Chapitre 14 - Le Guerrier

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Galenn dépose son sac de cuir qu'il porte au cou et en sort les pierres : la Malachite et la Charoïte. Il pose à leurs côtés le bracelet d'Obsidienne. Il explique ensuite :

— Voilà les traces de mon chemin depuis ma dernière bataille. J'ai pris ce bracelet d'un homme à la peau bleue dont j'ai coupé la tête afin de mettre un terme à une guerre dont j'ignore encore tous les tenants et aboutissants.  J'ai galopé sur le destrier de l'homme à qui j'avais enlevé la vie, comme tant d'autres avant lui,  afin de montrer la tête de leur chef à ses guerriers, vaincus, inertes.  Et son armée s'est retirée. Grâce à ce geste, mon « armée » était vainqueure.  En fait... je ne sais même plus pour qui je me battais. 

La voix de Galenn s'éteint alors que derrière ses yeux bleus, il se perd dans ses pensées. Kalya tend la main sur la table et palpe avec concentration le bracelet.  Ses doigts s'attardent sur les fines gravures sur l'obsidienne.

— Qu'est-ce ? demande-t-elle.
— Un dessin des trois Lunes.  Il est identique au tatouage qui se retrouve dans mon cou, répond le jeune homme.
— Quel est le lien avec toi, Guerrier ?
— Je l'ignore, Capitaine.  Je suis un Mercenaire depuis que j'ai quitté l'âge de l'innocence, c'est-à-dire très jeune.  J'ai vendu mon épée au plus offrant.  J'avais décidé d'être le plus fort et le gagnant en tout combat.  Ne jamais plier, ne jamais douter et vaincre.

Galenn pousse un soupir et baisse la tête.

— C'est ainsi que je me suis retrouvé, sans scrupule, à couper la tête d'hommes qu'on m'avait désigné comme ennemis, à les prendre par les cheveux et à les brandir face à leurs hommes vaincus. Cet homme à la peau bleue, je réalise, trop tard, qu'il était sûrement la seule personne qui aurait pu, même avec méchanceté, m'apprendre mes véritables origines.

Ja, qui écoute attentivement, joint ses petites mains et retient des larmes de compassion pour son ami Galenn qui semble dévoiler avec hésitation sa ligne de vie devant leurs yeux.  Elle en ressent la douleur et la peur du jugement qui a souvent été son propre lot dans son clan.     

— Où étais-tu lors de cette bataille ?
— Sur l'autre continent, Capitaine.
— Donc, tu étais un Guerrier. C'est un fait que j'accepte volontiers, aux vus de ton apparence.  Mais, pourquoi alors es-tu venu ici ?
— Je n'ai jamais voulu venir ici.  Sur le champ de bataille, j'ai été pris dans l'emprise d'une brume bleue qui m'a transportée ailleurs...
— Attends !  Une brume bleue ?
— Oui, bleu comme le ciel, répond Galenn surpris de voir la Capitaine s'attarder à une couleur.

Un silence passe. Les yeux de la capitaine le scrute avec une insistance qui le met mal à l'aise...
Elle est aveugle ! se raisonne Galenn.

— Bien, continue.  Tu disais que la brume t'a transporté ailleurs ? Une magie, voilà ce que c'était.
— Mais je n'ai, ou n'avais alors, aucun lien avec la magie d'aucune sorte.  Du moins pas depuis mon enfance.  Je ne demandais rien que mon épée, ma dague et des combats...

Le Guerrier hésite à continuer son récit. Car de la magie, il y en a dans la suite de son récit.

Vont-ils me croire ?

