Chapitre 19 - Le Désert

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La sensation de conquérant que Galenn ressentait lorsqu'il a pris la tête de son petit groupe s'est quelques peu évanouie.  En effet, le chemin à parcourir, qui lui avait semblé si facile lors des instructions données par Virko, se révèle plutôt nébuleux et chargé d'embûches et de difficultés de toutes sorte.

Tout a commencé par la remontée de la rivière qui se jette dans l'océan.  Au début, une lente rivière, qu'ils remontent par la rive sablonneuse, encombrée par de grandes racines mousseuses ou des rochers rongés par les vagues continuelles qui érodent les rochers.  Les seuls grands dangers sont les moustiques, en bandes nombreuses et le risque aussi de glisser dans l'eau.  Une eau très accueillante cependant, dans laquelle ils se sont baignés à tour de rôle, enlevant poussières, sueurs et piqûres de mouche qui démangent activement.  Se désaltérant à plus soif de cette eau limpide et froide.

La rivière offre aussi des ressources alimentaires, du poisson en abondance, ce qui donne le réflexe à Galenn de surveiller les alentours pour détecter la présence des ours.  À la fin de la première journée, ils s'octroient même le luxe de se chauffer à la chaleur d'une boule de lave, que Val est allée chercher sous la voûte rocheuse du sol.  Ils s'assoient en cercle autour de la source bienfaisante de chaleur qui permet à Val de cuir le poisson, lequel a été pêché par Xen avec un harpon que Mikral lui avait confectionné sur le Géant.

La nuit suivante, les rescapés peuvent se reposer relativement bien, malgré la pluie qui les réveille au matin. 

Le levée est donc empreint d'une pluie constante et de cheveux plaqués sur le visage. Et c'est sous ce rideau de pluie que le groupe de trois femmes, cinq hommes et quatre Shoof, continue leur chemin.

Au détour d'un coude de la rivière , ils constatent qu'ils vont devoir bifurquer vers la forêt ou alors s'imposer une escalade dans les rochers le long de la berge de la rivière.  Avec l'expérience d'escalade passée, ils choisissent la forêt.

C'est donc dans une forêt de feuillus, qui forment une toit naturel au dessus de leur tête, ce qui tempère la pluie, qu'ils continuent à se diriger vers la source de la rivière.  Cette source, un lac, devrait permettre de trouver le Village où Galenn a grandit ainsi que la hutte de Leylias la Breïss.  De là, Virko a expliqué à Galenn le chemin et ils seront à même de trouver les falaises blanches, qui cintrent la Royaume des Trois Lunes.  La marche est plus facile et agréable et, pour la première fois depuis le naufrage, ils ont le temps d'échanger un peu.

—    Cette forêt te rappelle des souvenirs Galenn ? demande Val sur l'épaule de Kalya.
—    Je ne sais pas trop, peut-être.  Lorsque j'étais enfant, je me baladais entre la cabane de Leylias et le Village mais c'est à peu près tout.  Cette forêt est très vieille, les arbres sont grands.  C'est comme si tout a vieilli depuis...
—    Le temps magique, souffle Kalya.
—    C'est vrai, les temps réel et magique n'ont pas la même dimension temporelle.
—    Ce qui veut dire ? demande Len intéressé.
—    Que le nombre de saisons écoulées ici est plus grand ou plus petit que celui que j'ai vécu lors de nos échanges avec les géants ou le Mage, répond Galenn.  Cela dépend de je ne sais quelle raison.  Ainsi hier, mon aventure avec les géants contre Trichko Vélo Thoor, le Géant qui nous attaquait sur la falaise, a été de plusieurs journées.  Un combat qui a impliqué nos deux géants ainsi que d'autres rescapés de d'autres villages qui tentaient de se débarrasser de lui.  Alors que pour vous, ce n'était qu'une partie de nuit.

