Après cette discussion des plus étranges, je décide de me promener un peu dans les prairies du mur Rose. Seulement, me promener me rend nostalgique du passé. Je passais tellement de temps seule à me promener avant la chute du mur Maria. J'ai l'impression que ça fait une éternité qu'on est ici et pas deux semaines.
Me promener dans la nature me fait un bien fou. Je me rends enfin compte que depuis la chute du mur Maria, j'étais dans l'horreur continuelle. Comme si l'affreux événement d'il y a 2 semaines n'était pas terminé.
J'écoute avec un bien fou les oiseaux gazouiller ou bien sentir le vent fouetter mes cheveux. Laisser rentrer la sérénité dans tout mon être.
Je me retrouve, par hasard, devant un orme rouge. Je le regarde un peu par défi avant de me reposer près de son tronc, secouée par l'émotion. Ma première rencontre avec Rachel s'est faite devant un orme rouge.
****
Il y a quelques années Rachel arriva à Shiganshina avec ses parents. Je l'ai rencontrée devant un orme rouge, totalement perdue. Ses parents lui avaient donné comme mission de rapporter du bois de la forêt. Or, Rachel qui ne connaissait pas encore les environs, s'est perdue lorsqu'elle est sortie de la forêt. Elle avait tourné en rond un bon moment avant de se reposer devant un orme. C'est à ce moment-là qu'elle me vit, en train de faire l'une de mes nombreuses promenades continuelles.
"Eh oh !" Me héla Rachel.
Je me retourne vers la voix et me rapproche de la jeune inconnue.
"Bonjour ! Dis-je avec timidité ayant pour habitude qu'on m'ignore.
- Tu me sauves la vie ! Je me suis perdue en cherchant du bois dans la forêt. J'ai cru que je ne retrouverais jamais mon chemin.
- Tu viens d'où ?
- Je viens tout juste de m'installer à Shiganshina avec mes parents.
- OH, je viens de là moi aussi ! Je vais pouvoir te raccompagner !
- GENIAL !"
A ma grande surprise, elle enlace ses bras autour de mes épaules, visiblement soulagée de pouvoir retrouver son chemin.
Sur le chemin du retour, on parla énormément. Enfin, surtout moi. Rachel éludait mes questions pour m'en poser d'autres. Elle n'avait aucun a priori sur moi comme elle ne connaissait encore personne. J'étais à la limite de l'euphorie, tellement j'étais contente de pouvoir parler avec une personne de mon âge.
Elle m'écouta avec attention décrire mes parties de pêche avec mon frère, mes nombreuses promenades hors de Shiganshina ou bien les nombreuses idées de mon père sur l'histoire et la préservation du patrimoine. Elle riait beaucoup avec moi, me posait toujours beaucoup de questions quand j'étais trop vague et quand je n'étais pas assez dans le détail.
Une fois arrivée devant chez elle, je proposai de lui faire visiter Shiganshina le lendemain. Elle accepta avec joie.
La visite de Shiganshina aurait pu être bien plus rapide mais s'éternisa jusqu'au coucher du soleil. Rachel était toujours aussi avide de mieux me connaître. Je tentais aussi de la faire parler mais en vain. Elle m'avoua qu'elle avait vécu des moments difficiles et qu'elle préférait les oublier. Après une telle révélation, je n'insistai plus et la laissai mener la conversation sur ma propre petite personne.
Malgré notre entente mutuelle, je ne voulais pas me faire de faux espoirs. Dire que nous sommes amies était bien trop tôt. Je savais que tout basculerait le jour où elle arrivera à l'école et rencontrera mes camarades de classe qui me détestent. Alors, à ce moment-là, quel camp choisira Rachel ? Le mien ? Ou celui de mes camarades de classe ? Choisira-t-elle d'être seule avec moi ou bien d'être avec tous les autres ? Le choix sera vite fait, je présume.
Rachel était une personne très perspicace. Elle devinait beaucoup de choses sans qu'on en parle. En train de faire visiter le quartier où se situait l'école, elle me posa une question qui semblait la turlupiner depuis le début de la journée :
"Saori, comment sont tes camarades de classe ? Tu n'en parles jamais.
- Oh ! M'exclamais-je d'une petite voix surprise. Ils t'accueilleront à bras ouverts je pense. Ils aiment bien les nouveaux venus.
- S'ils sont tous comme toi, je devrais sans doute m'entendre avec tout le monde."
Je baissai les yeux en entendant ses paroles. Comment lui dire que j'étais mal vue de mes camarades et qu'on me jugeait comme une personne différente ? Comme une personne méprisable.
Rachel avait compris, bien avant de me poser la question sur les camarades, que quelque chose n'allait pas. Elle était d'une perspicacité étonnante. Comme pour mon don, elle ne voulait pas dévoiler ses soupçons. Elle voulait que ça vienne naturellement de l'autre, dans la conversation. C'est pour cela qu'elle posait énormément de questions.