— Et puis cette brume m'a incorporé dans mon corps de jeune enfant pour revoir ma Mia, Leylias la Breïss.  Celle qui m'a élevé jusqu'au début de mon adolescence.
—  Incorporé... fait le quartier maître avec suspicion, dans le sens de prendre le corps de quelqu'un ?
—  Oui.  Et le plus fou, c'est que ma Mia Leylias le savait et m'a donné cet anneau de Malachite pour m'aider à guérir... ou à me guérir. De quoi ? Je ne crois pas que cela soit de blessures réelles car je ne suis pas bon guérisseur, elle n'a pas su m'apprendre ou bien tout jeune, j'étais trop mauvais pour bien apprendre cet art. Après la rencontre avec ma Mia, la brume bleue m'a ensuite ramené sur la plage près de la caverne des Shoof.
—  Et de Virko ! fait Ja, incapable de se taire comme toujours.
—  Ja... souffle Val.
—  Oui, j'y arrive, sourit Galenn.  Dans la caverne j'ai rencontré les Shoof, des créatures dont j'ignorais l'existence. Car il n'y en a pas sur l'autre continent. En connaissais-tu avant, Kalya ?
—  Non, j'avoue que bien des créatures de ce continent me sont inconnues. Au début, je pensais que je ne les connaissais pas car j'avais oublié... jusqu'à ce qu'on me dise la même chose que toi.  Je ne les connaissais pas du tout, alors que pour ceux d'ici, ce sont des créatures communes et connues.
— Exactement comme pour moi, sourit Galenn désabusé. Des Shoof ! Des Bayous ?  Des Géants ?
— Non... je ne connaissais aucun d'eux moi aussi, pas avant.
— Moi non plus.
— De quel Géant parles-tu ?
— Un Géant des Mers, Virkonishev Fel Saadmar, qui vivait dans la caverne avec les Shoof. En fait, j'ai compris par la suite que c'est lui qui m'a transporté avec la brume bleue afin de me faire parcourir un chemin de transformations, de découvertes dans le temps, vers ma Breïss, puis l'espace, en m'amenant à lui sur un autre continent. Avec la brume bleue, il m'a fait quitter le continent des Cinq Royaumes et amené ici. 
—  Mais pourquoi ? fait le quartier maître.
—  Je soupçonne maintenant que cela a un rapport avec mon identité, celle de mes origines ou le fait qu'il y a un sixième Royaume, celui des Trois Lunes.
—  Et voilà qu'il y en a six ! fait Mikral en hochant la tête.
—  Oui ! affirme Galenn. Et j'en fais partie. Le Géant m'a révélé mon origine en me donnant cette Charoïte !  La pierre qui permet de perdre ses idées négatives et d'accepter son passé.  Il m'a fait revivre celui-ci et ouvert les yeux sur mon identité initiale.
—  Et ? demande la Capitaine.
—  Je veux en savoir davantage : retourner sur le continent des Cinq Royaumes pour rejoindre l'endroit où le Géant m'a récupéré bébé avant de m'amener à Leylias la Breïss.
—    Attends !  Il t'a déjà sauvé bébé ? s'étonne le vieux barbu.
—    Oui.  Il m'a confié à un village, puis à Leylias. Ensuite, il m'a perdu de vue quand ma Breïss s'est fait tuée. Puis, quand j'ai repris le bracelet à l'Homme bleu, bijou qui, j'en ai eu la vision, appartenait probablement à ma mère.  Cela a alerté les sens du géant Virko. En usant de sa magie, il m'a ramené sur un chemin pour que je parte à la recherche de mon identité.
—  Donc, l'homme bleu a pris le bracelet à ta mère ? demande Val.
—  Non !  Euh... oui, c'est fort probable...
—  Tu l'as récupéré... fait Lenn.  Tu nous as dit que le Royaume des Trois Lunes était attaqué... donc c'était par lui ! Puisqu'il avait le bracelet.
—  Comment en être sûr ? se demande Galenn.
—  Virko saurait comment, assure Ja.
—  Et il pourrait aussi nous guider vers la falaise blanche que nous cherchons, ajoute Val.
—  Une falaise blanche ? demande Mikral.
—  Oui, c'est là que Galenn-bébé est tombé lorsqu'on a tenté de le faire s'échapper du Royaume des Trois Lunes qui se faisait attaquer, réponds Val.
—  Par une armée dont l'homme bleu faisait partie, ajoute Lenn.
—  Qui a pris le bracelet d'obsidienne gravé, complète Ja.
—  Et c'est pour cela qu'on doit aller sur l'autre continent, car des falaises blanches, il n'y en a pas par ici, commente Xen, foi de Shoof !
—  Et près de cette falaise, nous chercherons le talisman de cristal que la mère de Galenn lui a légué, commente Val.
—  Pourquoi ? demande Mikral.
—  Pour retrouver l'emplacement du Royaume des Trois Lunes, répond Lenn.
—  Vous l'avez donc oublié vous aussi ! conclue Mikral.  Mais vous les Shoof, vous êtes d'ici ?
—  Non... tout le monde a oublié le sixième Royaume, répond Xen.  Celui des Trois Lunes, personne ne s'en souvient,  ni les habitants de ce Continent ni ceux de celui de Galenn.
—  C'est maaagiiique, ajoute Ja en agitant ses petits doigts.
—  Voilà pourquoi aussi... commence Galenn incertain.  Enfin... peut être est-ce la raison pour laquelle l'Autre Continent apparaît vide.  Il y a un sort qui l'entoure et le masque aux yeux et aux mémoires.
— Si notre Géant était là, se plaint Ja.  Il saurait.
— Où est-il ? demande le second.
— Loin... répond Galenn. Et occupé, souffle-t-il.
— Je connais un autre Géant, déclare Kalya qui n'a pas dit un mot durant toute cette cascade de questions-réponses.

