La petite île d'Almaren était encore sauvage et préservée. Malgré la richesse de sa faune et de sa flore qui pouvaient aisément camoufler des ents, le sang de Jaheira que Legolas versait goutte à goutte sur le sol ne suscita nulle réaction parmi les arbres en présence. On savait depuis peu que le sang de la jeune femme avait pour don de pouvoir « réveiller » les ents aux esprits endormis, alors alertés par ce qu'ils percevaient comme un signal de détresse de leur gardienne. C'est Jaheira qui avait mesuré le juste bon dosage à déposer pour qu'ils s'alertent dans un périmètre assez restreint sans pour autant ameuter l'ennemi qui pouvait lui aussi détecter ce trouble.
Legolas termina d'explorer l'île en dix jours seulement. Une nouvelle fois, la recherche des ents fut vaine. Le commandant et ses hommes repartirent de ce superbe endroit avec un embarras certain pour tous, car même si ces compagnons ignoraient la nature de ses recherches, il était clair que le commandant n'avait pas trouvé ce qu'il cherchait. Pour l'elfe, ce nouvel échec fut plus douloureux encore que les précédents... Était-ce l'absence de son meilleur ami pour le soutenir dans sa peine ou l'espoir de retrouver les ents qui s'amenuisait un peu plus chaque jour en lui ?
Il savait que ce qu'il faisait était juste et indispensable, et s'en voulait aujourd'hui d'avoir suivi les ordres d'exploration d'Almaren de Jaheira à contrecœur. Il reconnut dès son départ que son épouse s'était montrée plus sage et prudente que lui quant à sa décision de foncer à Gundabad, mais Legolas accusait aujourd'hui une réelle prise de conscience : Almaren marquait la fin de son exploration du monde libre. Malgré toutes les précautions prises à explorer les terres en paix, il était désormais clair que les terres de Gundabad restaient leur dernière piste pour retrouver les ents femmes.
La perspective de débarquer à Gundabad ne réjouit nullement l'elfe. Contrairement à ce que l'on pouvait penser, le commandant Legolas ne souhaitait nullement la guerre, et encore moins en ces lieux : ces terres damnées lui restaient terrifiantes. Il se rappela s'y être rendu jeune au combat et en être revenu avec une mère défunte et un père anéanti, il n'était alors qu'un jeune capitaine de l'archerie royale du Mirkwood. Pour sa famille, pour son royaume, mais surtout pour lui, Gundabad demeurait une terre interdite, emprunte de cauchemars et de damnations. Cet endroit concentrait à lui seul toutes ses craintes, ses peurs et ses douleurs, toutes ces inlassables séquelles qui l'avaient poursuivi tout au long de sa vie.
Même pour un militaire chevronné comme lui, Gundabad serait une épreuve, alors il n'osa imaginer la réaction de son père Thranduil quant à lui se rendre là-bas, dans un contexte de guerre armée, comme dans le plus éprouvant de ses souvenirs.
Legolas pensa à sa mère avec le même pincement au cœur qui l'accompagnait depuis tant d'années. Il se rappela de sa beauté et de sa grande douceur, c'est elle qui l'avait encouragé à suivre ses rêves dont celui de devenir soldat. Il se rappela comment lui, l'érudit militaire, s'était enfui pour rejoindre l'anonymat des rangs de l'Académie Royale sous une fausse identité. Sa réussite à l'examen et son retour en Mirkwood un beau matin lui avait valu la plus grosse remontrance de sa vie, mais aussi la plus belle des célébrations : son noble engagement trahissant le talent du tout jeune elfe pour le combat ainsi que son courage face à l'adversité. C'était le seul jour où Legolas avait vu sa mère pleurer : à son retour, elle s'était effondrée à sa vue, lui confessant que le pousser dans son rêve de combat avait été la pire épreuve de sa vie, ce jour là, Legolas comprit qu'elle avait également été la plus belle preuve de son amour. Legolas sourit de repenser à elle. Puis, la mélancolie l'envahit. Il ne put s'empêcher de ressasser tout le malheur qui s'était abattu sur le Mirkwood lorsque son père et lui étaient revenus seuls du front. Pour sa mère, un hommage populaire, sincère et déchirant avait été rendu des années durant, elle qui s'était battue aux côtés de son époux toute sa vie, redorant le blason d'une couronne à l'image vieillissante et d'une royauté trop précieuse, devint un symbole de la miséricorde des elfes et de la guerre contre Sauron. Legolas avait peu pleuré pour son âge, mais un vif traumatisme s'était ancré en lui et le suivait depuis.