—    Donc, il y a encore des habitants qui survivent sur le continent.
—    Sûrement.  Mais ce que je pense, c'est que ceux du village ne sont plus là depuis longtemps.  Leylias la Breïss n'a donné aucune chance à l'ennemi qui les attaquait ni au village en entier, ou ce qui en restait.
—    Galenn... fait Ja en roucoulant.
—    Ça va aller, je le sais depuis longtemps, répond-il la voix rauque.  Voir ma Breïss se sacrifier pour ce village qui ne m'avait jamais accepté pour ce que j'étais et qui a voulu me brûler vivant pour calmer une épidémie chez leurs garçons, cela a été assez difficile à accepter. 
—    C'est la raison pour laquelle tu as quitté la région ?
—    Oui.  Je me suis ensuite entraîné auprès des plus grands guerriers, ou plutôt des mercenaires les plus vaillants,  De ceux qui ne s'allient à aucune cause. Je suis devenue Galenn le Mercenaire.
—    Et maintenant. ? demande Kalya.
—    J'ai changé de point de vue, par la force des choses, ou plutôt celle de Virkonishev Fel Saadmar, qui m'a montré mes origines que j'ignorais.
—    Tu aurais pu ignorer ces origines et continuer ton chemin ? remarque Val.
—    Avec l'action de la brume bleue ... recevoir les pierres, rencontrer les Shoof et les Géants eux-mêmes ... cela métamorphose la façon de voir ce monde.  De la place que je dois... non ! que j'y occupe.
—    Et toi Kalya, demande Xen, tu es aussi une guerrière, tu aurais pu continuer à naviguer sans vraiment te casser la tête .
—    Oui, j'aurais pu, répond-elle en réfléchissant, mais rappelez-vous, j'étais sans souvenir et sans vue.  C'est le voyage magique, plutôt le « kidnapping » du Mage Handkili, qui m'a « ouvert » les yeux !  En fait, le sauvetage de Galenn et de vous.  Moi aussi, j'ai un passé, qui revient dans ma tête tranquillement.
—    Ah oui... fait Galenn, au fait raconte-nous.
—    D'accord.  Et bien... il y avait mon frère... qui était le roi du Royaume de la Frontière des Eaux. Mes trois sœurs qui s'intéressaient soit à la magie, à la gestion de nos ressources ou simplement à se marier avec un beau jeune homme d'un autre royaume,  Mais nous savions toutes nous battre et nous nous préparions pour protéger notre Royaume.  J'étais la plus jeune, une toute jeune enfant et Pall, mon frère, a voulu me protéger.  Il m'a cachée -de force- dans un tonneau magique sur un bateau de marchandise vers le royaume des Cités.
—    Seule ? demande Ja en tremblotant.
—    Oui, j'avais avec moi le grimoire de ma famille et le collier de la Perle.  Le bateau a été détruit, le grimoire perdu.  J'ai sauvé la Perle et je me suis retrouvée naufragée sur une barge de fortune, la perle dans la main, aveugle et sans souvenir.
—    Pauvre Kalya, roucoule Ja.
—    Comment t'es tu retrouvée sur le Géant ? demande Xen.
—    Le Géant des eaux Girkolich Fel Frataü, était prisonnier du récif de corail par un sort de Handkili. Ce récif borde le Royaume des Cités.  Ma pierre est tombée dans les eaux car j'étais à bout de force.  L'aura magique qu'elle possède l'a libéré.  Et il m'a amené jusqu'aux frontières de l'autre continent, en me confiant à Mikral et m'octroyant le pouvoir d'Auditrice des eaux.  Mikral et moi, nous avons acquis le Navire,  nous l'avons rafistolé, monté l'équipage et voilà :  le Géant est né.  Mais le vrai Géant des eaux a decidé de protéger l'autre continent du Mage Handkili avec le Miroir.  Mois seule pouvait le traverser grâce à ma pierre.

—    Mais pourquoi je t'ai retrouvé dans la dimension magique ? demande Galenn.
—    La perle était encore sous l'emprise partielle de Handkili.  L'utilisation de la Perle m'amenait chaque fois dans la dimension magique et j'avais chaque fois plus de misère à revenir. Mais l'action de Galenn, avec vous mes Shoof, m'a redonné entièrement le contrôle de la Perle de ma famille et mes yeux du même coup !
—    Tu ne seras plus jamais prisonnière dans cette dimension. 
—    Je le souhaite.

Ils continuent leur chemin sous la canopée.  Au fil de leur progression, le sous bois a une pente de plus en plus forte.  Ils gardent leur souffle et ne jasent plus.  La forêt s'éclaircie et la pluie cesse enfin.  Le Soleil darde de plus en plus ses rayons sur eux.  Une brume monte du sol, et cache le paysage en avant. 

Puis, lorsque le groupe de rescapés atteint le haut de la montagne, la brume disparaît et  ils ont la surprise de voir s'étaler devant eux une large étendue désertique dans une vallée.

Aucune source d'eau !  La rivière n'a donc aucune source en haut de ce chemin qu'ils ont si difficilement parcouru.  Ils se dirigent vers la direction où devrait se trouver le cours d'eau qu'ils ont parcourut plus bas, vers la droite.  Mais ils marchent sans arrêt, en haut de la montagne et ne voient devant eux qu'une large étendue de sable beige et rouge... un désert battu par le vent et chauffé par un soleil dans un ciel sans nuage.

Où est le Village, la Hutte de Leylias ?

Comment ce désert a-t-il pu envahir ces lieux en si peu de temps ?  Même en comptant sur le déséquilibre temporel entre les espaces réel et magique, cela ne peut pas tout expliquer...

La journée s'achève, le soleil se couche et les deux lunes se lèvent, bientôt suivies par la troisième.  Épuisé et assoiffé de nouveau, le groupe s'installe à l'orée du bois, sous de maigres arbrisseaux.

—    Nous devons nous reposer, fait Hall un des hommes de l'équipage.  Peut être redescendre un peu et aller rejoindre la rivière.
—    Oui, Capitaine, la rivière nous offrait de quoi boire et manger, complète Manka.
—    Redescendons, appuie Milan et Gia.

Tout ce qui reste de l'équipage fait front commun devant leur Capitaine, épuisé par la longue marche et les derniers événements.  Kalya regarde Galenn, qui lèvent les épaules, la laissant décider.

—    Entendu, nous redescendons un peu pour retrouver la rivière, le temps de se reposer,  de se désaltérer et pour trouver à manger.  Demain, nous remonterons pour chercher le Village.

Le groupe recommence à descendre, rêvant déjà de l'eau fraîche et douce, du poisson onctueux et goûteux.  Le chemin n'est pas aisé, les rayons de lunes jouant à se cacher derrière les arbres.

Mais à quelque pas sous la crête de la montagne... leurs pieds s'envasent de plus en plus, les arbres se font rares et finalement devant eux : une pente de sable qui s'étire en un désert qui va jusqu'à la mer.

La forêt et la rivière ont disparues !

Galenn - Le chemin des PierresWhere stories live. Discover now