Galenn et les Shoof la regardent avec surprise.

— Ah oui ? questionne Val.
— Kalya ? murmure Mikral
— Oui, un autre Géant, répond la jeune brunette, le visage décidé.  Différent du vôtre selon vos descriptions, mais il va nous aider.... Second Maître  !  On prépare l'arrimage.
—  À tes ordres Capitaine, répond Mikral en quittant les quartiers d'un pas vif.

La jeune femme, se lève et pose de nouveau l'extrémité de son bâton sans aucune hésitation sur la poitrine de Galenn.  Les yeux foncés plongent dans les iris bleus de l'homme bronzé :

—   Galenn de l'Autre continent, ne t'avise pas de m'avoir menti sur tes origines car sinon, je te plonge direct dans le Miroir.

Puis, elle quitte ses quartiers un heurtant un peu le cadre de la porte avec son épaule.

—  Ouch ! fait-elle avant de sortir en relevant la tête, le bâton vérifiant le passage devant elle.

Galenn est resté bouche bée face à sa menace et la pointe du bâton lui a sûrement laissé un bleu sur la poitrine. 

—   J'aurais juré qu'elle te voyait vraiment ! glisse Xen.
—   Moi aussi, mais elle est aveugle, riposte Lenn.
—   Dites cela à mes côtes, se plaint Galenn.  Son bâton savait où j'étais, exactement où !

Galenn empoche ses pierres et remet son bracelet en vitesse, puis se dirige vers le pont du navire.

—   Mais venez, les Shoof !  Elle me croit : c'est l'essentiel.  Et je veux savoir ce qu'est l'arrimage.
—   Un autre navire ? propose Lenn
—   Sur ce plat ? riposte Xen alors qu'ils atteignent l'air libre du premier pont.
—   Mais je ne vois rien, réplique Ja qui est montée de nouveau sur l'épaule de Galenn et qui scrute l'horizon.
—   On ne te quitte plus en tous cas, Galenn, conclue Val, en prenant place sur l'autre épaule.

Et Lenn grimpe sans permission sur les épaules de Xen pour tenter de voir plus haut.

—   Tu veux qu'on grimpe dans un mât ? lui demande Xen, aigre-doux.
—   Ah, bonne idée ! répond Lenn naïvement.

D'un geste leste Xen accroche son ami à un gréement qui pend et libère habilement le contre poids. Entraîné par l'effet de contre balance, Lenn se retrouve rapidement à la hauteur du bas de la première voile.
—   Aidez-moi ! crie le petit Shoof.
—   Tu nous diras ce que tu vois petit Mage, lui crie Xen en riant.
—   Xen ! fait Val avec un ton de reproche.
—   Il m'agace parfois, réplique le Shoof guerrier.
—   Mais soit conscient que tu es le plus fort, fait Ja. Len n'est pas de ta force.
—   Hey ! Galenn, les Shoof ! leur cri Lenn.  Je vois un Géant des Mers.
—   Où ça ? demandent-t-ils presque tous en même temps.
—   Dans la mer, droit devant !

Galenn - Le chemin des PierresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant