CHAPITRE 19
Les heures passent et je n'arrive toujours pas à trouver le sommeil. L'idée que Sam ne rentrera jamais à la maison n'arrête pas de me trotter dans la tête et ça m'est insupportable. Je n'ai plus aucun argument à lui apporter pour le convaincre de revenir près de moi et je sais que je ne pourrai pas continuer à aller le voir comme ça indéfiniment. Mon corps ne le supportera pas, tout comme mon esprit ne pourra supporter la solitude que cela impliquera.
Je me retourne une fois de plus dans le lit de mon frère, enroulée dans la couette. Je m'aperçois que l'écran de mon téléphone est allumé. Je le saisis, les yeux à moitiés fermés, endoloris par la lumière aveuglante. Je l'approche de mon visage et constate que Raphaël a essayé de m'appeler à de nombreuses reprises ces vingt dernières minutes. Il aurait pu continuer pendant longtemps car mon téléphone était sur silencieux. Il m'a ensuite envoyé plusieurs messages que je m'empresse de lire, sentant qu'il se passe quelque chose. J'ouvre son dernier message :
« Mélo réponds c'est super important »
Je fais défiler la conversation pour afficher le message précédent :
« Mélo rappelle-moi j'ai trouvé quelque chose »
Là c'est vraiment sérieux, qu'a-t-il bien pu trouver ? Je poursuis ma lecture pour voir le premier message qu'il m'a envoyé :
« Je crois que je l'ai trouvé »
Je me redresse immédiatement dans mon lit. Je lis le message une deuxième fois pour être bien sûre puis je réponds :
« J'arrive »
Je ne prends même pas le temps de m'habiller, j'enfile un vieux pull par dessus mon pyjama puis dévale les escaliers à toute vitesse. Je ne m'inquiète pas une seule seconde de savoir si ma mère est à la maison, sans doute en train de dormir. Après avoir mis mes chaussures je me dirige vers le commissariat de police en essayant de marcher aussi vite que possible.
Sur le chemin de nombreuses questions s'entrechoquent dans mon crâne. Qu'à-t-il trouvé ? Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Est-ce que cela va me permettre de ramener mon frère à la maison ? Je n'en peux plus de cette attente, je presse le pas.
Lorsque j'arrive là-bas le soleil commence à se lever doucement et il n'y a presque pas de lumière, seulement celle du porche qui donne directement sur l'accueil. Je ne prends pas le temps de saluer le brigadier qui est de garde et me dirige vers le bureau où j'ai laissé Raphaël quelques heures plus tôt. Évidemment, l'agent m'interpelle :
Madame, vous ne pouvez pas entrer comme ça.
Aussitôt, une voix provenant du fond du couloir se fait entendre :
— C'est bon Jonathan, laisse-la passer.
Le brigadier détourne le regard et se remet à taper sur son clavier tandis que je rejoins Raphaël.
— Alors ?
— Tiens, regarde, me dit-t-il l'air grave en me tendant un papier.
Là je vois ce que j'espérais tant depuis plusieurs jours. Une photo de Patrick, sa tête en gros plan en dessous d'un titre écrit en gras.
— C'est lui !
— Oui, c'est bien ce que je me disais, mais j'ai eu un doute au début. Regarde le nom.
Je m'attarde sur le titre au-dessus de la photo.
« LA POLICE RECHERCHE ACTIVEMENT DAMIEN PLOCKRIT »
— C'est un avis de recherche ? Je ne comprends pas, c'est pourtant bien lui sur la photo.
— Je me suis dit que c'était peut-être le hasard et puis j'ai eu une commissaire au téléphone qui m'a dit qu'elle a reconnu l'homme sur la photo dans le dossier de Patrick et elle est sûre que c'est ce Damien Plockrit. Je me suis un peu creusé la tête et j'ai compris. C'est un anagramme. Si tu mélange toutes les lettres tu obtiens bien Patrick Domelin.
Je reste bouche bée et Raphaël me regarde avec insistance, ce n'est pas tout.
— Il faut que tu lises la suite Mélo, me dit-il en me tendant un article de journal.
Je saisis l'article et me mets à lire. Mes jambes se dérobent sous moi, je dois m'asseoir rapidement. Comment est-ce possible ? J'ai demandé à Raphaël de rechercher quelque chose contre Patrick mais jamais je n'aurai pu imaginer quelque chose pareil. Après lui avoir jeté un regard horrifié, je lis l'article une deuxième, puis une troisième fois.