Un capitaine arriva au niveau de Legolas, qui sans s'en apercevoir, avait stoppé son cheval.
- Commandant ? S'inquiéta son capitaine.
- Nous retournons à Fangorn, déclara Legolas avec l'esprit ailleurs.
Sans plus attendre, l'elfe héla son cheval et tous quittèrent le comté de Nurn.
Le retour vers Fangorn prit plusieurs jours. Ils étaient désormais à moins d'une heure des terres et tous se réjouissaient de rentrer chez eux. Alors que les cavaliers avançaient, Legolas, placé en tête de file, fit stopper ses hommes d'un geste de la main, son regard trahissant une soudaine inquiétude.
- Sentez-vous cela ? Demanda-t-il à ses hommes, alerte.
Ses hommes respirèrent l'air ambiant avec concentration, l'un d'eux répliqua :
- Cela sent...
- La fumée, trancha Legolas, terrassé.
Soudain, le cor d'alerte de Fangorn, de son son le plus cristallin, résonna au loin.
Le commandant se décomposa : Fangorn était attaqué.
L'ennemi avait profité de son absence pour s'en prendre à la reine. D'un coup d'épée, il détacha tout l'équipement attelé à son cheval et s'élança au galop en direction de la cité d'Argent, son armée sur les talons. Le commandant s'étant débarrassé de son pesant équipement, sa monture se détacha rapidement du peloton et, rare militaire capable de rejoindre la cité, il arriva seul aux portes, tandis que son armée devait encore subir les différents sortilèges qui protégeaient ces lieux.
Sur le chemin, il croisa plusieurs villageois de la cité fuyant à travers les arbres.
- Où sont-ils ? Leur cria-t-il.
- Les archives ! Lança l'un deux sous le coup de la panique.
Legolas entra dans une colère noire et se remit au galop en direction de la cité de Fangorn, munit d'arc et de flèches. À peine eut il passé les portes de l'établissement qu'il sauta au sol et inspecta l'entrée en joue, il ne vit rien. Les lieux semblaient déserts, ce qui n'était pas de bon augure. Il commença à inspecter les rues progressivement. La colère, mais surtout la peur s'empara de lui : rien ne présageait que Jaheira était là, elle aurait pu être n'importe où, elle qui alternait ses lieux de villégiature entre Redwood, la forêt et la cite d'Argent, était peut-être bien loin d'ici.
Au fur et à mesure de sa progression, Legolas découvrit des traces de lutte, un peu de sang, puis bien vite, approcha d'un premier corps : celui d'un garde gisant au sol. Il lui prit le pouls, mort. Il poursuivit, avançant d'un pas décidé, découvrant de nouvelles traces de sang. Trois gardes blessés gisaient là, parmi une bonne dizaine de cadavres d'orques. Il ne prit pas leur pouls, aux vues de leurs blessures, il était évident qu'ils ne se réveilleraient pas. Legolas passa les portes des archives et découvrit deux nouveaux gardes d'entrée, ceux-là blessés mais conscients, il les examina brièvement, leurs blessures étaient graves, mais ils en survivraient :
- Laissez mon seigneur, dit l'un d'eux d'une voix faible, des orques..., souffla-t-il en lui indiquant le chemin des yeux.
D'un signe de tête, Legolas laissa ses hommes, puis tendit son arc en pénétrant prudemment dans la bâtisse ouverte. Il traversa un premier couloir, puis deux salles, rien. L'elfe emprunta une nouvelle allée et se décomposa en découvrant une flopée de feuilles encore vertes qu'il reconnut aisément : c'était celles de l'enveloppe entique de Jaheira, elle était donc ici. Il paniqua, mais se reprit, continuant son inspection, il y avait là beaucoup de sang, cela ne pouvait être celui de Jaheira, c'était du sang noir d'orques, en grande quantité... On était donc intervenus... L'elfe pria pour que Jaheira soit sauve.
