Isabela Murton partait aux soirées, mais elle n'en organisait pas. Faire une chose pareille nécessitait un certain niveau de popularité qu'elle n'avait pas et qu'elle n'enviait pas non plus. Mais sa sœur par contre, la belle Imelda, elle en avait fait, des soirées dans leur maison familiale. Il fallait avouer que c'était l'endroit idéal. La pièce à vivre était spacieuse, le jardin était parfait pour accueillir des gens les soirs d'été et la plage était tout à fait accessible. Cependant, quand elle faisait des soirées à la maison, Isabela n'était jamais là. Elle en profitait souvent pour rester chez Sinead, se faire une p'tite soirée fille avec sa très proche amie.
Mais les choses allaient changer, maintenant que Luke était là dans son salon, lui annonçant haut et fort :
"J'veux faire une soirée d'adieux pour Michael. Et chez toi ce serait plutôt cool."
En vrai, elle n'avait aucune raison de dire non. Elle savait que seule les personnes véritablement proches de Michael y serait, et puis elle aurait de l'aide pour tout organiser et tout ranger. Mais elle hésitait quand même, probablement car elle n'avait pas la moindre idée de ce que c'était réellement que d'organiser une soirée. Ceci étant dit, elle avait un sacré avantage de son côté : Ashton Irwin était réputé pour être un organisateur hors-pair. Marquer les esprits en l'espace de quelques heures ? C'était tout juste sa spécialité. Et puis Calum était une bonne âme prêt à aider, et pour le coup, il allait être parfaitement utile. Manquait plus que l'approbation de la mère d'Isabela, mais ça aussi c'était chose faite avec un peu de chantage émotionnelle. Certes, ce n'était point là la manière la plus humble de faire les choses, mais la belle brune pensait tout à fait légitime de tirer avantage de sa situation familiale actuelle. Au prix d'abandonner sa fille à un moment décisif de sa vie, ça valait bien le coup de la laisser faire une petite fête d'adieu pour son ami proche. En bref, aucun obstacle ne semblait insurmontable à l'exécution de l'idée de Luke, et ça le rendait plus que ravi.
"Faut juste que je contacte tous ses potes, mais genre ses "potes" potes, conclut le blond en se posant sur le canapé à côté de la brune.
Celle-ci caressait distraitement le chien, donnant toute son attention au blond.
- Et moi je vais demander à ma mère, elle ajouta.
Le jeune homme la regarda, sourire aux lèvres.
- Ça va être dingue, tu verras.
Elle hocha la tête puis porta son regard sur Ashton et Calum, tous deux assis en face.
- Ça changera de nos soirées du dimanche habituelles, leur dit-elle.
- On ne s'en plaint pas...
- Et puis si ça nous donne l'occasion de te voir pompette encore une fois, ça nous fait d'autant plus plaisir.
En réponse, elle lança un coussin dans la direction du brun mais elle le rata de près et eut Ashton en pleine face. Celui-ci grogna sur le coup, avant de faire la grimace en entendant pratiquement tout le monde rire.
- Apprends à viser Murton !
- C'n'est pas mon truc Irwin, tu m'en excuseras.
Un p'tit sourire malicieux aux lèvres, elle se fit un plaisir de voir le grand Ashton Irwin sans voix. Comme quoi, elle s'habituait bien à voir ce garçon bougon.
- Alors Luke, c'est quoi le plan ? Demanda-t-elle en se tournant vers le blond.
Celui-ci se gratta le menton, essayant de savoir par où commencer. Pour le coup, son cerveau marchait à toute vitesse. Mais c'était que ça lui rendait heureux, que de faire cette soirée en l'honneur de son meilleur ami. Michael méritait le meilleur des adieux, surtout en ce moment où il avait l'impression d'être une déception ambulante. Il n'était peut-être pas l'idéal de perfection que voulaient ses parents, mais aux yeux de ses amis, il était une âme unique qui devait être célébré. Et quand il s'agissait de montrer son affection aux autres, Luke savait parfaitement s'y faire.
- Je m'occupe des boissons, bien évidemment, déclara-t-il, et des invités. Et de Michael. Je pense qu'on cotise tous pour à manger. C'est tout. Je vous laisse la déco, la musique et tout le reste.
Ashton, Calum et Isabela hochèrent de la tête affirmativement.