MEURTRE DE DEUX FILLETTES EN BELGIQUE
Hier dans la soirée, un homme d'une trentaine d'années a poignardé ses deux filles après avoir étranglé leur mère. Le suspect nommé Damien Plockrit a prit la fuite suite à ce triple homicide. La police ignore toujours où il se trouve. Si vous avez la moindre information sur cet homme ou bien si vous savez où il se trouve, veuillez en faire part aux autorités. Si vous apercevez cet homme, n'intervenez pas et appelez la police au plus vite.
À cet instant je suis partagée entre un soulagement intense de tenir enfin la preuve que je cherchais depuis des jours. Mais je ressens également une peur effroyable à l'idée de savoir réellement qui est Patrick et de me dire que j'ai vécu avec lui pendant plusieurs années.
Non seulement je tiens enfin la preuve que Patrick n'est pas du tout celui qu'il prétend être mais j'ai maintenant la confirmation que ce mec est un monstre. Je dois absolument montrer ce que j'ai trouvé à ma mère et peut-être qu'elle me croira enfin.
Avant tout ça, je dois parler au commissaire, le convaincre de toute cette histoire et le pousser à faire des recherches au plus vite.
Ainsi, peut-être qu'ils enfermeront enfin ce monstre et Sam pourra rentrer à la maison. C'est tout ce qui m'importe pour le moment alors je laisse passer quelques minutes, le temps de reprendre mes esprits avant de penser à la suite des événements. Je me tourne finalement vers celui qui est là, près de moi depuis le début à m'aider du mieux qu'il peut.
— Qu'est-ce qu'on fait de ça maintenant ?
— Toi, rien du tout, je m'occupe de tout maintenant. J'ai mis le commissaire au courant et là j'attends l'arrivée de cette commissaire dont je t'ai parlé qui travaille pour Interpol. Je crois que c'est important pour elle d'arrêter Domelin. Enfin Plockrit, bref, peu importe. Je voulais juste que tu sois au courant de toute la vérité et je voulais surtout que tu saches que maintenant tout le monde vous crois, toi et ton frère.
— Merci beaucoup, merci pour tout.
— Tu ne sais pas à quel point c'était important pour moi de t'aider, bien plus que tu ne l'imagines.
En effet, je n'arrive pas vraiment à imaginer pourquoi il fait tout ça pour moi. Maintenant ça semble un peu plus logique du fait que nous avons la preuve que je dis la vérité depuis le début. Mais au début, j'accusais quand même un de ses collègues et pourtant il n'a pas douté de ma version des faits une seule fois.
Il y a quelque chose dans son regard, dans sa manière de me dire ça, quelque chose de plus profond, de plus personnel que ce que j'ai pu imaginer jusqu'alors. Je ne sais pas quoi répondre à son aveux si touchant alors je me contente de lui sourire.
—Tu ferais mieux de retourner te coucher, j'ai dû te réveiller en t'appelant.
— Non c'est bon, j'ai quelque chose à faire.
*****
À l'exact instant où mes pieds entrent en contact avec le sol de la forêt que je connais si bien maintenant, je me sens légère et sûre de moi comme jamais je ne l'ai été auparavant. Aujourd'hui est un autre jour et tout va changer. Je marche vite, d'un pas assuré. La nature est tellement dense dans le sous-bois que malgré mes nombreux passages, je n'ai jamais réussi à créer un vrai passage entre les arbres. À croire qu'à chaque fois j'emprunte un chemin différent.
Après de nombreuses minutes de marche, la cabane en bois commence à se dessiner entre les branches, une fois le chêne centenaire contourné. Quelques rayons de soleil arrivent à filtrer à travers la canopée. Pour la première fois depuis le départ de mon frère je me surprends à apprécier cette forêt, le bruit du vent se faufilant entre les feuilles. Même la façon dont la lumière éclaire la petite maison en bois lui donne une allure différente, un charme particulier. Si je vois les choses différemment c'est parce que je sais que je viens peut-être ici pour la dernière fois.
J'entre sans frapper et trouve Sam debout dans la pièce principale, tourné vers la porte d'un air inquiet.
— Mélo, tu pourrais prévenir, j'ai eu super peur.
Super accueil... je ne m'attendais pas vraiment à ça mais je ne vais pas me laisser démonter par sa mauvaise humeur quasi-constante ces derniers jours.
— Excuse-moi, j'étais trop pressée de te voir.
Je fais un pas vers lui et l'enlace de toutes mes forces.
— Ce n'est pas une raison, dit-il en me repoussant.
— Écoute Sam, je pense que tu vas bientôt pouvoir rentrer à la maison.
— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
— Avec Raphaël nous avons trouvé la photo de Patrick dans...
— Attends deux secondes. Raphaël ? C'est qui lui ?
— Il m'aide juste à coincer Patrick et on a...
— Tu lui a dit quoi ?
— Rien.
— Ne me mens pas, tu lui as dit où j'étais ?