Il avança efficacement, détectant le moindre geste de son ouïe et de sa vue affutées. Il traversa plusieurs salles où avaient visiblement eut lieu de violents combats : il constata de nombreuses pertes matérielles : des vitres et de nombreux objets avaient été brisés, des étagères entières de livres étaient renversées, même quelques poutres étaient tombées, comme arrachées de la charpente, des toiles avaient été incendiées et on sentait encore l'odeur du tissu brûlé, des stocks de plantes avaient également été détruits, mais il se rassura de voir de plus en plus de cadavres joncher le sol : des orques uniquement, et même quelques uruk-hai transpercés par les lames elfiques des gardes royaux, ainsi que de nombreuses flèches elfiques dans les poutres : les gardes de Fangorn étaient intervenus à temps.
Legolas progressa avec un stress immense pendant encore quelques salles en enfilade, guidé par les débris qui jonchaient le sol. A son grand désespoir, il s'approchait petit à petit du bureau de son épouse et craint le pire en se présentant devant les portes encore entrouvertes.
D'un coup sec, il ouvrit l'une des portes et se précipita en joue à l'intérieur, avant de baisser son arme immédiatement, foudroyé par la scène. Sur une couche d'épines arrachées, sa femme était là, à genoux, les mains réunies sur l'abdomen d'un elfe dont le sang lui filait impuissamment entre les doigts.
La reine leva les yeux meurtris sur son époux :
- Aide-moi !
Legolas se précipita à son chevet. L'elfe mal en point était le capitaine Thillen, la brillante recrue qu'il avait envoyé auprès de Jaheira. Elle maintint la pression sur sa plaie avec force, tandis que Legolas lui releva la tête, constatant que le jeune capitaine était encore conscient, et agonisant.
- Tout ira bien, lui dit Legolas en le préservant au maximum.
Jaheira ne réagit pas, elle était paniquée, elle essayait de contenir l'hémorragie du jeune homme mais n'y arrivait pas, le sang coulait sans s'arrêter de sa poitrine, elle ne pouvait œuvrer sur une blessure de ce type, au risque de refermer la plaie sur une hémorragie interne. Ce scénario était le pire qui soit, elle avait la capacité d'autoguérison et lui, le pouvoir de guérir les autres, même dans pareille situation, il mourrait.
- Mes seigneurs, je suis désolé, implora le jeune elfe les larmes aux yeux.
- Calme-toi Thillen, nous allons te soigner. Cela n'est pas plus grave que la brûlure que vous avez guéri à East Bight n'est-ce pas ? Dit Legolas avec une volontaire légèreté.
D'abord étonné que le roi connaisse son nom, Thillen comprit à ces paroles que Eryn et le commandant Legolas ne faisaient qu'un. Il eut un sourire, puis se crispa de douleur, toussa, puis enfin ferma les yeux. Le voyant partir, Jaheira s'emporta :
- Thillen ? Thillen non ! Thillen !
L'elfe tomba inconscient et poussa son dernier souffle.
La reine suffoqua et ne comprit pas comment elle n'avait pu le sauver lui, alors qu'elle en avait sauvé tant d'autres. Elle constata avec désarroi que le tout jeune guérisseur s'était éteint.
Legolas reposa délicatement la tête de Thillen à terre, lui ferma les yeux et releva sa femme pour la prendre dans ses bras avec douceur, elle tremblait de tout son corps, terrassée de leur perte. Elle avait du mal à respirer.
Ne sachant quoi dire, Legolas lui prit le visage dans ses mains et la regarda avec chagrin :
- J'ai eu si peur, souffla-t-il.
Elle ne réagit pas. Il la serra contre lui pour la calmer. Alors qu'il lui caressait les cheveux pour l'apaiser, l'elfe constata alors les dégâts que Jaheira avait engendré dans la pièce en s'étant visiblement sauvagement défendue : les corps de sept hommes armés étaient éparpillés un peu partout, maculant le sol de leurs sangs, presque tous avaient été décapités ou égorgés par sa lame, un autre avait les mains tranchées et un autre était dévisagé par une très violente attaque de dague que Legolas identifia aisément.
- Comment est-ce arrivé ? Demanda Legolas.
- Je...