- On fait ça quand ? Demanda la brune.
Question importante. Ils n'avaient même pas décidé du jour de la fête. Mais il n'y avait pas grand choix non plus; le blond s'envolait le jeudi, le lundi et le mardi étant réservé au passage à l'an prochain, il ne restait que le dimanche comme option. Soit...
- Demain, on n'a pas d'autre date, répondit Luke.
Isabela le fixa, assimilant ce que ça voulait signifiait. En gros, il n'avait pas beaucoup de temps pour tout préparer. Ça commençait à la stresser, elle qui était du genre à laisser trainer les choses. Cette fois-ci, elle n'avait pas le choix. Ils n'avaient pas plus de vingt-quatre heures pour organiser une soirée d'adieu à la hauteur d'une personne comme Michael Clifford.
- Va falloir s'y mettre maintenant, sinon les supermarchés ferment tôt les dimanches.
Et sur ses paroles, les quatre compères s'échangèrent un long regard avant de se mettre debout. Ni plus ni moins, la brune se munit de sacs et chacun prit son porte-monnaie. À peine eurent-ils le temps de discuter de ce qui allait se faire qu'ils se retrouvaient déjà à se ruer au plus proche commerce, et probablement allaient-ils passer le reste de la soirée à préparer le lendemain. Et si Calum et Ashton espéraient un changement dans leur petite routine de vacanciers, ils étaient largement servis.
Il s'apprêtaient donc à sortir, lorsque le Néo-Zélandais souleva un point important.
- On fait quoi de lui ? Questionna-t-il en pointant du doigt la boule de poil qui remuait la queue à la vue de tant de mouvements.
Isabela regarda Zen, le chien, puis ses amis et dans un haussement d'épaule elle répondit :
- On l'emmène avec nous."
Michael se réveillait tard ces derniers jours. Enfin, d'ordinaire déjà, il n'était pas du matin. Et étant en vacances, il ne se dérangeait pas à sortir du lit avant l'heure du déjeuner. "La journée appartient à ceux qui se lèvent tôt" disait-on, à quoi il répondait, pour reprendre les termes exactes, que c'était "de la grosse merde". En gros, il ne fallait pas le retirer des bras de Morphée avant les dernières heures de la matinée. Mais, là maintenant, à cinq jours de son départ, il était plutôt occupé dès qu'il se retrouvait sur pieds. C'étaient les démarches de dernières minutes, la paperasse à remplir avant de mettre un pied sur le sol américain. Il fallait bien le reconnaître : il n'avait pas choisi le pays le plus accueillant du monde pour sa vie future. Mais quand on était déterminé, aucune formalité ne paraissait trop agaçante.
Le seul petit hic était qu'il ne verrait pas ses parents une dernière fois avant de partir. Et ça, même s'il le cachait très bien, le rongeait.
Mais bon, rien ne pouvait se passer dans l'idéal, et il s'en rendait bien compte. Il n'avait qu'à observer la vie de ses plus proches amis : entre Luke qui ne savait pour sûr si ses parents l'aimaient encore, Isabela qui avait été elle aussi laissée pour compte par sa famille, Myriam qui s'était disputé avec son père à cause de son orientation, Rakesh dont les parents refusaient de lui payer ses études en sport... C'était que rien n'était parfait pour personne. Et dans ce sens, il se sentait moins comme l'outsider qu'il était d'habitude.
Il n'avait pas que ça en tête - il réalisait peu à peu qu'il était sur le point de débuter une nouvelle vie à l'autre bout du monde. Et il avait encore de choses inachevées dans ce pays, partir revenait à fuir et ce n'était pas là la fin qu'il espérait à certains de ses tourments. Du haut de ses vingt ans, Michael imaginait qu'il aurait acquis la maturité nécessaire pour résoudre certains de ses problèmes de manière réfléchie et efficace; mais visiblement, il avait préféré retarder les dénouements. Résultats : il s'en irait sans avoir pu régler ses problèmes relationnelles, ses problèmes de cœur. Certes, il finirait par retourner au Cap à un moment ou un autre, tout dépendait de ses parents et de s'ils avaient l'intention de retourner définitivement à Sydney une fois leur fils parti. Mais ne réalisait que maintenant que, s'il avait pris sa vie en main plus tôt, il aurait probablement été une autre personne à l'heure actuelle.