— Mais non Sam arrête, il veut juste m'aider.
— Il sort d'où déjà ?
— Mais on s'en fiche, viens t'asseoir, on va pouvoir le coincer.
— Comment peux-tu faire confiance à un étranger ?
— Sam... fais-moi confiance un peu, ce n'est pas un étranger, il est lieutenant et il a parlé de tout ça au commissaire, ils sont de notre côté.
— Quoi ? Mais qu'est-ce que tu fais Mélo ? Je t'avais dit qu'il ne fallait pas aller voir la police. Si il sait que nous sommes après lui il va me tuer c'est sur !
— Je ne te comprends plus Sam, je fais tout ça pour toi, c'est toi qui veut absolument coincer Patrick. Ce n'est pas toi qui est tout seul à la maison à chercher une solution, seul avec maman qui dort et pleure tout le temps. Seul sans amis parce que tu ne peux rien dire à personne. Je n'en peux plus là, je suis venue pour te dire que nous avons trouvé de quoi mettre Patrick en prison pour le reste de sa vie.
— C'est toi qui ne comprends rien, si il sait que la police est après lui, je suis mort. Et non c'est sur que je ne suis pas tout seul à la maison, je suis tout seul ici, dans la forêt, seul dans cette cabane de merde, seul loin de toi.
— Je t'en supplie fais-moi confiance. Qui peut t'aider si ce n'est pas moi qui le fait ? Je comprends que tu ne veuilles pas que Patrick apprenne où tu es. Par contre je vois pas comment il pourrait s'en prendre à toi s'il sait que la police est à sa recherche. Tant qu'il ne sait pas que tu es là, tu es en sécurité. Et puis s'il sait qu'il est recherché il ne prendra pas le risque de revenir dans le coin alors tu n'as pas à t'en faire.
— Dans tous les cas je suis mort si ils ne l'arrêtent pas rapidement.
J'ai un peu de mal à comprendre ce qu'il raconte mais en même temps il semble avoir atteint le même état d'épuisement que moi, il doit se perdre un peu dans ce qu'il dit par moments.
— Ils vont l'arrêter Sam, je te le promets, sois encore un peu patient et on pourra rentrer à la maison, tous les deux. Reprendre notre vie comme avant.
Il ne répond pas mais ses yeux plongent dans les miens et pendant un fraction de seconde j'entrevois tout l'amour qu'il me porte. Un frisson agréable me parcoure la colonne vertébrale. Pendant cette fraction de seconde je ressens cet amour qui me manque tant depuis des jours, cette sensation que rien ne pourra m'arriver tant qu'il est à mes côtés. Toute cette histoire sera bientôt terminée et je pourrai enfin retrouver mon frère, ma moitié.
Suite à ce moment intense je décide de rentrer car je sais que nous sommes arrivés au bout de la discussion et que je ne partagerai rien de plus avec lui aujourd'hui. Avant de refermer la porte, je me tourne pour regarder mon frère une dernière fois. Il se tient juste derrière moi et me fixe intensément. Son regard est encore plus profond que le précédent, mais aussi plus douloureux.
— Mélo ?
— Oui ?
— Viens me chercher s'il te plaît.
— Promis je reviens vite.
Je referme la porte derrière moi et prends le chemin de la maison. Plus je marche, plus mes pensées deviennent confuses et la dernière phrase prononcée par Sam ne cesse de me revenir en tête. Que voulait-il dire par là ? Pourquoi « viens me chercher » et pas « reviens me chercher » ? Il a sûrement dû se tromper, ce ne serait pas la première fois. Il est vraiment tant qu'il rentre parce qu'il commence sérieusement à perdre la tête.
Je parviens à rentrer à la maison non sans efforts. Le trajet est de plus en plus pénible. La morosité m'a accompagné tout le long du chemin. C'est si dur de se retrouver seule face à soi-même, chaque jours pendant des heures.
Ma mère dort encore malgré qu'il soit bientôt midi. Je n'ai qu'une envie c'est d'aller la voir pour lui balancer tout ce que j'ai appris ce matin, lui montrer à quel point elle a été irresponsable de faire entrer Patrick dans notre maison. Mais je me dis finalement qu'il est préférable d'attendre encore un peu, elle a déjà beaucoup souffert ces derniers jours, j'ai peur que cette terrible nouvelle l'achève pour de bon.
Je n'ai plus sommeil, bien réveillée après cette excursion dans la fraîcheur matinale. Cependant, je ne sais pas quoi faire pour faire passer le temps alors je retourne m'allonger. Dans le lit de Sam, baignée par son odeur, je m'autorise enfin à rêver de son retour auprès de moi pour la première fois depuis tant de jours.