Bien loin était le temps où Legolas explorait paisiblement la Terre du Milieu avec son ami Gimli. Il jalousa un instant le nain, qu'il avait laissé dans les Cavernes Étincelantes du Rohan où il y coulait parmi les siens des jours plus qu'heureux dans l'ombre de la terre. Legolas sortit de ses douces pensées et passa dépité les portes de la cité sylvestre avec une poignée de ses hommes. Tous s'attachèrent à garder leur dignité, mais leurs allures ravagées ne trompaient personne. Cela faisait longtemps que le commandant et ses hommes n'avaient pas essuyé un tel revers. L'ennemi avait profité de la noirceur de la Forêt et de plusieurs arbres tombés pour les surprendre. Les elfes avaient réussi à repousser les orques, mais deux des leurs ayant été gravement blessés et avaient dû être évacués au plus vite, ils avaient alors décidé de tous battre en retraite pour s'assurer de la survie de ces deux braves. Une nouvelle milice s'était alors chargée des orques et les avait éliminés. Il n'était pas coutume pour les soldats du Mirkwood de battre en retraite sur leurs propres terres, mais ils s'avouèrent que celui-ci les avait rudement malmenés : l'ennemi était à présent plus malin et avait pris ses marques sur le terrain, ce qui avait pour don de profondément irriter le roi Thranduil et de fatiguer Legolas qui peinait de plus en plus à tenir l'ennemi éloigné de leur cité déjà en repli.
Dès leur retour, les deux hommes blessés furent pris en charge au mieux, on les emmena sur deux brancards sous le regard inquiet de leur commandant. Lui-même avait encaissé un vilain coup qui lui avait marqué le menton, mais malgré la douleur, il ne s'en soucia pas.
A la hâte, l'elfe rejoignit ses appartements et se libéra de son équipement sur le champ. Il se servit un verre d'eau et s'appuya sur sa table de travail, ravalant sa fierté. Il congédia un valet qui se présenta pour s'occuper de son menton ouvert, priorisant le compte-rendu de son expédition à son père. Il vida son verre et se retourna pour se débarbouiller afin de s'entretenir avec le roi. Il s'aspergea de l'eau froide sur le visage et enfila un veston plus habillé pour se présenter au palais. Mais alors qu'il s'apprêtait à quitter ses appartements, il découvrit une lettre posée en évidence sur son bureau, décachetée.
Il s'en saisit et la parcourut avec le souffle court. Très contrarié, il la froissa de sa main. Ce n'était décidément pas une bonne journée pour lui. Il quitta avec empressement ses appartements et traça jusqu'à la salle du Grand Conseil, dans laquelle il fit subitement irruption sans frapper.
Les conseillers et le roi Thranduil étaient tous réunis autour d'une carte du territoire, le commandant fut toisé du regard pour son indélicate entrée.
- Veuillez m'excuser mais je dois m'entretenir avec le roi..., en privé.
Thranduil croisa le regard de son fils et adressa un signe à ses conseillers, qui quittèrent la pièce sans demander leur reste.
- Que se passe-t-il commandant Legolas ? Cette grossière entrée est-elle liée à votre dernière expédition ? J'ai pourtant entendu dire que vos hommes avaient une nouvelle fois fait démonstration de leur vaillance malgré l'adversité.
Legolas ne l'écoutait pas.
- Ce n'est pas le roi que je viens voir.
Le roi fut étonné, son fils était rarement si direct. Il détecta une certaine appréhension qui l'habitait.
- Je t'écoute.
Legolas resta silencieux, cherchant comment amener le sujet avec délicatesse.
Le roi se mit à marcher autour de lui.
- Je sens de grands troubles en toi mon fils. Est-ce dû à une certaine lettre que nous aurions reçue de Fangorn ?
Legolas se raidit. Son père avait toujours su lire en lui comme dans un livre.
- Fangorn est en danger, souffla Legolas.
- Fangorn n'est ni plus ni moins que le reflet de l'arrogance de leur nouvelle reine, cette même reine qui a daigné refuser notre aide.
- Nous ne pouvons les abandonner.
Pour la première fois, l'elfe semblait anxieux, il serra les poings dans son dos pour tromper son tremblement. Le roi continua de tourner autour de son fils et se plaça devant lui, le dévisageant avec insistance.
- Fangorn n'est pas une menace pour nous, insista Legolas.
- Nous ne pouvons leur faire confiance, répondit Thranduil, plongé dans son observation.
- Jaheira est digne de confiance...
- C'est une orpheline, elle n'a ni famille, ni patrie, elle ne comprendra jamais le sens de l'honneur!
L'elfe apparut blessé d'entendre de telles paroles.
- C'est une femme digne et qui ne fait que penser à son peuple. Comment pouvons-nous la blâmer pour cela ?
- Je ne doute pas de son mérite, mais cela ne fait pas d'elle quelqu'un de fiable...
Cette conversation était stérile. Visiblement, Thranduil n'était pas ouvert au débat. Alors que Legolas voulut s'en aller, son père s'adressa à lui :
- Depuis quand es-tu épris d'elle Legolas ?