Mais justement, là était tout le but de son envolé vers une terre inconnue. C'était le moment ou jamais pour lui de devenir une autre personne.
Isabela marchait dans le silence, ramenant le chien de son père chez lui en compagnie d'Ashton. C'était un peu par choix qu'elle avait laissé Calum seul chez elle avec Luke, de quoi leur donner l'occasion de devenir potes. En théorie, ça ne devrait pas être bien compliqué sachant qu'ils étaient tous les deux des personnes plutôt sympathiques. Et puis, elle se donnait un peu de temps pour discuter avec son meilleur ami, chose dont elle avait besoin en ce moment précis. Elle aimait bien l'avoir là, physiquement auprès d'elle, mais bizarrement la proximité qu'il y avait entre eux lorsque leur amitié n'était que virtuelle semblait un peu manquer. Peut-être qu'elle avait plus peur de parler quand il était là, que savoir qu'il n'y avait plus de barrière entre eux l'empêchait de s'ouvrir à lui. Alors en ce moment précis, lorsqu'elle se retrouva seul avec lui, elle pensa qu'elle n'avait peut-être rien à craindre au final. Ce n'était qu'Ashton, son soleil.
"Ça va toi en ce moment ?"
La voix du jeune homme interrompit le silence qui régnait entre eux. Isabela se tourna vers son visage éclairé par les rayons de l'après-midi et elle réfléchit à la réponse qu'elle pouvait possiblement lui donner. Mais à trop y réfléchir, elle savait bien qu'elle ne donnerait pas la réponse la plus authentique, alors se rendant compte de cela, elle ouvrit son cœur au bouclé.
"Tout va bien, lança-t-elle, ce qui m'effraie un peu car j'ai peur que ça ne dure pas longtemps.
- Ce n'est pas pour faire le philosophe mais tout est éphémère.
Elle hocha la tête en total accord avec ses paroles.
- Je sais, mais certaines choses durent plus longtemps que d'autre. Je sais que je me sens bien en ce moment, mais je ne sais pas pourquoi. Si je le savais, je ferais tout pour faire durer ce moment.
Ashton se retrouva pensif face aux mots de la brune. Ça le travaillait pas mal, lorsqu'il essayait de comprendre son esprit, sa manière de voir les choses. Il voulait l'aider et pour se faire, il fallait qu'il la comprenne. Or Isabela était compliquée, et le bouclé avait beau avoir un don avec les autres, il avait parfois du mal avec elle. Mais il en ressortait finalement que sa philosophie était assez défaitiste. C'était tout ou rien, et pour cette raison, elle coursait un bonheur impossible.
- Tu sais quoi Isa ? Tu réfléchis trop. Et crois-moi, ça te fait plus de tort que de bien dans la vie. Et puis, faut que tu t'ouvres un peu. Tu sais ce qu'on dit, les possibilités sont infinies.
Elle ne répondit pas, car elle lui donnait raison. Elle savait qu'elle était trop dans sa tête, et à force la réalité lui échappait.
- T'es philosophe ma parole.
Il gloussa à sa remarque.
- Non, je te dis juste ce que je peux te dire, il répondit avec une certaine nonchalance.
- Alors, je dois faire quoi d'après toi, Ash ? Finit-elle par demander.
- Je ne sais pas, haussa-t-il les épaules. Vide-toi la tête. Et là, peut-être, tu te rendras compte que ta vie n'est pas merdique. Que t'es une fille bien. Et qu'il t'arrive des trucs bien."
Isabela envisagea une seconde cette possibilité, celle de vivre une vie sans tracas car elle cesserait de tout analyser, tout penser, tout douter. D'une certaine manière, elle donnait une plateforme à ses démons pour s'exprimer, lorsqu'elle décidait de s'enfermer dans son esprit. En sortir de temps en temps, pour apprécier les petites choses comme ce rayon de soleil qui lui chatouillait le bout du nez, ou le son des pattes de Zen sur le bitume, la présence de son meilleur ami, les parterres de fleurs sur son chemin.
