Over The Bars (Sous Contrat D'édition Hachette BMR)

Chapitre 3 - Nell (2nde partie)

Quand je vois l'homme lancer quelques mots à un interlocuteur caché, avant de s'avancer vers moi d'un pas résolu, ma raison prend ses jambes à son cou.

Prise au piège avec mes seules émotions et les effets du champagne, je fais le premier truc qui me passe par la tête.

Je plonge.

Mais littéralement.

Je plonge dans le groupe amassé devant le buffet, comme je m'immergerais dans l'eau limpide d'une piscine. Bras en avant, cou rentré dans les épaules, je pique une tête en direction du sol. La réception est plus rude que si j'avais traversé une nappe liquide mais je gère. Accroupie par terre, j'ignore les interjections étonnées et entourée d'une forêt de jambes, j'envisage mes options en un quart de seconde.

Ramper jusqu'à la porte ? Impossible, il y a trop de terrain à découvert.

Contourner le groupe, attendre qu'il ait le dos tourné et courir jusqu'à la sortie ? Faisable, mais je n'ai plus aucune vision sur lui. Et puis, impossible de rester discrète. Déjà, je sens une main secourable qui essaie de m'agripper pour me relever.

Sans réfléchir davantage, je me dégage et me rue, ou plutôt me contorsionne, vers ce qui me paraît être à cet instant ma seule porte de sortie : la table du buffet et sa longue nappe blanche qui traîne jusqu'au sol.

La seconde suivante, je franchis le rideau de tissu et me retrouve assise dans un abri à la sécurité trompeuse, le souffle court et le cœur battant la chamade. Des morceaux de petits-fours qui n'ont plus rien d'appétissant jonchent le sol. Ma fesse droite écrase quelque chose de mou, mes doigts trempent dans du champagne renversé.

Même moi qui ai l'habitude de faire des trucs stupides dès que lescirconstances me dépassent, je me rends aussitôt compte du ridicule de la situation. Mortifiée, je tends l'oreille, prête à entendre la voix de mon futur-ex patron me sommant de sortir de sous la table sous les éclats de rire généraux...

Mais dans quoi me suis-je encore fourrée ? Je viens de perdre le seul boulot que j'ai réussi à garder au cours des dernières années, celui dans lequel je me sens bien, au milieu d'une équipe dans laquelle je me suis intégrée... Et celui qui me donne l'argent dont j'ai cruellement besoin en ce moment.

Je pourrais rire de la situation grotesque dans laquelle je me suis mise. En vérité, j'ai plutôt envie de pleurer. Pour couronner le tout, je sens un liquide chaud et poisseux se remettre à couler dans ma manche. Peut-être aurai-je besoin de quelques points finalement. Mais avec quoi je paye l'hosto, maintenant ?

Je prends une grande inspiration pour refouler les larmes que je sens poindre au bord de mes cils. Allez... Quitte à se faire virer, autant que cela soit debout, et non à genoux sous une table.

Je m'apprête à sortir de ma cachette improvisée lorsque mon téléphone vibre. Toujours à quatre pattes, je le déverrouille machinalement.

De Jayla :

[Sinon... On parle du fait que tu viens

de te jeter sous la table ?]

Son message parvient à m'arracher un sourire. Je tape rapidement une réponse.

De Nell :

[Le type qui venait vers nous.

Le nouveau patron.

C'est lui qui a failli me rouler dessus.]

J'appuie sur la touche envoi et j'attends. Aucun retour.