C'est une conversation un peu contrôlée car elle tourne ses questions de sorte que je dévoile ses propres soupçons. Je ne savais pas à ce moment-là mais elle n'allait pas lâcher l'affaire avant que je lui raconte l'antagonisme entre mes camarades de classe et moi. Elle était d'une curiosité et d'une franchise (à sa manière) déconcertante.
"Tu ne devrais pas t'inquiéter. Tu t'entendras bien avec nos camarades de classe. J'en suis certaine. Déclarais-je dans le but d'en finir au plus vite pour changer de sujet.
- Alors pourquoi est-ce que tu ne parles jamais d'eux ?
- Parce que je n'ai rien à dire sur eux.
- C'est étrange. Tu devrais bien les connaître. Vous n'êtes pas dans la même classe depuis tout petit ?
- Ce n'est pas parce que je les connais que j'ai à raconter leurs secrets aux autres.
- Encore heureux que je ne te demande pas de partager les secrets de tes camarades Saori. Je te demande juste comment vous vous occupez hors de la salle de classe.
- On joue dehors.
- Vous jouez à quoi ?"
Il fallait déjà qu'ils jouent avec moi pour que je le sache. Je détourne la question sur un autre sujet. Fort heureusement, elle n'insiste pas. Elle doit se douter qu'elle aura bientôt les réponses à ses questions.
Le lendemain, j'arrivais à l'école après Rachel. Je serais arrivée avant si je n'avais pas fait un de mes nombreux cauchemars sur le docteur Jäguer. Rosa et les autres camarades avaient déjà mis le grappin sur Rachel. Persuadée qu'une éventuelle amitié avec Rachel était foutue, je continue à avancer sans les regarder. Rachel me voit et m'interpelle d'une voix joyeuse. Je me retourne étonnée sans pour autant m'approcher.
Léon ria et s'exclama d'un ton ironique:
"Alors, tu connais notre cher Saori ? Conseil d'ami, ne lui fais pas confiance. Elle est méchante et menteuse. Si tu traînes avec elle, tu finiras par le regretter, je te le garantis !"
Léon était cruel avec moi. Il était amoureux de Rosa. Alors, le jour où tout a bousculé, où Rosa pleurait en me traitant de monstre, c'est lui qui as réagi le plus méchamment. C'est le leader du groupe. Alors, évidemment, les autres ont suivi. Mais c'est Léon qui m'avait fait le plus de mal.
Rachel, guère impressionnée et surtout guère impressionnable, n'en resta pas là. A ma grande surprise, elle demanda à Léon pourquoi il ne fallait pas faire confiance à Saori.
"Elle a fait pleurer Rosa il y a deux ans. Saori (il prononça mon nom avec dureté et mépris) a accusé injustement la famille de Rosa. Elle l'a calomniée. Rosa était inconsolable. On a été blessé par Saori. C'était notre amie mais pour Rosa, c'était sa meilleure amie. Rosa a été choquée et trahie par sa meilleure amie.
- C'est un monstre dans un corps de petite fille. S'écria Rosa. Elle m'a énormément blessée. Je pensais qu'on était amies mais apparemment, dire du mal de ma famille ne la dérangeait pas. Je me suis sentie trahie. Ne fais pas la même erreur que moi. Ne lui fais pas confiance !"
J'étais à deux doigts de pleurer. Je savais ce qu'ils pensaient de moi mais l'entendre le prononcer à voix haute me bouleversait. Je n'avais jamais voulu blesser personne. Je ne me rendais pas compte du mal que je faisais. Je voulais simplement aider Rosa.
Je me retournai de nouveau pour ne pas voir la réaction de Rachel. Elle devait sûrement les croire. Léon avait donné pas mal d'informations. Je m'avançais vers les escaliers quand j'entendis Rachel m'appeler et me demander de venir la rejoindre.
J'hésitais plusieurs secondes avant d'obtempérer. J'ai vu Léon, Rosa et mes autres anciens amis (Romain, Thomas, Anaïs, Sarah et Alexis) se raidir. Instinctivement, ils s'éloignèrent à mon approche. Rachel, elle, ne bougea pas d'un pouce. Je voyais dans son regard qu'elle ne me détestait pas, malgré tout ce qu'on lui avait dit.
Rachel et moi étions face à face tandis que mes anciens amis étaient juste derrière Rachel me regardant comme si j'avais la peste.
"C'est vrai ce qu'ils racontent sur toi Saori ?" Me demanda calmement Rachel.
Incroyable, elle ne se contentait pas simplement de leur vision des faits : elle voulait aussi la mienne. Je ne le savais pas encore mais Rachel m'avait déjà bien cernée. Elle savait que je ne mentirais pas et surtout elle savait que je méritais avoir ma chance.
