles sauver ?

Le garçon ne montre aucun remord. Il garde le regard fixé sur Kia, pourtant concentré sur un paysage qu'il semble être le seul à voir. Quand il reprend la parole, la Briseuse ne saurait plus dire si sa voix enrouée est trop vide ou trop pleine d'émotions pour ne pas trembler :

— Je sauverai ce qu'il reste de l'humanité, dit-il avec un soin tout particulier. Je crois que tu ne peux pas comprendre, Kia. En fait, je ne devrais même pas me prendre la tête avec toi. Tu es trop têtue ! (il rit amèrement). De toute façon, ce que tu penses n'a pas d'importance, tu n'as pas le pouvoir de changer quoi que ce soit. (il serre un poing devant lui, admirant la manière dont la lumière dessine les ombres sur sa peau). Mais moi, je vais te dire ce que je pense vraiment. Vous êtes exaspérants, à être tous aussi naïfs et aveugles. Cette maladie, c'est la pire des choses qu'il puisse vous être tombée dessus, super-héros bien pensant que vous êtes. Elle sème la mort et la souffrance, alors vous vous sentez le besoin de réagir. Et puis quoi encore ? Vous pensez vraiment que vous arriverez à sauver le monde en trouvant un vaccin ? Il ne faut pas rêver ! (il prend une inspiration, ses épaules sont agitées d'un soubresaut qu'il tente de réprimer sans vraiment y parvenir). Moi, j'ai compris... grâce à Elena... que cette infection ne détruit pas seulement les malades : elle détruit aussi ceux qui ne sont pas infectés. Elle tue tous ceux qui se battent contre elle !

Kia retient sa respiration.

— Les uns en souffrent et en meurent, c'est plus rapide pour eux, lâche Navinn d'une voix rauque. Et puis il y a les autres, ceux qui les aiment. Ceux qui se tuent à espérer, à se sacrifier et à finir toujours plus déçus et brisés ! Elena s'est tuée pour me sauver. Elle savait bien qu'il n'y aurait pas de miracle ! Il n'y a pas de bisou magique pour faire disparaître les blessures, il ne faut pas attendre de miracle dans la vraie vie !

Elena, songe Kia avec une boule au cœur. Se serait-elle suicidée ? La jeune fille doit retenir un sanglot.

Le garçon se retourne brusquement vers elle, les traits déformés par un sourire répugnant. Malgré tout, le démon continue à rire, s'horrifie la Briseuse. Le désespoir est l'une de ses plus sûres sources de plaisir.

Navinn ricane, il se moque de la bêtise de ces vieux qui se croient toujours plus intelligents que lui. Eux qui pensent pouvoir sauver le monde parce qu'ils sont les plus forts, qu'ils ont quelques centimètres et quelques années de plus que lui. Il leur donnera une bonne leçon ! Trop petit pour sa combinaison, en cet instant, il semble pourtant plus grand que n'importe qui.

— Il n'y aura pas de remède ! s'exclame-t-il. La magie n'existe pas ! Qu'est-ce que vous attendez encore, avec vos beaux discours et vos promesses ? Quel vaccin peut nous sauver de la fin de la fin du monde ? Réveillez-vous, il n'y en a aucun ! (il se dandine sur ses pieds, serre les poings jusqu'à s'enfoncer les ongles dans la peau). Il n'y a plus que la liberté qu'on puisse encore espérer. Pourtant, vous ne voulez toujours pas le comprendre ! Regarde, je passe pour un méchant rien qu'à vouloir vous l'expliquer. (ses épaules sont prises d'un tremblement). Vous vous entêtez comme des gosses et vous osez encore me traiter de gamin ? À agir comme vous le faites, je peux t'assurer que vous échouerez ! (il reprend son souffle, agité, bien trop concerné qu'un enfant ne devrait l'être par ce genre de problèmes). Ouvre les yeux, Kia : les malades sont déjà morts ! Et nous, on ne peut rien faire pour ce qui est déjà mort ! (il frémit, ricane, sans se rendre compte qu'il est trop petit pour tout garder en lui. Que des sanglots lui prennent peu à peu la poitrine, qu'il ne peut pas les retenir plus longtemps. Que bien qu'il ne puisse plus pleurer, ça ne l'empêche pas de laisser échapper ses émotions). Vous, vous voulez sauver le monde, poursuit-il d'un ton moqueur. Eh bien libre à vous, faites ce que vous voulez ! Mais vous ne vous rendez pas compte qu'en réalité, c'est vous qu'il faut d'abord sauver !

Le garçon se passe une main sur le visage, respire à grands coups. Kia voit que ça lui fait un bien fou d'enfin cracher toute la bile qu'il gardait au fond de lui. Elena, son plan, la mort... il n'en avait jamais parlé à personne, réalise-t-elle. La jeune fille sent son cœur se serrer plus fort dans sa poitrine. Comment pouvait-il le supporter !

— Je suis bien le seul à m'en rendre compte... soupire-t-il enfin. Mais ne t'inquiètes pas, Kia. Même si je dois être le seul à savoir de quoi, je vais vous libérer. Parce que... je suis un gentil dictateur, tu sais ? (Il esquisse un sourire, plus teinté de tristesse que de quoique ce soit d'autre). Je ne vais pas faire qu'anéantir la maladie, je vais aussi briser vos chaînes, à vous tous. Vos stupides chaînes d'amour que vous pensez toutes puissantes, et qui ne sont en réalité que la source de tous vos malheurs ! Tu vas voir, je vais faire comme Elena a fait pour moi, il y a un an. Mon devoir à moi, c'est de vous mener vers l'avant ! Je vais vous forcer à sortir de la misère, et peu importe si cela doit vous contrarier. De toute façon, je ne suis plus à ça près !

La jeune fille tremble, elle manque de tomber. Des larmes inondent ses yeux, les paroles de son ami sont empreinte de tant d'émotions qu'elle n'arrive pas à les ignorer. Tout lui entre en plein cœur.

Pourquoi ? sanglote-t-elle. Pourquoi Navinn est-il le seul à avoir pensé comme cela ? Pourquoi toutes les horreurs qu'il dit sonnent terriblement vrai à ses oreilles, alors que tout est déjà joué ? Elena est morte, réalise-t-elle. Elle est morte, et c'est de son sacrifice que Navinn trouve la force de se battre.

— Kia, le monde a assez courbé le dos pour les malades... prononce-t-il en tendant la main vers la Briseuse. Il est temps de relever la tête. Fais-moi confiance, on va détruire l'infection !

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now