— Galenn, ouvre les yeux.
La voix est profonde et autoritaire. Malgré son inertie et son bien être, dans ce sommeil sans rêve ou cauchemar, le jeune homme s'éveille comme si les brumes de l'inconscience s'ouvraient devant lui. Tout d'abord ébloui par la lumière, il entrevoit ensuite une silhouette familière. Alors que son regard s'habitue aux reflets bleuâtres qui l'entourent, il reconnaît, avec étonnement, la silhouette et les longs cheveux d'écume du Géant.
— Virkonishev Fel Saadmar, comment puis-je me retrouver en ta présence ? Les Shoof te recherchent et s'inquiètent pour toi.
— Ils ne devraient pas s'inquiéter outre mesure, murmure profondément la voix de vagues et de houlis. Qui pourrait s'inquiéter pour un Géant des Mers ? Qui saurait me faire le moindre mal ?
— Des pêcheurs, d'autres géants...
— D'autres Géants, tiens ! ricane doucement Virko, j'aimerais bien plutôt.
Le géant s'assoit face à Galenn en se faisant de la même hauteur que lui. Galenn remarque alors que le sol est fait de sable pâle, sans aucune empreinte, l'ambiance est feutré et calme, sans bruit. L'air lourd l'empêche de faire des gestes brusques. Il ressent ses cheveux qui flottent autour de sa tête comme ceux du géant.
Sommes-nous au fond de la mer ?
Mais, il ne suffoque pas, ne se sent pas oppressé par la profondeur. Il est bien là où il se retrouve, face au géant, tous les deux assis en tailleur. Leur regards sont vis-à-vis, directement plongés l'un dans l'autre. Avec un vertige, Galenn tend la main pour toucher celle que le géant lui offre sans sourciller mais avec un sourire bienheureux.
— Tout est réel, murmure Galenn. Il n'y a pas de brume bleue...
— Oui, je dois avouer y être allé un peu fortement les fois précédentes.
— C'était toi ?
— Oui, avoue le Géant. Je dois m'excuser de la façon cavalière avec laquelle je t'ai lancé dans cette aventure. Je réalise que tu ne comprends pas le but, ton souhait comme tu l'as appelé avec Ja, car je n'ai pas eu le temps de tout te raconter.
— Mon souhait ? s'étonne l'homme de bronze. Tu nous as entendu ?
— J'entends bien des choses, tu sauras. Parfois plus que je ne le désire.
— Mais, où sommes-nous ? Où es-tu ? Pourquoi avoir abandonné la caverne ? Et les Shoof ?
— Mes chers petits amis, sourit le grand personnage avec des yeux attendris, comme ils vont me manquer. Non ! Ne m'interromps pas car je n'ai que peu de temps. Dis-leur que je ne les reverrai que dans un lointain futur. Cessez de me chercher, c'est inutile. Là, où je suis, vous ne pouvez venir et j'y ai des choses importantes à y faire. Voilà longtemps que je me préparais à ce moment et je vais bien. Dis-leur bien cela.
— Entendu Virko, je le leur dirai. Alors, pourquoi je suis venu près de toi, et non pas Lenn, qui est ton apprenti.
— Il ne l'est plus... Il est un Mage Shoof maintenant. Il ne le sait pas encore. Il le découvrira en osant des expériences, comme celle de t'endormir : j'avoue qu'il a bien joué !
— En effet, il m'a eu !
— Dis-lui qu'il est libre de mon enseignement : à lui de poursuivre sa quête du Savoir comme il l'a rêvé. Il sera bon et honnête. Talentueux aussi. Qu'il garde mon sac, il est à lui maintenant, ainsi que son contenu. Il s'ouvrira pour lui.
— S'il réussit à le transporter sans s'écraser au sol.
— Il trouvera à l'intérieur tout ce qu'il faut pour l'aider, ricane le Géant.
Un silence passe sans que les mains des deux êtres ne se laissent. Galenn a peur de la laisser, comme si ce contact lui prouvait la réalité de la situation.