Plusieurs gardes débarquèrent dans la pièce et mirent en joue les deux époux. Tous se ravisèrent lorsqu'ils découvrirent les deux souverains, dont la reine aux mains et à la robe maculées de sang. Tous deux furent vite escortés en sécurité à Redwood. Arrivés sur place, ils abandonnèrent leurs vêtements souillés et tentèrent tant bien que mal de se remettre de leurs émotions : être attaqué dans sa propre demeure restait un évènement traumatisant et c'était là une première pour tous les deux. Alors que Jaheira s'était isolée dans la chaleur réconfortante d'un jet d'eau claire, Legolas lui faisait les cents pas dans leur appartement. Lorsqu'il s'agissait de la sécurité de Jaheira, Legolas déchargeait toujours en une violente colère pour se remettre de sa frayeur. Cette fois ne fut pas exception : il était si furieux qu'il eut du mal à rester en place, tournant dans la pièce comme un lion en cage. Lorsque Jaheira sortit enfin de la salle d'eau, toute rage l'abandonna. L'elfe regarda sa femme et ressentit la peine qui s'était emparée d'elle, elle ne pleurait pas, mais était encore perdue dans ses pensées, bouleversée, ailleurs. Il s'approcha doucement pour ne pas la brusquer, elle frissonna à son contact.
- Est-ce que tu vas bien ? Lui demanda-t-il en lui prenant délicatement le visage dans les mains.
Elle acquiesça d'un signe de tête rassurant.
- Raconte-moi... Qu'est-il arrivé ?
Jaheira ne trouva la force que de balbutier quelques mots :
- Ils... Ils ont débarqué aux archives... Nul n'a été alerté. Nous nous sommes défendus...
- Comment sont-ils arrivés jusqu'à toi ?
Jaheira se retourna vers son époux avec un regard effaré.
- Ils cherchaient Thillen, déclara-t-elle.
- Comment ? Pourquoi Thillen ? Que lui voulaient-ils ?
Sa femme connaissait la réponse et le chagrin l'envahit. Thillen était un être exceptionnel aux grands pouvoirs. Ils avaient forcément été attirés par son potentiel.
Ne voulant la brusquer, Legolas la prit à nouveau dans ses bras. L'heure n'était pas au chagrin, pas plus qu'à la colère.
- Tu m'as terriblement manqué, dit-il.
Jaheira se blottit un peu plus contre son époux, toujours dans l'incompréhension de ce qu'il venait de se passer.
Quelques heures plus tard, Jaheira et Legolas convoquèrent un conseil exceptionnel pour évaluer les impacts de la récente attaque. On déplora sept morts ainsi que douze blessés.
- Expliquez-moi comment ils ont pu arriver jusqu'à la cité sans être inquiétés ! J'exige une explication ! Vociféra Legolas.
- Nous avons comptabilisé cinquante-sept orques et neuf uruk. Ils ont attaqué en front sur la pointe Est de l'apothèque, ils ont attaqué les garde-frontières qui se sont vaillamment défendus, ils en ont éliminé une grande partie.
- Pourquoi attaquer les archives, je ne comprends pas ! S'insurgea une conseillère.
- C'est le mithril qu'ils cherchaient ! Le coupa un autre.
- Ils n'étaient nullement équipés pour dérober quoi que ce soit, c'étaient des éclaireurs ! Ils venaient s'en prendre à la reine !
Un débat désordonné s'ensuivit entre les conseillers.
- Ce n'est pas moi qu'ils cherchaient, déclara Jaheira d'une voix basse.
Le silence envahit la salle.
- Ils auraient pu me tuer bien avant, mais c'est à Thillen qu'ils s'en sont pris uniquement. Pourquoi ?
Nul ne sut quoi répondre, le silence revint, puis on prit la parole :
- Si je peux me permettre ma reine... Je crois pour ma part que c'est bien le jeune capitaine qu'ils cherchaient à atteindre, intervint un jeune conseiller au nom de Kedrean.
L'elfe dégageait de l'assurance dans ses propos, mais parlait avec un certain embarras.
- Pourquoi lui ? Qui était-il pour eux ? Demanda Jaheira.
Nul ne savait que Thillen était guérisseur.
- C'est impossible, il n'était que..., intervint une des intendantes.
Jaheira lui coupa la parole d'un revers de main, laissant le jeune Kedrean le temps de répondre.
- Il n'était probablement personne, mais.... Il vous ressemblait ma reine...
- Que voulez-vous dire ?
- Il était très jeune, les mêmes yeux bleu que votre époux, vos cheveux d'un brun sombre. Tout aurait pu porter à croire.... Qu'il était votre fils.
Jaheira ne s'attendait pas à cette réponse.
- C'est insensé ! Intervint un des conseillers.
- Impossible ! S'insurgea un autre.
- Vous semblez convaincu, s'intéressa la reine en même temps que tous se turent. Qu'est-ce que vous ne nous dites pas ?