L'elfe baissa les yeux, honteux d'avoir été trahi par ses sentiments. Il n'était plus en position de lutter :
- Nous nous sommes rencontrés peu avant la quête de l'Anneau, en Lórien. Elle s'est battue à mes côtés. Père, c'est une guérisseuse, je l'ai vu exercer ! L'apothèque de la Lórien, puis celle de Fondcombe, le soin de nos propres hommes, c'était elle.
L'homme resta silencieux un instant. Son fils lui avait caché des choses mais il ne lui en voulut pas. Il n'en fut non moins pas étonné d'apprendre les compétences de la jeune femme. Toute la nouvelle réputation de Fangorn comme terre d'hospice prenait tous son sens à présent.
- Père, elle est en grand danger.
- Les hommes de notre famille sont faibles en amour Legolas, coupa Thranduil. Il nous trahit et nous perd ainsi. Ce n'est là pas la raison qui te fait parler... Réfléchis Legolas, que connais-tu vraiment de cette femme ? Dit-il en s'asseyant sur son fauteuil.
- Nous sommes amants, mentit Legolas en baissant les yeux.
Ce n'était pas l'entière vérité, mais il savait que cela résumerait mieux les sentiments qui l'animaient.
Thranduil apparut révulsé, il s'offusqua de ce qu'il considéra comme une grave faute de la part de son fils. Mais Legolas resta bouleversé, et malgré sa colère, Thrandhuil ne put ignorer la détresse de son fils.
- Qu'attends-tu de moi Legolas ? Dit le roi en s'enfonçant au fond de son siège et portant sa main à son visage avec exaspération, abattu de cette nouvelle.
Aux travers de sa lettre, le royaume de Fangorn en appelait à ses alliances. Un tel appel était rarement entrepris si vite, et ne pouvait qu'être synonyme d'une préparation de guerre. Les deux elfes ne purent s'empêcher de soupçonner une attaque de sa part, elle qui leur avait pourtant assuré du contraire. Mais toutes ses paroles avaient été prononcées bien avant son accès au trône, et avant que Thranduil et elle ne se querellent lors du dernier conseil des elfes. En fonction de qui la rallierait, elle pourrait sans aucun doute décider finalement de s'en prendre à eux, pour une raison encore bien obscure, mais néanmoins redoutée.
- Faites la faire revenir au Mirkwood, demanda Legolas.
- Cette femme rejette toute allégeance, rappela Thranduil.
- Une alliance peut avoir lieu sans allégeance.
- Que veux-tu dire ?
Legolas s'isola dans un coin de la pièce. Il tourna le dos à son père, regarda dans le vide, puis se retourna vers le roi :
- Laissez-moi l'épouser.
Thranduil réagit vivement :
- Au-delà de son aversion pour notre couronne, elle n'a nulle naissance, ni droit ou titre qui le permettrait. Je n'accepterai jamais de te perdre ainsi.
- Père, vous m'avez déjà perdu. J'ai fait le serment de la protéger et je tiendrai cet engagement. Si vous vous livrez à une quelconque guerre entre vous, je ne pourrai me joindre à vos rangs, pas plus qu'aux siens. Et je ne pourrai accepter de vivre en sachant que vous vous affrontez tous les deux.
L'homme resta bouche bée. Il ne pouvait l'accepter. La requête de Legolas lui parut tout bonnement impossible à accéder.
- Père, vous savez que je ne suis nullement intéressé par reprendre le trône, pas plus que prendre celui de Fangorn, mais si vous autorisiez une telle union, vous seriez considéré comme le monarque qui a su unir deux des plus puissants royaumes elfiques de la Terre du Milieu. Réfléchissez père, si ce n'est pas vous qui montez sur le trône de cette alliance, cela pourrait être notre héritier.
Le roi avait écouté Legolas avec attention, il réfléchit avec un regard vide. Ce scénario n'était pas inintéressant. Lui qui cherchait à récupérer Fangorn par la force pourrait obtenir le royaume avec plus de simplicité, mais cela impliquait de nombreuses concessions, bien plus qu'il ne pouvait en supporter : il devrait accepter la cession de son unique fils à cette provocatrice, il devrait faire taire la rumeur qui le ferait passer pour faible et Jaheira demandait également une armée, et une conséquente, lui qui en avait tant besoin, elle qui avait tant d'ents sous la main. Impossible. Elle ne pouvait pas que chercher à uniquement protéger ses terres avec autant d'hommes. Qui pouvait-elle bien chercher à attaquer ? Thranduil leva les yeux et croisa le regard de Legolas qui le fixait avec appréhension, guettant la moindre réaction de son roi. Le regard désarçonné de son fils lui serra le cœur, sa souffrance était palpable et il ne pourrait jamais concéder à son bonheur, lui qui s'était toujours montré d'une si grande loyauté et d'une humilité sans égale à son égard.
Thranduil se leva pour marcher un peu. Il se tourna vers son fils pour jauger de la crédibilité de son idée une nouvelle fois. Legolas resta en silence, attendant la sentence.
- Je dois en référer au conseil, dit le roi.
Legolas regarda son père et l'espoir lui traversa le visage. Il baissa les yeux, salua son roi et disposa sans demander son reste. Avant de partir, il se retourna vers lui :
- Merci père.