Chapitre 3 - Nell (1ère partie)

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Nell, 24 ans, New-York

Mon regard parcourt la vaste salle à la déco industrielle, depuis les étagères métalliques chargées des plis et paquets qui devront être livrés le lendemain, jusqu'au coin séparé par des verrières formant un espace réservé à ceux qui travaillent dans les bureaux.

Manifestement, j'ai tout manqué.

L'estrade installée pour l'occasion, avec son petit pupitre, est vidée de tout orateur. Au silence que j'ai perçu tout à l'heure a succédé un brouhaha ponctué de rires. Des petits groupes se sont formés ici et là, d'autres se pressent autour d'une longue table couverte d'une nappe blanche, et qui supporte des plateaux de petits fours.

Au moins, l'ambiance est bonne. Pas de mine crispée, d'attitude embarrassée. Et aucune trace du nouveau boss.

Si Jay avait dit la vérité ?

Bon, chaque chose en son temps... Je me dirige d'un pas résolu vers le buffet. Quitte à être là, autant joindre l'agréable à l'utile. Mon ventre en grogne déjà d'anticipation.

Je n'ai rien mangé depuis le petit-déjeuner, trop occupée à enchaîner les livraisons et les courses. Même si Tanner désapprouve, il n'a rien dit. Il sait parfaitement que j'ai besoin de cet argent en ce moment. Chaque client satisfait, c'est un pourboire conséquent qui vient s'ajouter à mon salaire de base, qui lui, n'est guère reluisant.

Justement, je croise le regard de mon ami. D'une tape sur l'épaule, il prend congé de Lee, un coursier avec lequel il échangeait quelques mots, pour venir nous rejoindre, Jayla et moi. Il s'approche de sa démarche légèrement boitillante, qui ne lui a rien fait perdre de son charme de Californien échoué à New-York. Avec ses cheveux blonds que l'on croirait décolorés par le sel et le soleil, ses larges épaules et ses hanches étroites de surfer, il laisse cette impression de sortir du Pacifique et je m'imagine presque les gouttes salées ruisseler sur son torse sculpté.

L'eau me vient à la bouche, mais pas pour les mêmes raisons. Des minis burgers me font de l'œil, de l'autre côté de Tanner. Lui, je l'ai déjà testé, et cela nous arrive encore de déraper de temps en temps. Mais nous savons tous les deux que nous ne serons jamais plus qu'amis... et sexfriends occasionnels. Je ne suis pas celle qu'il cherche. Et il n'est pas celui qui comblera mon vide.

Tanner me saisit le bras au moment où je tente de le contourner, et je laisse échapper un couinement de douleur. Il me lâche aussitôt.

— Merde ! qu'est-ce qui t'es arrivée ? Tu as chuté ?

Derrière moi, Jayla soupire distinctement.

— Ce n'est rien... Et si tu me laisses me remplir la panse avec quelques-uns de ces trucs savoureux, ça ira encore mieux...

— Laisse-là se goinfrer, renchérit Jayla, tu sais comment elle est quand elle n'a pas mangé. Elle est capable de mordre le nouveau patron car elle va le trouver appétissant...

Je ne relève pas, trop occupée à croquer dans une merveilleuse petite chose dont les saveurs explosent sur mon palais. Délicieux. Mais avec un goût de trop peu. J'enchaîne avec ce qui ressemble à du saumon sur des blinis. Bon sang, il ne s'est pas fichu de nous le nouveau boss.

— Je n'aurai jamais dû accepter de te laisser prendre autant de courses dans la même journée, maugrée Tanner dans mon dos. Forcément, ta concentration et ta vigilance baissent. Sans compter que tu n'as pas pris le temps de t'arrêter cinq minutes à midi pour avaler un truc... Bordel, Nell, je sais que tu as besoin de thunes en ce moment mais...

Je me crispe brusquement et Tanner s'interrompt tout aussi soudainement. Pas besoin de me retourner pour deviner le grand coup de coude que vient de balancer Jayla à cet imbécile. Je les entends se chamailler à voix basse et je serre les dents de toutes mes forces pour refouler les émotions qui menacent de remonter à la surface.

Sujet sensible... Très sensible. Et je n'ai pas envie d'avoir cette conversation avec Tanner ici et maintenant.

J'attrape une coupe de champagne pour me donner une contenance et en avale la moitié cul sec avant de me retourner vers mes amis.

Jay est plus tendue que la corde d'un arc et les oreilles de Tanner arborent une belle teinte rouge cerise. Je fais comme si je n'avais rien vu. 

Nell Gates, spécialiste de la technique de l'évitement.

Mes yeux vagabondent dans la salle et j'avale une nouvelle gorgée de champagne. Sur mon estomac quasiment vide, l'effet est immédiat. La tête me tourne instantanément.

— Alors, ce nouveau patron, m'enquiers-je pour clore définitivement le débat brûlant, où est-il ?

Ma diversion arrange tout le monde. Tanner se retourne un peu trop vite pour que cela paraisse naturel et il scrute à son tour les différents groupes.

— Il est là-bas, me montre-t-il d'un geste de la main qui désigne l'assemblée la plus fournie et la plus bruyante. Il a tenu à se présenter à chaque employé.

Intriguée, je tente d'apercevoir celui dont on me rebat les oreilles depuis tout à l'heure mais je ne vois rien. A peine distingué-je un morceau de costume sombre au milieu des sweats à capuche.

Mais au moment où je vais me retourner pour partir à la pêche d'une autre coupe de champagne, je me fige, les sens en alerte. Lee vient de s'écarter en mimant pour la centième fois son dernier exploit en freestyle. C'est à cet instant que je le vois. Et qu'il me voit. Je le reconnais. Et je comprends qu'il me reconnait aussi.

Athlétique, la trentaine, cheveux noirs. Air peu amène. Yeux qui jettent des éclairs à l'instant où il m'aperçoit.

Le canon en colère...

Apparemment, l'écharpe qui me cachait la moitié du visage ne me sauvera pas la mise. Impossible de passer inaperçue avec ma veste déchirée au coude et mon pantalon râpé.

Je comprends pourquoi il triomphait au moment où je suis partie. Il a vu mon sac, ma belle sacoche orné du logo de la boîte. De sa boîte.

Mon cœur s'emballe dans ma poitrine quand je comprends dans quelle merde je me suis fourrée.

Je suis rentrée dans la voiture de mon nouveau patron. J'ai traité mon nouveau patron d'abruti. J'ai adressé un doigt d'honneur à mon nouveau patron. Mon nouveau patron m'a menacée de me le faire payer...

Je me donnerai des gifles pour ma propre bêtise.

Au lieu de cela, je panique.  


*** 

Coucou à toutes ! 

Mini chapitre pour débuter la semaine. En fait, j'ai décidé de vous publier deux parties par semaine (et donc un peu moins longues), plutôt qu'un gros chapitre une fois par semaine.

N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez ! 

En attendant, Nell est dans de beaux draps... et cela ne va pas s'arranger ;) 

A dimanche pour la suite ! 

Bonne lecture, 

Lind

Over The Bars (Sous Contrat D'édition Hachette BMR)Where stories live. Discover now