Elle s'apprêta à ajouter quelque-chose d'autre, car sur le moment, elle sentit qu'elle devait le faire. Mais à la place, elle se tut, comme incapable de parler. Elle voulait prononcer ces mots, mais elle bloquait. Elle était là, dans la rue où des oreilles inconnues et étrangères pouvaient l'entendre, et ça lui faisait un peu peur. Le jeune homme la regarda, perdu. Elle avait ouvert la bouche pour commencer à parler, et ça le tourmentait un peu d'entendre aucun bruit en sortir. Elle n'osa rien dire avant de se retrouver à quelques petits mètres de la maison de son père. Lorsqu'ils entrèrent dans la cour pour y laisser la petite bête qui les avait accompagnés de toute la journée, elle s'assit sur le perron à la porte d'entrée. Ashton resta là, planté devant elle. Il ne savait pas ce qui se passait, mais quelque chose était en train de se dérouler. Là, maintenant, devant ses yeux.
"J'aime Luke, ou l'image que j'ai de lui. Peut-être les deux. Mais j'en suis amoureuse."
Isabela ouvrit sa porte d'entrée, suivie d'Ashton. En les entendant, Luke et Calum portèrent leurs regards sur les deux meilleurs amis, sourire aux lèvres. Ils s'étaient attelés à la tâche de séparer leurs courses en catégorie et faire une checklist de ce qui devait être fait. En une petite heure, c'était chose faite. Le bouclé ne savait plus trop comment regarder le blond après l'aveu de la jeune Murton. Enfin, il savait bien, depuis la première fois qu'Isabela lui avait parlé de Luke, qu'elle finirait par tomber pour lui. Il savait, avant elle, qu'il lui plaisait. Ce n'était pas ça qui le perturbait autant, qui le faisait porter un regard nouveau sur le jeune homme. Non, ce n'était en aucun cas quelque chose qui le surprenait. En fait, ce qui changeait les choses, c'était qu'elle l'avait dit. Elle avait dit, haut et fort, qu'elle aimait Luke. Et ça, il n'aurait jamais pensé l'entendre. Ils avaient beau être proches, Isabela restait une personne très secrète et il y avait des choses qu'elle refusait de dire à Ashton, tout comme elle refusait de se les dire à elle-même. Parler de ses sentiments, de ces choses mielleuses et totalement hors du réel, ce n'était pas son truc. Etonnamment, il savait qu'elle était de ceux qui étaient amoureux de l'amour, mais elle ne l'avouait jamais, cachant son âme romantique des regards curieux. C'était pour cela que son aveu marquait profondément Ashton. Parce que si elle s'était ainsi permise de faire tomber la barrière, c'était qu'elle aimait vraiment le blond.
Et à présent, toute cette histoire lui parut affreusement réel.
Et c'était donc un autre Luke qu'Ashton vit devant ses prunelles noisette. C'était le garçon que ça meilleure amie aimait véritablement qu'il voyait. Son sourire adorable, ses rires venant du cœur, sa personne posée mais à la fois éblouissante, un garçon simple, naturel mais tout à fait bien comme il était, même avec ses échecs et ses insécurités. Et il se disait, qu'un garçon comme lui, n'oserait jamais faire mal à Isabela – du moins, pas intentionnellement. Alors si rien de tout ça n'était réciproque, elle serait brisée.
Mais quand ils les regardaient, là ensemble, il se disait que rien n'excluait la possibilité qu'elle plaisait à Luke. Enfin, il ne voulait pas non plus se faire des idées, voir ce qu'il voulait voir, entendre ce qu'il voulait entendre. C'était que, au contraire d'Isabela, il croyait en elle et la voyait comme une fille qui avait tout pour plaire.
Et en vrai, Luke pensait exactement la même chose. Il ne le disait pas, mais Isabela était une fille bien, le genre qu'il présenterait à ses parents sans soucis car elle était irréprochable. Gentille, brillante, et toute belle. Mais se mettre avec elle ? il n'y avait jamais pensé. Il ne s'était même pas demandé si elle lui plaisait. Il ne voulait pas le savoir de toute façon, car ça l'emmènerait à trop réfléchir, et ça gâcherait tout. Alors il se contentait à la regarder, elle qui rigolait avec Calum comme si ils étaient de vieux amis, ses courtes bouclettes ramassaient dans un demi-chignon, ses mains autour de son verre d'eau. Et sans même douter de lui-même, il la trouvait belle juste comme ça.
Et elle croisa ce regard bleu, et elle ne s'empêcha pas de sourire. Parce que, qu'importe si elle le voulait ou pas, elle sentait son cœur fleurir.