— Tu diras aussi à Ja, Val et Xen de poursuivre leurs rêves, leur souhait à chacun. Ils y parviendront, avec certaines nuances et variations. Ja dans sa quête de découvertes et son désir d'une descendance, Val dans sa quête de savoirs divers et de connaissances insatiables et Xen, dans sa volonté de devenir protecteur de la bonté et de la beauté. Dans leurs quêtes, ils pourront t'aider à atteindre ton but, à réaliser ton destin.
— Mon destin, je ne le comprends pas. J'étais un guerrier qui ne se questionnait pas sur ma vie ou mon destin... enfin, avant d'être pris dans cette brume bleue. À partir de là, j'ai quasiment oublié mon épée et ma dague et je me suis retrouvé perdu dans cette réalité avec un Géant des mers, des Shoof, une caverne à l'écart du monde, de pierres de soin, des Bayous... bref, rien de tout cela n'existe n'est-ce pas ? Je suis dans un de mes rêves que j'oublierai ensuite...
— Non, c'est la réalité Galenn le Breïss...
— Je ne suis pas Breïss. Je laisse Ja dire cela car elle en ignore la signification. Je ne veux pas être Breïss.
— Je sais et je comprends. Tu as tes raisons, mais elle ne font pas le poids face au « Village » dont tu es destiné à devenir le Breïss. Leylias t'avais reconnu quand elle t'a recueilli, mais elle n'a pas eu le temps de t'informer avant de disparaître.
— Disparaître ! crie Galenn.
Il s'agite et tente de reprendre sa main mais sans pouvoir le faire. Elle reste obstinément collée à celle du géant.
— Elle a été tuée, crache-t-il au visage calme et impassible, mais il voit bien les cheveux d'écume du géant qui s'agitent nerveusement autour de lui, signalant son courroux.
— Tu as possiblement raison. Elle n'est plus dans le Royaume que tu as connu. Ni dans aucun de ceux que tu as visité.
— Cesse de parler en paraboles et dis-moi clairement la réalité, Géant ! s'impatiente le guerrier en posant sa main libre sur sa dague.
Le Géant ferme les yeux et prend un moment de réflexion. La rage de Galenn, devant son attitude ne fait qu'enfler et Virko en est conscient. Il doit le convaincre de s'investir dans cette quête. Il ne peut l'y obliger...
« Tu ne dois pas réagir de la sorte » gronde la voix du Géant dans la tête de Galenn qui s'inquiète un peu de sa santé mentale.
« Non, c'est réellement ma voix au fond de toi. Tu vas devoir me faire confiance Galenn le Breïss. Je ne peux pas tout expliquer. Mais je peux te faire voir les circonstances qui t'ont amené dans la forêt. Là où Leylias t'a trouvé. »
— Et qu'est-ce que j'en gagne ? Un autre voyage dans le temps ! D'autres questions ? Pourquoi j'accepterais ? Mourir pour un village qui me dévisage, me hait et veut me brûler vif ? Je suis un guerrier, un mercenaire. Peut-être que je ne veux que retrouver les champs de batailles, mon épée, mon arc et ma dague, des contrats très clairs sur un parchemin, des pièces dans mon sac, mon destrier et ma liberté. Pourquoi m'en faire pour l'origine de la couleur de ma peau et de mes tatouages ? Je ne les vois que lorsque j'enlève ma tunique et que je me regarde dans le reflet de l'eau !
Sa main est toujours prisonnière de celle de Virko, non : elle y est soudée ! Et le Géant devant lui qui ne bronche pas et semble de marbre ! Et encore cette voix dans sa tête qui lui répond :
« Alors Galenn le guerrier, écoute et regarde bien ce que je vais te montrer. Tu gagnes à apprendre qui tu es. À savoir ce que tu en feras par la suite : cela c'est ton affaire. Je t'ai cherché parmi les cinq Royaumes depuis longtemps. Lorsque j'écumais les mers et les berges au risque de ma vie, ou encore lorsque j'étais dans la caverne avec les Shoof, mon seul but était de te retrouver. C'était mon souhait. Enfin celui que le destin m'avait donné il y a longtemps. »
— Et tout à coup tu m'as trouvé ? Pourquoi maintenant ?
« En tuant l'Homme bleu, et en prenant la pierre noire aux trois Lunes, tu as réouvert un canal entre ma conscience et la tienne. Tu t'es manifesté à moi, puis je n'ai eu ensuite qu'à te conduire à Leylias pour te donner ta pierre de guérison. Et te ramener vers moi pour que je puisse guider à nouveau tes pas. »
— Donc, la brume bleue.... Et pour me guider, tu disparaîs au bord du lac ? Un beau coup d'éclat !
« Calme-toi. Ton esprit bouille de fureur et d'incompréhension. »
— Tu le serais si tu avais été enlevé à ta vie ...
Le géant ouvre les yeux, et sa voix gronde vers Galenn.
— Ceci n'était pas TA vie ! Tu es destiné à un plus grand rôle que de tuer pour quelques tributs que ce soit ! Que de vendre tes talents à des chefs imbus d'eux-mêmes et qui ne comprennent rien au sens de la vie et du destin. Détruire la vie d'inconnus, des ennemis, des hommes, des nains, des elfes, des gobelins, des hommes bleus... Admet que tu le pressentais Galenn ? Au fond de toi.
Les yeux bleus du guerrier s'attachent solidement à ceux du géant, qui semble avoir repris toute son imposante stature. En fait, lui-même se sent très grand.... Autour d'eux, plus de sable, mais un air lumineux, éthéré et lourd en même temps. Galenn prend le temps d'une introspection sur sa vie d'avant et puis, il l'a compare à la manière dont il s'est senti depuis l'épisode de l'Homme Bleu. Avec les Shoof, Ja, Xen, Lenn et Val. En présence du géant. Ces quelques jours dans la caverne ont entièrement changé sa façon d'être. Le guerrier implacable et imbu de lui-même, se cachant derrière des boutades pour ignorer ses rêves, ses déceptions et son absence de but ou de souhait qui en vaille vraiment la peine. Ne pas avoir de réponse à la simple question de ses origines l'impatiente bien souvent. D'où venir et où aller ? Et pourquoi ?
— Oui, admet-il calmement. Je le sentais, je le savais.
— Bien Gamin... alors maintenant me fais-tu confiance ?
Gamin... seule Leylias m'appelait ainsi ?
Sa main libre quitte la dague et se porte au sac contenant l'anneau de guérison en Malachite. Il est chaud et vivant sous se doigts. À son poignet le bracelet d'obsidienne le chatouille aussi.
Trouver qui je suis et ce que je dois faire de ma vie. Pourquoi pas ? Se contenter d'enlever des vies sur des champs de bataille... un bien triste sort. Je ne pouvais même pas dire cela à Ja.
— Vais-je pouvoir retrouver les Shoof ! Je ne veux pas les perdre de ma vie.
— En effet, il te sont de très bons compagnons. Oui, tu les retrouveras, tu auras un bon bout de chemin à faire. Tout ce que je veux te faire découvrir, c'est ton passé. Celui qui a dévié ta route de ton destin.
— Alors oui, Virkonishev Fel Saadmar, Géant des eaux, je suis prêt à t'écouter, dit Galenn, sereinement, en fixant les yeux d'agate du Géant des mers.
— Bien, mon petit guerrier ! déclare Virko en souriant, puis il dépose un anneau mauve aux traits blancs entre le doigts du jeune homme. Voilà qui t'aidera à faire le chemin avec moi. C'est de la charoïte, elle t'ouvrira l'esprit sur ton passé. Tu es prêt ?
— Allons-y, murmure le guerrier en fermant ses paupières.
"Alors, laisse ton esprit me suivre et je vais te montrer...
ouvre les yeux, Galenn »
La Charoïte est une pierre de transformation, qui délivre des peurs archaïques. Elle révèle les émotions négatives enfouies dans l'inconscient pour leur permettre de disparaître. Elle favorise la réalisation des aspirations de l'âme et facilite son chemin de vie.
La Charoïte est recommandée à toute personne qui doit faire face avec courage à une épreuve ou une situation difficile, c'est une excellente pierre d'épuration des mémoires et d'émotions négatives inconscientes. Cette pierre est très efficace dans les cas de cauchemars, d'angoisses nocturnes.