Le cor de l'Académie résonna sur le camp, signe que l'entrainement de la promotion débutait.
Le capitaine Vertefeuille sortit d'un pas décidé de sa tente. Masqué lui aussi. Son seul signe distinctif était son uniforme, bleu foncé au lieu du gris conventionnel. Il s'avança vers les recrues qui s'étaient rangées en plusieurs lignes et commença d'une voix forte. La langue elfique était la seule parlée à l'Académie, car incomprise de l'ennemi, c'était là un premier filtre :
- Recrues ! Bienvenue à l'Académie de la Garde Royale. Si vous êtes ici, c'est que votre bravoure est sans limite et que vos valeurs sont dignes. En cet instant, vous vous engagez corps et âme dans une formation militaire d'élite. Je suis le capitaine Eryn, et je serai votre commandant et votre instructeur pendant votre temps ici. Désormais, vous n'êtes plus des soldats, vous n'êtes plus des gardiens, des mercenaires ou des militaires, je me moque de qui vous êtes et d'où vous venez. Je me moque de vos exploits et de vos distinctions, je me moque de votre palmarès, de votre grade ou de votre rang. Tout ce qui importera ici est votre excellence et votre courage. Est-ce clair ?
- Oui capitaine ! Scandèrent les recrues.
Le capitaine marqua un temps d'arrêt et continua posément :
- Je suis moi-même diplômé de l'Académie Royale. J'ai commencé dans les rangs comme vous, j'ai alors acquis le statut de capitaine et j'ai pris le commandement d'armées lors de nombreuses batailles. Cette formation m'a mené à l'affrontement de toutes sortes de créatures maléfiques, hideuses et dangereuses : orques, dragons, gobelins, trolls, nains (les recrues rirent) dans des batailles et des guerres où j'ai vu tomber des camarades, des amis et des soldats tous plus valeureux les uns que les autres et surement bien plus que vous. C'est sur le champ de bataille que j'ai connu la peur, que j'ai connu les blessures, que j'ai appris à affronter l'inconnu et que j'ai connu des défaites, mais bien plus de victoires, et c'est cette même adrénaline que je vous souhaite d'acquérir ici. Voici une chose que j'ai apprise : si les armes m'ont aidé à rester en vie, ce n'est pas elles qui ont mené mon camp à la victoire, mais le courage. Seul le courage vous fera vous battre contre plus grand et plus fort, fera de vos mains des armes plus redoutables que n'importe quelle lame, le courage vous emmènera dans des situations désespérées, le courage vous fera vous jeter dans l'arène, les armes, elles, ne feront que vous aidez à ne pas y rester. Et c'est ce même courage qui vous fera mettre votre vie en jeu par conviction, par devoir, par fierté, par allégeance. Bien sûr vous apprendrez ici à vous battre, mais le combat n'a pas lieu sans courage. Ici, vous subirez un entraînement d'élite : long, difficile, épuisant, et la plupart d'entre vous nous quitteront dès les premiers jours car ils ne seront pas de taille. Mais pour ceux qui resteront, vous acquerrez l'expérience des situations les plus difficiles, des situations de détresse et de marasme, de danger et de fatigue extrême, car c'est ainsi que vous rencontrerez l'essence même de votre courage, que vous identifierez vos peurs pour mieux les affronter. Alors comme vos frères et moi, quand vous devrez vous battre, plus rien ne vous fera peur et vous ferez honneur à votre camp. Le courage vous mènera au combat, et le combat vous mènera à la victoire ! Est-ce clair ?
- Oui Capitaine ! Scandèrent à nouveau les recrues en cœur.
- Que l'entraînement commence, déclara Vertefeuille. Dès l'aube, vous commencerez par dix lieux de courses, sans boire ni manger. Si vous revenez à temps, peut-être vous vous verrez accorder une collation... Mais je me dois de vous informer que les rations ne sont pas suffisantes pour tous, alors donnez-vous, donnez sans compter et ne vous retournez pas, battez-vous avec vos tripes.... et ne me décevez pas.
Le Capitaine regarda le soleil couchant :
- Le soleil se lève dans huit heures. Je vous laisse réfléchir ici jusqu'à l'aube.
Le Capitaine se dirigea alors vers sa tente sans ordonner le repos de la troupe. Une recrue s'adressa alors au capitaine :
- Capitaine ! Pouvons-nous disposer, capitaine ?
Le capitaine se retourna :
- Je ne crois pas vous avoir accordé quelconque autorisation, pas même celle de parler.