"Oui, j'ai fait pleurer Rosa. Avouais-je en pleurant en silence. Mais ce n'était pas volontaire ! Je voulais juste l'aider ! Je ne pensais pas qu'elle le prendrait aussi mal. J'étais stupide. Rosa ne m'a jamais donné l'occasion de m'excuser.
- T'excuser ? Hurla Rosa hors d'elle. T'as entendu Léon, elle voudrait s'excuser ?!§ Après tout ce que tu as dit sur ma famille, tu penses que je vais te croire ? Rachel, ne fais pas confiance à Saori ! Elle joue plusieurs rôles. Elle te manipule pour que tu sois son amie.
- Ce n'est pas vrai ! Me récriais-je à mon tour. De toute manière, Rachel va devenir votre amie, pas la mienne.
- Et pourquoi donc Saori ? Intervient Rachel. Je n'aime pas juger les autres sans les connaître. Je ne te connais que depuis deux jours mais je m'entends déjà très bien avec toi. Ce n'est pas parce que tu as eu un différend avec Rosa il y a deux ans que je ne peux pas te faire confiance. Mais bon sang, ça fait deux ans et vous n'êtes pas encore capables de vous pardonner l'une à l'autre ?
- Tu fais une erreur Rachel. Si tu deviens amie avec Saori, tu n'auras pas la place dans notre groupe." Déclara Rosa.
Rachel se retourna vers le groupe. Elle passa un bras autour de mes épaules avant de proclamer haut et fort :
"Saori est mon amie. Vous n'êtes pas d'accord ? Je m'en fiche. Vous voulez m'exclure ? Je m'en fiche. Je n'ai rien à faire avec des gens qui excluent les autres sans pouvoir me donner une vraie raison valable. Si vous pouviez me dire en détail ce que Saori a dit de méchant, peut-être que je comprendrai mieux pourquoi Saori a le droit à un traitement de faveur pour vos moqueries."
Rosa ne voulant rien dévoiler nous laissa tranquille et tout le petit groupe ne vint plus jamais nous embêter. C'est ainsi que mon amitié avec Rachel débuta.
***
Me rappeler de mes premiers souvenirs avec Rachel me bouleversèrent. Et si elle était morte ?!! Et si je ne la reverrai jamais ?!! C'est la dernière amie qu'il me reste : Frieda est morte et Uri est hors de portée. Qu'est-ce qu'il me restera d'elle ? Tous les souvenirs que nous avons passées ensemble ? Et ces souvenirs ? Ils vont disparaître. Personne ne saura ce qu'elle pensait vraiment. Même pas moi. Et pourtant, j'en ai le pouvoir.......
J'en ai le pouvoir et pourtant, je n'ai jamais rêvé d'elle. Ce n'est toutefois pas les occasions qui avaient manqué. Dès le premier jour que je l'ai rencontrée, j'aurais pu lire dans son esprit. Elle m'avait enlacée, premier signe d'amitié que je recevais depuis longtemps.
De toute évidence, mon don ne marche pas sur Rachel.
Je me mis à marcher rapidement sans regarder où aller. Je voulais juste faire le vide. Je ne voulais pas réfléchir aux raisons pour lesquelles je ne pouvais pas rentrer dans l'esprit de Rachel durant mes rêves.
Je ne sais pas combien de temps je marche mais je finis par m'arrêter devant un cours d'eau. Je me rafraîchis le visage. J'avais marché jusqu'à ce que ma vision soit totalement trouble.
J'étais à deux doigts de m'imaginer Rachel morte. Je sentais d'emblée des larmes couler sur mon visage. Il ne fallait pourtant pas pleurer. Rachel n'est pas morte. Je veux rester dans mon déni !!!
Une petite voix attira mon attention. La voix venait de derrière moi. Je me retourne lentement comme si j'allais y voir une chose horrible. Une silhouette apparut dans mon champ de vision. J'étais encore trop loin pour apercevoir les traits de la personne.
Je me rapproche tout doucement, le coeur virevoltant. Un contrecoup de la chute du mur de Shiganshina, on voit l'horreur partout. Je me rapproche, toujours sur mes gardes. Une petite tête se soulève doucement. Pendant une seconde, je crus que c'était un cadavre revenant à la vie. J'allais m'enfuir, morte de peur lorsque la petite tête murmura mon nom. Je me figeais, me demandant pourquoi le cadavre connaissait mon nom.
La petite tête se souleva encore, lentement. Ma vision commençait à revenir à la normale. Les traits de son visage m'apparurent. Mon champ de vision m'avait induit en erreur. Ce n'était pas un cadavre.
Au mon dieu !
C'est Rachel ! Rachel est ici ! Rachel est vivante !