Chapitre 11 - Nell (1ère partie)

1.4K 243 149
                                    

Nell, 16 ans, Hartfalls,

Je n'arrive pas à croire que je suis là, à piétiner devant la vitrine de chez Rolf en train de faire semblant de m'intéresser aux cannes à pêche.

Non, je ne suis pas nerveuse. Si je triture le piercing de mon nez, c'est uniquement parce qu'il me gêne aujourd'hui.

Et puis, je ne vois pas pourquoi je serais nerveuse, ce n'est pas vraiment un rencard après tout. C'est juste une rencontre, une sorte de rendez-vous professionnel. Quelques heures pour qu'on puisse, lui et moi, expédier au plus vite cette corvée imposée par la vieille peau de Bancroft.

Ouais. C'est ça.

Je délaisse l'anneau de mon nez et touche pour la énième fois le bouquin enfoncé dans la poche de ma parka. La page est cornée à la fin exacte du chapitre 5. Moi qui espérais pouvoir lire tout le roman avant aujourd'hui, me voilà contrainte à m'en tenir aux objectifs fixés.

Les éléments se sont ligués durant cette fin de semaine pour m'empêcher de découvrir le destin de Dorian Gray. Les soirées à la station-service, habituellement d'un ennui mortel, ont vu se succéder les clients. Bruce, le patron, m'a demandé de faire des heures supplémentaires ce matin et comme j'ai besoin de fric, j'ai accepté. J'ai à peine eu le temps de me changer avant de rendre visite à Luke au Centre de Détention pour mineurs et ensuite j'ai atterri ici sitôt que le bus m'a débarquée.

J'espère qu'il pourra me ramener chez moi, après. La pensée de remonter toute la colline à la nuit tombée me décourage déjà.

— Tu es à pieds ?

Je sursaute, prise en flagrant délit de contemplation d'un coffret d'appâts multicolores, et me retourne vers celui qui m'interpelle.

Macsen James m'observe, au volant d'un pick-up Ford flambant neuf, à la peinture noir métallisé rutilante. Les mèches rebelles sont plus nombreuses qu'habituellement dans ses cheveux bruns, comme s'il avait passé l'après-midi à les malmener. Ses prunelles bleues me dévisagent avec une pointe d'urgence.

Oui... Bonjour à toi aussi... Tu vas bien Macsen ? Tu as passé une bonne fin de semaine ?

— Alors ? s'impatiente-t-il. Tu es à pied ?

J'acquiesce. Il me détaille comme s'il me voyait pour la première fois, et je tente de rester stoïque sous cet examen. Je dois rassembler tout mon sang-froid pour résister à l'envie furieuse de tourner les talons.

— Je te demande ça, parce que sinon, on aurait pu charger ton vélo dans le pick-up.

Il se penche pour déverrouiller la portière passager.

— Alors, tu montes ?

Malgré moi, je jette un regard anxieux aux alentours, sans faire le moindre mouvement pour obéir à son injonction.

Son éclat de rire moqueur, franc et sonore, me cueille dans mon repérage. Je lui jette un regard noir qui ne fait que renforcer son hilarité railleuse, jusqu'à ce qu'enfin, il retrouve un semblant de sérieux. Il me considère avec une lueur d'amusement non dissimulé qui fait briller ses pupilles.

— Tu mates quoi là ? Tu cherches des témoins de ton enlèvement ? Tu me prends pour un serial killer ?

Je me redresse, le fusille du regard et me dirige droit vers la portière entrouverte, poussée par l'aiguillon de mon orgueil égratigné.

Je maudis ma fierté dès l'instant où je pose mes fesses sur le siège passager et referme la portière. Car je me sens immédiatement mal à l'aise, assise dans cette voiture avec...lui.

Over The Bars (Sous Contrat D'édition Hachette BMR)Where stories live. Discover now