Alors, Kedrean se leva et sortit un linge et en sortit une flèche ensanglantée :
- Ma reine, j'ai récupéré ceci près du corps du jeune capitaine, pouvez-vous me confirmer que c'est bien cette flèche qui l'a blessé ?
Elle l'examina et reconnut la flèche qu'elle avait elle-même retiré de la poitrine de Thillen pour tenter de lui porter secours.
- Ma reine, je suis forgeron, cette flèche a un embout en mithril, forgée par l'ennemi.
Elle leva les yeux vers le conseiller, choquée que sa propre ressource alimente un marché parallèle.
- Il est de légende que seul le mithril peut tuer un ent. Si Thillen avait été votre fils, il aurait peut-être lui aussi été un ent, comme vous. Les orques ont pris leurs précautions, en tirant cette flèche, ent ou non, ils s'assuraient de sa mort. C'est bien à lui qu'ils voulaient s'en prendre, en plus de vous. Aucun orque ou uruk n'aurait gâché cette flèche pour un simple elfe des archives.
Jaheira resta à observer la flèche un instant. Legolas, agacé, s'avança et prit la flèche pour examiner sa pointe : le métal bas de gamme qui la composait était bien infusée de plusieurs grossières enclaves de métal scintillant, un travail bâclé, mais qui aurait bien fonctionné pour sa mission première. Il la jeta sur la table sans procès.
- Vous êtes complètement fou à lier ! S'insurgea une conseillère.
La reine leur tourna le dos pour réfléchir.
- Ma reine, insista Kedrean, le capitaine Thillen passait du temps avec vous et était en tout temps à vos côtés... Il était jeune, un militaire et il venait d'arriver à la cité, comme surgi de nulle part, il vous suivait comme votre ombre et il vous ressemblait. Et au même moment, le roi entame son retour vers Fangorn. C'est bien assez de signes pour tenter une attaque.
Ces présomptions achevèrent de la convaincre. En fait, ils l'achevèrent tout court. Tout semblait limpide à présent : la légende de l'héritier de Jaheira et Legolas avait toujours déchainé les passions et alimenté les histoires les plus ubuesques. Thillen était assez jeune pour être leur fils et aujourd'hui il était mort pour avoir trop fréquenté la reine. Jaheira se sentit tout de suite rongée de culpabilité et se mura dans un profond remord. Si elle n'avait pas prétexté son enrôlement en tant que garde pour le former, s'il n'avait pas rejoint Fangorn, l'elfe, ce rare mage-guérisseur serait encore en vie. Elle demeurait l'unique source de tout problème.
L'assemblée guetta la réaction de la reine, mais elle resta prostrée dans son coin.
Dans la tête de Jaheira, sa réflexion fit un bond : l'ennemi avait une nouvelle fois réussi à atteindre Fangorn. Cette fois, ils espéraient tuer celui qu'il pensait être le fils de Jaheira... S'ils en avaient eu le temps, ils s'en seraient pris à elle, peut-être même à Legolas. Si Thillen n'avait pas rejoint Fangorn, il serait vivant. S'il n'avait pas été guérisseur, il serait vivant. Un nouveau guérisseur était mort à Fangorn, et le plus talentueux d'entre eux, leur unique espoir. Cela était son pire cauchemar, un violent rappel de son histoire et de la Grande Attaque qui se répétait. Le constat était là : tous ici présents couraient désormais un grand danger, il ne suffisait que de fréquenter la reine, de lui ressembler, ne serait-ce que la connaitre, pour se voir sommairement exécuté par l'ennemi que la reine demeurait incapable de tenir éloigné.
Legolas laissa Jaheira réfléchir dans son coin, et posa la plus brûlante question à l'assemblée :
- Comment sont-ils arrivés jusqu'ici ?
Personne n'osa réponse. Legolas contint la colère de ce silence.
- Sait-on d'où ils venaient ? Se risqua un des conseillers.
- Ce travail de forge est typique des mines de Gundabad..., Déclara Kedrean.
Legolas se tétanisa. Jaheira se retourna et observa ses conseillers, espérant que l'un d'eux viendraient contredire Kedrean, mais tous se turent, acquiesçant ses dires par leur silence. La reine se raidit, alors que sa réaction ne se fit pas attendre, elle revint près de la table et déclara :
- Nous attaquerons Gundabad.
- Quoi ?
- Comment !
- Jaheira !
L'assemblée avait vivement réagi de cette si subite déclaration de guerre.
- Fangorn ne restera pas sans réponse devant une telle provocation.
- Jaheira, c'est ta colère qui parle, tu ne peux ainsi précipiter la guerre, la raisonna Legolas.
La reine s'emporta :
- Legolas, je ne peux tolérer que tu t'éloignes des années pour chercher à nous sauver pendant que nous ne faisons que contenir les assauts ennemis. A quoi bon chercher de nouveaux ents si rien ne subsiste pour les accueillir à leur retour ?
Personne n'osa répondre, Legolas lui-même ne sut quoi dire.
- Que Thillen soit inhumé dans le septuaire aux côtés des nobles de la cour. Il connaîtra tous les hommages de la cité pour son dévouement, déclara Jaheira à ses conseillers avant de tourner les talons. Que l'on prépare mon cheval, je dois me rendre à Minhiriath. Je dois informer une mère quant au décès de son fils.
- Bien ma dame, acquiesça une des conseillers en disposant.
- Ma reine, intervint à nouveau Kedrean.
La souveraine se tourna vers lui :
- Vous ne devriez pas faire ça... Votre hommage est honorable mais il peut aussi prêter à confusion. Votre attachement à Thillen pourrait être interprété comme un signe de faiblesse par les forces du Mal, on pourrait penser que ce jeune homme qu'ils ont pris était bien votre enfant...
- Qu'ils le pensent, cela ne m'importe guère.
- Ne dis pas cela, s'agaça Legolas. Nous ne pouvons attiser cette rumeur.
- Alors que devons-nous faire ?
- Il doit être enterré comme tout militaire et victime de guerre, lors d'une discrète cérémonie, appuya Legolas.
Elle le dévisagea.
- Je vous ai donné un ordre, insista-t-elle en s'adressant à ses conseillers, faisant fi de la remarque de son époux.
- Ma reine, d'honorables hommages lui seront rendus, mais je vous en conjure, ne déversez pas les foudres qui pourraient plus nous nuire que vous soulager, insista Kedrean avec justesse.
Les paroles du forgeron firent mouche. Jaheira se calma et acquiesça d'un signe de tête silencieux.
- Nous convoquerons le conseil prochainement, afin de discuter si oui ou non nous déclarons la guerre, c'est là un débat qui ne nécessite aucune précipitation, termina Legolas d'une voix posée.
La séance fut close et le Grand Conseil quitta la salle et se dispersa dans la cité.
Les deux souverains se retrouvèrent seuls et Legolas s'adressa à sa femme avec un détachement certain. Contrairement à ce que l'on pouvait penser, il n'était nullement en colère :
- Pensais-tu vraiment ce que tu as dit ?
- Que me conseilles-tu ?
- La guerre est inévitable, dit-il en se servant un verre de vin. Mais nous ne pouvons la précipiter par colère. Kedrean a raison, nous devons pour le moment ménager notre réaction afin qu'elle ne soit pas mal interprétée.
Il lui tendit un verre de vin, qu'elle refusa d'un geste de la main.
- Sois honnête avec moi : en tant que commandant des armées, en tant qu'homme de guerre : serions-nous en capacité de les vaincre ?
Legolas réfléchit. Elle était donc belle et bien sérieuse, elle voulait déclarer la guerre. Cette décision était certes précipitée, mais était le fruit d'une longue réflexion autour d'une soif de vengeance que Jaheira gardait ancrée en elle depuis des années. S'en prendre à ses proches était un acte de guerre qu'elle ne laisserait jamais passer, et cela demeurait parfaitement justifiée quand on connaissait toute la douleur que cela lui avait causé par le passé.
- Nous n'avons pas assez d'hommes... C'est bien trop dangereux..., déclara Legolas, pensif.
- Je connais ce regard, dit-elle en le regardant réfléchir. À quoi penses-tu ?
- Je sais qui pourrait nous aider dans cette quête.
Il ne pouvait détacher ses yeux du Nord de la carte, c'était un sujet qu'il avait déjà abordé ensemble.
- Legolas, il mène déjà sa propre guerre, c'est un trop lourd tribut.
- Son désir de vengeance est un feu qui le ronge bien plus que sa blessure Jaheira, et tu es bien placée pour le savoir.
La jeune femme regarda son époux en silence.
L'homme réfléchit encore un instant, termina son verre et le posa telle une sentence.
- Nous irons porter sa dépouille à Minhiriath, après, nous irons au Mirkwood.