Le Capitaine disparut sous sa tente. Les recrues restèrent ainsi alignées, debout, sans un bruit, n'osant pas bouger.
Le soleil se coucha, et les lumières s'éteignirent sur le camp. Quelques heures après la tombée de la nuit, une recrue dépitée prit son paquetage et sortit du rang. Rageux, deux le suivirent. Mais Jaheira, bien au fait des exigences parfois délirantes de l'Académie, ne suivit pas le mouvement et resta ainsi avec les autres, immobile dans le noir. Elle ferma les yeux et fit le vide en elle pour entrer dans une profonde méditation et passer le temps. Les recrues restèrent ainsi debout toute la nuit, deux recrues s'effondrèrent dans le noir, de froid ou de tétanie. Réveillés par leurs chutes, ils prirent alors leurs paquetages et quittèrent les rangs. Jaheira, quant à elle, ne tenait plus, ses jambes étaient ankylosées et elle avait terriblement froid. Elle se rappela alors du douloureux exercice que Haldir lui avait fait faire sur la force de l'esprit, Jaheira avait ainsi dû rester dix heures dans une eau glacée, sans bouger. Torturée mais motivée, elle avait tenu au mental : la force de son esprit pour se détacher de la douleur corporelle et pour se concentrer sur des pensées bienveillantes, afin de tromper sa détresse physique. Elle mit en application cette réflexion avec difficulté, puis se mura dans un rythme de respiration lente.
Les heures s'écoulèrent lentement. Il faisait encore nuit quand la trompette du camp sonna pour réveiller les troupes. Le Capitaine sortit presque immédiatement de sa tente et inspecta ses recrues une par une en s'approchant très près de leur visage. Puis, après sa rigoureuse inspection, déclara :
- Vous pouvez disposer.
Jaheira prit ses quelques affaires et se dirigea vers les tentes allouées aux soldats.
- Vous, lui lança la voix du capitaine Eryn, qui semblait avoir surgi de nulle part. Suivez-moi.
Jaheira suivit le capitaine sans un mot jusqu'à une tente sommaire et spartiate, comportant un seul lit. Jaheira se voyait isolée des autres car elle était une femme, elle fut déçue d'avoir été si vite démasquée, mais salua l'initiative du camp pour sa sécurité, déplorant malgré tout le manque de diversité.
- Prévenez-moi de tout comportement déplacé à votre égard. Mais n'attendez de ma part aucun traitement de faveur, dit-il d'une voix abjecte.
Le capitaine se retira et laissa Jaheira seule. La semi-elfe s'effondra sur son lit pour se palper les jambes encore glacées, une seconde trompette sonna après quelques minutes de répit seulement : l'entraînement reprenait déjà. Elle rejoignit les rangs de ses compagnons d'infortune et constata que les recrues qui s'étaient résignées pendant la nuit avaient en fait rejoint les rangs d'encadrement, belle tentative de diversion, mais inefficace. L'institution était cruelle. Les autres qui s'étaient effondrés pendant la nuit n'avait pas intégré les rangs ce matin et ne revinrent jamais à la formation.
Le premier jour d'entraînement se révéla éreintant. Le parcours d'obstacles du jour était fait de sorte à ce qu'aucun moment de marche ou de course lente ne soit possible pour arriver au bout de l'exercice, tout reposait sur l'élan du précédent et l'anticipation du prochain agrès. Cette première épreuve était d'une difficulté extrême, même pour un soldat averti. Plusieurs recrues chutèrent violemment ou abandonnèrent en milieu de parcours, le bras cassé ou l'arcade saignante. Après dix passages sur le parcours d'obstacles, les recrues furent mises à l'épreuve du corps à corps où chaque recrue dut éliminer un camarade sans aucune arme. Jaheira, avec sa fatigue et subissant de violentes crampes musculaires dues à la déshydratation, rencontra des difficultés à battre une recrue qui elle-même tenait à peine debout. Le soir venu, toutes les recrues s'effondrèrent sur leurs lits et s'endormirent aussitôt, elfes de sang pur ou non.
Les jours d'entrainement s'enchaînèrent ainsi sans répit : lever à l'aube et coucher tardif, les recrues enchaînèrent régulièrement les nuits blanches, souvent le ventre vide et à bout de force. Chaque jour connut son lot d'activités plus éprouvantes les unes que les autres : courses à pieds, de rapidité ou d'endurance, équitation, maniement d'armes diverses, parcours d'obstacles avec parfois même des handicaps de poids attachés au bras ou aux jambes. Un jour les recrues durent répéter l'exercice après s'être pris un grand seau d'eau boueuse et glacée sur les vêtements qui pesaient soudainement une tonne... Chaque jour, Jaheira revenait au camp plus fatiguée que la veille et s'écroulait sur sa couche quand d'autres elfes trouvaient encore la force de partager quelques discussions autour du feu et riaient bruyamment et en se vantant de leurs exploits.
Chaque jour, l'épreuve matinale prenait une distance ou une difficulté de plus, et bénéficiait d'une durée d'exécution toujours plus courte pour être éligible au repas. Rapidement, les soldats se retrouvèrent tous à la diète faute de réussir les exercices dans les délais impartis. Jaheira, elle, terminait souvent dernière, elle ne mangea rien des jours durant, mais tint bon, portée par l'enjeu de cette formation et à la seule force de son caractère. Au fil des semaines, les recrues se soudèrent et commencèrent à s'entraider dans la difficulté. Ils découvrirent malgré eux que la cohésion était parfois la clé de la réussite sur les épreuves, comme cette activité d'équilibre qui nécessitait que deux personnes marchent sur un pont de manière parfaitement coordonnée en avançant sur des rondins de bois glissants, le facteur de réussite était de faire le parcours à deux en œuvrant dans une parfaite communication et compréhension des appuis de l'autre, une belle leçon d'entraide.
Une nuit, on incendia les tentes des recrues pour tester leur résistance à la surprise et leur réponse au stress. La tente de Jaheira ne fut pas épargnée et toutes ses affaires, comme celles des autres recrues, partirent en fumée. Jaheira, glacée des nuits d'hiver dans une tente peu isolante, ne sauva que sa tenue de recrue. L'uniforme qu'Haldir lui avait offert en Lórien, lui, partit en fumée pour sa plus grande tristesse. Elle retrouva le lendemain matin la dague de son mentor, enfouie dans les cendres.
Après quelques semaines d'entrainement, les effectifs étaient déjà réduits, mais une bonne trentaine de recrues étaient encore en place, tous se connaissaient désormais pour s'être éprouvés à plusieurs reprises lors de duels ou de combats. De ce qu'elle en savait, Jaheira était la seule femme et semi-elfe d'une promotion qui ne comportait que des hommes de sang pur, mais ne s'était pas distinguée comme telle, de ce qu'elle en savait tous ignoraient encore son genre et la prenaient pour un jeune homme un peu frêle. La discussion n'étant pas vraiment de mise en ces lieux, sa voix ne la trahissait pas.
Vers le milieu de la formation, le capitaine mena les recrues en haute montagne où culminaient des neiges éternelles lors d'une randonnée de cinq jours sans vivres ni repos.
Une fois arrivés sur un plateau recouvert d'une épaisse couche de neige givrée, le capitaine Eryn les mis à l'épreuve sans attendre. Sur ce nouveau parcours, les recrues lestées devraient courir plus de dix lieux dans une couche de neige qui leur arrivait jusqu'à la taille, puis plonger sous la glace d'une cascade gelée afin de récupérer une arme déposée au fond de l'eau. Arme indispensable pour combattre Eryn qui les attendait, chaudement habillé sur la rive opposée, avec de maigres couvertures comme seule récompense.
Au top départ, les recrues s'élancèrent dans une course rendue difficile avec l'épaisse couche de neige qui tapissait le sol, mais tous persévérèrent malgré la fatigue de leurs longs jours de marche.
Pendant la course qui les séparait de la cascade, quelques recrues crurent bon de retirer leurs lourdes capes qui les freinaient dans leurs avancements et se mirent à avancer plus rapidement, trompant leur froid avec la température de leur corps en exercice. Jaheira les regarda avec envie, mais se résigna et décida de rester sur une course moins rapide afin de ne pas trop élever sa température corporelle, en prévision du choc thermique qui l'attendait à la cascade. La semi-elfe puisait dans ses réserves depuis des jours et avait considérablement maigri, elle arriva comme à son habitude en queue de peloton et le tournis la saisit alors qu'elle arriva juste en haut de falaise glacée. La cascade était haute de plusieurs dizaines de mètres et tombait à pic sur une vaste étendue d'eau gelée. Comme les autres, Jaheira emprunta le glissant chemin qui descendait à pic le long de la roche jusqu'à l'étendue d'eau où les premières recrues arrivées terminaient déjà de fracasser la couche de glace à coups de poings et des pieds.
La guérisseuse connaissait bien le phénomène du choc thermique pour avoir dû ranimer plusieurs fois des hommes qui étaient tombés par mégarde lors de pêche sous la glace pendant les longs mois d'hiver de Fondcombe. Ce sentiment était selon leurs dires, l'un des pires qui soit : la froideur de l'eau vous saisit instantanément le cœur et créé une violente contracture qui vous bloque tout mouvement qui pourrait vous ramener à la surface, la panique de l'attaque vous fait relâcher le peu d'oxygène retenu dans vos poumons et vous mène tout droit vers la noyade. Une mort certes rapide, mais en totale conscience.
En descendant d'un pas mal assuré le chemin situé le long de la cascade, Jaheira observa les six premiers compagnons se jeter à l'eau, ils en sortirent presque aussitôt dans un râle effroyable, à mesure du froid qui s'était brutalement emparé d'eux sous la glace. Les moins chanceux avaient abandonné leur manteau lors de la course qui les avait menés jusqu'ici. Ils s'en firent prêter par d'autres recrues le temps de reprendre leurs esprits, mais l'échange ne durait pas longtemps.
Un homme, particulièrement musclé et courageux se jeta à l'eau à son tour, torse nu celui-ci, avec pour seule sécurité la corde tenue par le personnel du camp autour de la taille. Il plongea sans grande hésitation et, après une grande inspiration, s'immergea complètement devant les regards chargés d'appréhension des témoins. Après un instant, et dans une vague d'effroi, la corde se tendit brusquement, le corps inanimé de l'homme fut alors remonté à la surface à toute vitesse par les équipes d'encadrement de l'exercice. Plusieurs hommes se précipitèrent pour le sortir de l'eau, dont le capitaine Eryn qui s'approcha avec une équipe de réanimation barbare, prête à intervenir pour une réanimation d'urgence avec un kit composé d'une lame et d'un embout de bois creux. L'homme inanimé fut tiré sur la berge et allongé à même la neige, blême et inconscient. Jaheira termina de descendre le chemin précipitamment et manqua de tomber pour lui porter secours, alors que le soldat s'apprêtait à lui percer le flanc pour lui évacuer l'eau des poumons et lui faire reprendre de l'air.
- Non ! Hurla-t-elle.
La guérisseuse se précipita au chevet de l'homme avant le protocole de réanimation et l'examina, elle lui ouvrit une paupière et découvrit une pupille réactive à la lumière, signe qu'il était en vie, et il était resté si peu de temps sous la glace qu'il ne pouvait s'être noyé. Sans prévenir et sans attendre, Jaheira le bascula sur le flanc et lui assigna un violent coup de poing sur la poitrine, lui brisant surement une côte au passage, puis un deuxième coup sur le thorax, puis un sur le diaphragme et répéta le passage à tabac plusieurs fois et rapidement, devant le regard médusé de ses camarades, impuissants devant cet accès de colère incompréhensible. Le capitaine s'avança pour intervenir de ce qui semblait être le passage à tabac d'une recrue inanimée. Alors qu'il prenait l'épaule de Jaheira sans ménagement et la tira hors d'atteinte du pauvre homme, Jaheira assigna un coup de pied sur l'estomac de la recrue, qui rouvrit les yeux, et par réflexe, recracha une courte gorgée d'eau et s'assit dans un long râle avant de tousser de toute ses forces, recouvrant son souffle frénétiquement. Toutes les recrues vinrent soutenir l'homme nouvellement réanimé, frigorifié et secoué de spasmes.
- Une hydrocution ne se résout qu'en faisant repartir la circulation dans les muscles ! Il ne s'est pas noyé ! Se justifia-t-elle au capitaine, qui la lâcha au sol.
Vu le succès de l'opération, le capitaine et le soldat d'intervention s'éloignèrent sans un mot pour observer la fin de l'épreuve. L'homme était disqualifié et fut pris en charge par les encadrants. Eryn adressa un regard assassin à Jaheira encore au sol et retourna au poste d'observation sans un mot.
Les recrues échangèrent des regards étonnés lorsqu'ils comprirent que Jaheira était une femme : sa voix l'avait trahie. Avec ce contretemps, les recrues furent bien plus frileuses quant à se jeter sous la glace et ne se précipitaient plus du tout. Réfléchissant ensembles aux meilleures techniques.
Jaheira s'accorda un moment pour réfléchir et fit les cents pas pour éviter de plus se refroidir qu'elle ne l'était déjà. Il était clair que les vêtements seraient son salut, il lui garantirait le minimum vital d'isolation et elle pourrait ainsi contenir un peu de chaleur, et avec leurs poids elle pourrait se laisser couler, mais elle n'aurait pas le temps d'atteindre le fond avant de manquer d'oxygène. Soudain, Jaheira comprit l'exercice et son idée se confirma lorsque le leitmotiv de Eryn lui revint à l'esprit « je vous apprendrai à être courageux ». Elle le regarda. Il était là, stoïque et rigide dans le froid glacial, ne trahissant comme à son habitude pas la moindre émotion, l'elfe ne clignait même pas des yeux malgré le vent glacial chargé de flocons.
Jaheira repartit à toute allure dans l'autre sens, sur le chemin le long de la cascade et grimpa à mains nues le flanc de la falaise, elle arriva en haut du sommet en un instant : son escalade la réchauffa. De là-haut, elle se pencha pour contempler le très étroit trou dans la glace fait par ses camarades, par lesquels on distinguait assez clairement les épées immergées au fond de l'eau. Alors, Jaheira se tétanisa de peur devant le vide qui s'offrait à elle, mais ne s'écouta pas paniquer, convaincue que son idée était la bonne. Si elle se trompait, ses camarades et le personnel de la formation serait là pour lui porter secours... Du moins, si elle ne se tuait pas.
Jaheira prit de la neige et la plaça sur la peau de sa poitrine et de son ventre pour se refroidir, elle pesta de cette désagréable sensation. Enfin, elle prit une grande inspiration pour tromper sa peur, et après avoir dégagé son chemin dans la neige, prit de l'élan, courut à toute vitesse et se jeta la tête la première dans le vide de la cascade. Tous ses congénères crièrent à la folie et la regardèrent se jeter du haut de la falaise sans sécurité aucune. La semi-elfe plongea, toute de manteau vêtue, en une figure parfaite dans la brèche de la glace et s'enfonça de plusieurs mètres dans l'eau glacée. En pénétrant sous la glace, le froid la saisit avec violence et l'engourdit en une seconde, lui écrasant visage et poitrine. Elle perdit presque tout l'air qu'elle avait retenu dans ses poumons. Sonnée par le choc thermique, mais consciente et sûre d'elle, elle laissa le poids de ses vêtements l'attirer au fond de l'eau, lorsque ses mains touchèrent la roche, avec tout ce qui lui restait de vie dans ses doigts, elle se saisit d'une des épées, la jeune femme dût se faire violence pour garder son calme et réveiller ses muscles afin qu'ils l'amortissent sur le fond rocheux, elle perdit une nouvelle fois un peu d'air. Une fois debout au fond de l'eau, la jeune femme s'appuya sur la roche et se força alors à nager vers la surface, mais le poids de ses vêtements et de l'épée la maintint au fond. Dans la précipitation de l'air qui lui manquait, Jaheira détacha sa cape sous l'eau qui coula à ses pieds et réitéra l'opération de rebondir sur le fond. Le froid la saisit plus brutalement encore à travers les quelques parties de son corps qui ne demeuraient pas tout à fait engourdie. Elle se stabilisa dans l'eau pour encaisser la torpeur du froid, puis en une brasse, remonta à la surface, d'où elle sortit avec un immense râle libérateur et bestial, ne sentant plus rien de son corps. Jaheira balança l'épée, qui glissa à quelques mètres de là sur la glace, et se hissa seule, devant le regard admiratif de ses camarades qui l'acclamèrent. Soudain, alors qu'elle se hissait hors de l'eau, la glace céda sous elle. La jeune femme se rattrapa de justesse, retomba successivement dans l'eau. A chaque mouvement précipité pour se sortir de l'eau, la glace cédait sous son poids, la fatiguant d'autant plus et faisant paniquer les spectateurs qui doutèrent de la solidité de la surface et craignant que la jeune femme ne s'épuise. Même Eryn fit un pas en avant d'alerte. Jaheira se débattit, s'épuisant un peu plus alors que la couche de gel craquelait sous ses doigts, elle lutta seule et refusa l'aide de ses camarades. Enfin, la jeune femme réussit à trouver de la glace solide, elle crispa ses doigts au mieux pour se hisser et se glissa bien à l'horizontal pour ménager la glace, elle finit finalement par enfin sortir de l'eau et se remettre debout pour éviter toute tétanie de ses muscles en contact de l'air glacial. Elle râla, son corps ne tenait plus, elle respira bruyamment, à bout de souffle et ramassa son épée de fortune et se dirigea vers Eryn avec la ferme idée d'en découdre le plus vite possible. Il l'attendait pour son ultime duel, visiblement peu impressionné. Cet elfe demeurait si imperturbable qu'il en devenait malsain. Il avait depuis son premier jour identifié la recrue comme étant une femme avec le concours d'Haldir. Mais pour avoir lui aussi suivi les formations de Raggenstone, il était clair que cette femme devait avoir du cran, mais elle n'en demeurait aujourd'hui pas moins la plus faible du groupe, même s'il s'avouait qu'elle s'était avérée plus coriace qu'escompté à l'exercice.
La semi-elfe s'avança grelottante sous le bleu regard du capitaine qui lui assaillit un puissant coup d'épée dès lors qu'elle fut à portée. Elle contra ce coup avec toute l'énergie qui lui restait. L'homme, au meilleur de sa forme, était fort et rapide, et elle se protégea au mieux malgré le froid qui la saisissait, ses doigts engourdis ayant des difficultés à garder son épée en mains, plusieurs reprises, la lame glissa entre ses doigts. En essayant d'éviter un nouveau coup, Jaheira se cambra à la renverse et se releva, mais en se redressant, elle dû s'appuyer sur sa cheville droite qui accusa une raideur, non aidée par la tétanie du froid. Le capitaine, quoi que surpris par sa résistance, profita de cette déconcentration et répliqua avec ardeur en lui affligeant un violent coup de manche d'épée à l'épaule, ce qui la fit tomber sur le dos. Elle eut le souffle coupé par la frappe fulgurante qui lui réveilla le dos pourtant déjà engourdi. En un éclair, Jaheira reprit ses esprits et se roula pour se hisser sur ses pieds. Son combat était pitoyable. Alors que Eryn approchait, conquérant, elle se saisit de son épée, la retourna et l'enfonça profondément dans le manteau du capitaine qui balayait le sol. Elle s'échappa hors de sa portée en une roulade dans la neige, le capitaine tenta une dernière riposte mais ne réussit pas à l'atteindre, immobilisé par son épaisse cape qui le clouait sur place. Elle partit en courant pour rejoindre le signe d'arrivée à quelques mètres de là et s'effondra à moitié en terminant l'épreuve et en se tenant l'épaule. Ses camarades l'acclamèrent.
Le capitaine s'approcha d'elle lentement, rangea son épée dans son fourreau avec un regard plus glacial que l'air ambiant. Elle était là, haletante dans la neige, déplorable. Eryn lui glissa une épaisse cape sur ses épaules et lui en ferma le col. Elle remarqua alors que la fraîcheur de l'eau avait eu raison de ses courbes féminines, surement au grand plaisir de l'assemblée présente. Sans attendre, ses compagnons de fortune se jetèrent à son cou, et toute la froideur qui habitait Jaheira la quitta en un instant, alors qu'elle savourait cette si précieuse reconnaissance de ses pairs, avec les lèvres tremblantes et bleues.
De retour au camp de fortune qu'ils avaient établi dans la montagne. La guérisseuse se retira dans sa tente pour se réchauffer. A cause du froid, elle dut même casser certaines étoffes figées de gel pour s'en libérer. Elle s'empressa d'examiner son épaule qui la lançait. Rien que retirer sa tunique encore humide la fit grimacer de douleur, elle se contorsionna pour constater l'étendue des dégâts : un énorme hématome s'était dessiné depuis la clavicule jusqu'au bras, lui recouvrant l'omoplate. Elle maudit sa cheville de l'avoir exposée à ce méchant coup et se rappela que Haldir lui avait conseillé de renforcer cette articulation, elle ne l'avait pas suffisamment soignée. Après avoir pesté, Jaheira enfila une nouvelle tunique sèche et se recouvrit délicatement l'épaule. Le capitaine entra dans sa tente sans prévenir.
- Soldat ! Ordonna le capitaine.
Mécaniquement, Jaheira se mit au garde à vous face à l'homme. Eryn s'approcha près d'elle et la dévisagea avec ses yeux bleu perçants.
- Recrue, savoir plonger ne vous sauvera nullement de l'ennemi. Je compte sur vous pour améliorer vos performances de combat pour les prochains jours.
- Oui capitaine.
- Ne me décevez pas, insista lourdement le capitaine, en tournant les talons.
En toute situation, le capitaine Eryn se montrait sévère et imperturbable, mais tel était les affres de la guerre : nul ne pouvait se permettre douceur et compassion sur le front. Et malgré son attitude désagréable et rigide de militaire, Jaheira avait du respect pour cet homme expérimenté, qui chaque jour les poussait plus loin hors de leurs retranchements. Cela portait ses fruits aujourd'hui... Malgré la dureté de l'exercice, elle appréciait cette même rigueur rassurante qu'elle avait connu lors de sa formation avec Haldir.
Avant de sortir, Eryn avait posé une portion de pain elfique sur la couche de Jaheira, et avait quitté la tente sans se retourner. Jaheira se délecta de son repas en quelques bouchées et cette ration la réconforta. Elle se fit toute de même violence pour en conserver un morceau pour les prochains jours de diète, qu'elle se promit de repousser le plus possible.
L'entrainement en montagne toucha à sa fin et se clôtura sur dix jours de randonnée à pied de cinq jours, lestés de lourds équipements. Mais cette épreuve fut plutôt agréable car pour la première fois, cela donnait aux recrues le loisir d'échanger. Suivant les ordres de Elrond, Jaheira resta en retrait, écoutant d'une oreille les discussions de ses camarades mais ne se privant pas parfois sourire à leurs viles discussions.
Dès leur retour au camp de East Bight, l'entrainement intensif reprit. Toutes les recrues, des plus agiles aux plus solides, se trouvèrent à nouveau en difficultés, dénutris et épuisés par le jeûne strict qu'ils subissaient depuis des semaines et la dureté des épreuves qui s'intensifiaient un peu plus chaque jour. On avait compté pas moins de six départs après l'entrainement en haute montagne. Deux autres recrues qui avaient eu le courage de rester s'étaient écroulées en plein entrainement, quand quatre autres avaient déserté la nuit et manquaient à l'appel au petit matin.
Jaheira ne fut pas épargnée et accusa, elle aussi, de grands moments de solitude, se demandant parfois comment elle trouverait la force de poursuivre l'entrainement. Sa nouvelle détresse se manifesta alors qu'elle échoua lamentablement aux épreuves de tir à l'arc. Malgré de nombreux efforts de concentration, de respiration et de posture, la semi-elfe ne parvint qu'à quelques très rares occasions à toucher le mille, qu'elle distinguait à peine à sa distance. Elle enregistrait chaque jour des pénalités pour toute flèche manquée, quand les autres s'illustraient avec plus ou moins de facilité. Rapidement, Jaheira abandonna l'idée de se reposer aussitôt rentrée et préféra continuer à s'entraîner au tir à l'arc de nuit pour pallier ses failles. Malgré un enchaînement de plusieurs heures à s'exercer, Jaheira ne progressait pas, au grand désespoir du capitaine qui constatait chaque jour l'absence de progrès de la recrue et la punit pour son incompétence en la faisant courir une lieu de plus que les autres. L'atelier de tir à l'arc ne dura qu'un mois, un mois pendant lequel Jaheira se couvrit de ridicule et avança profil bas, se confrontant chaque jour aux sévères remontrances d'Eryn et faisant vite oublier son exploit sous la glace. Elle se promit de s'entraîner encore toute la nuit si cela était nécessaire et de redoubler d'efforts pour retrouver ses galons.
Un matin, toutes les recrues furent assemblées dans une clairière de la forêt. Le capitaine les accueillit sans armure, vêtu d'un humble uniforme.
- Recrues. Ce matin, nous testerons votre habilité au corps-à-corps. L'idée est simple. Seront tirés au sort les deux premiers combattants qui auront quelques minutes pour s'affronter. Chaque combattant devra ensuite sélectionner une recrue pour prendre sa place. L'équipe qui comptabilisera le plus de victoires en duel pourra se restaurer ce soir. Est-ce clair ?
- Oui capitaine ! Scandèrent les recrues en cœur.
Deux recrues furent tirées au sort pour débuter le duel. Tous s'affrontèrent les uns après les autres avec force et honneur à l'aide d'armes factices, tous les coups étant permis pour ne pas faire perdre de précieux point à leur équipe.
Les récentes performances de Jaheira la rattrapèrent comme une violente gifle, lorsqu'elle s'aperçut que ses compagnons ne la choisissaient pas pour se battre dans leur camp. Où peut-être était-ce à cause de son genre? Elle n'y crut pas, les elfes restaient très respectueux en la matière : c'est sa réputation de piètre tireuse qui avait marqué les esprits et l'avait relayée au statut de pariât. Le nombre de recrue étant impair, au dernier duel, il ne resta plus qu'elle et personne pour l'affronter. Elle se sentit en colère et honteuse d'être ainsi laissée sur le carreau. Son équipier la choisit par dépit, sans lui adresser le moindre regard. Son équipe ne menait que d'un point, si elle réussissait ce duel final, elle pourrait faire gagner son équipe et sauver le peu d'honneur qui lui restait. Encore fallait-il lui trouver un adversaire. Elle qui était une combattante hors pair en corps à corps, se sentait prête à tout affronter pour impressionner ses congénères. A coup sûr, elle les surprendrait. Elle n'avait pas d'autres choix.
- Je choisis le capitaine Eryn, dit le combattant sortant de l'autre équipe, surprenant tout le monde.
Une vague de rires se fit entendre dans l'assemblée, il était clair que cette jeune femme ne faisait pas le poids, et ce duel final ne serait que formalité pour le gradé. Tous attendirent de voir la réaction du capitaine à leur invitation à se battre. Eryn était debout non loin de là et observait les duels avec nonchalance. Il s'approcha sans dire un mot.
Jaheira ne se débina pas. Furieuse d'être laissée pour compte et en signe de défi, Jaheira tira sa véritable épée hors de son fourreau, laissant de côté l'épée émoussée allouée à l'exercice. La semi-elfe tourna avec adresse sur elle-même avec son épée au-dessus de la tête et se figea en position d'attaque, pointant l'épée sur le capitaine.
Devant ce défi, il resta stoïque un instant, l'observa, soupira et lui tourna le dos. Aux premiers abords, il rejeta l'idée d'affronter une recrue, puis il se ravisa : cet exercice lui serait distrayant et l'occasion de démontrer son excellence et d'asseoir un peu plus sa réputation de capitaine. En une seconde, il retira sa propre épée de son fourreau, fit volteface et plus vite que le vent, attaqua Jaheira en prenant quand même garde de ne pas trop la blesser avec sa lame.
Un grand bruit de métal frappé l'un contre l'autre résonna. La petite assemblée poussa une acclamation : Jaheira avait riposté. L'épée du capitaine était maintenue en appui sur celle de la jeune recrue, elle désamorça cette fâcheuse position en un geste et pointa à nouveau l'épée sur lui, cherchant à le provoquer.
Le duel commença sous les meilleurs hospices, tous deux abaissèrent leurs armes et se mirent à s'observer, marchant en cercle tels deux prédateurs étudiant chaque mouvement de l'autre. Chaque appui, chaque faiblesse, chaque posture de l'adversaire fut étudié, chacun chercha à identifier les micros réflexes et les moindres gestes qui pourraient trahir une nouvelle attaque ou un point faible. Le capitaine avait été surpris par la solide riposte de la recrue qui n'avait pas vacillé d'un pouce. Il avait croisé son regard furieux et avait été surpris qu'une femme si menue sache encaisser les coups avec une si belle résistance, il avait finalement peut-être bien un digne adversaire en face de lui.
Après s'être mûrement et mutuellement étudiés, après avoir identifié chaque souplesse de corps, chaque raideur de position avec la seule observation de l'adversaire, les deux combattants avaient désormais tous deux mûri leur stratégie, prêts à exploiter les points faibles décelés chez l'adversaire. L'assaut était proche.
Elle l'avait bien estimé sous toutes les coutures et avait décelé chez lui une profitable asymétrie au bras droit, Jaheira se sentit prête. Mais, se sentant d'humeur conquérante, sur-préparée grâce à Haldir, elle se risqua à une dernière provocation. La guérisseuse décida de stopper sa ronde chorégraphie, et se figea face à l'elfe, les mains croisées dans le dos, épée baissée, et ferma les yeux pour feindre une profonde concentration. Comme si, pour elle, son attaque lui semblait trop facile pour ne pas être devinée à l'aveugle, mais bien juste à l'ouïe.
Le capitaine répondit à cet aplomb d'un haussement de sourcils. Il ne se démonta pas, et au contraire choisit d'attaquer avec plus d'agressivité encore pour répondre de sa provocation. Il se lança dans une vive attaque sans ménagement, désormais l'heure n'était plus à la simulation, pas plus qu'aux précautions.
En une fraction de seconde, Jaheira détecta son approche et riposta. Ce premier coup fut lourd à encaisser, mais elle tint bon et rouvrit des yeux furieux, presque injectés de sang à son contact. Jaheira le repoussa et contre-attaqua avec ardeur, son visage transformé par l'effort, avec une visible colère qui marqua son assaillant. Jaheira rugit dans sa riposte, serrant les dents pour tenir face à la vigoureuse force de son capitaine. Il était désormais clair que Jaheira était une combattante de haut niveau. Le capitaine ne regretta pas de s'être investi dans ce duel qui s'avéra beaucoup plus intéressant qu'escompté. Pour la première fois, un rictus le traversa. Bien vite, coups et figures s'enchaînèrent à une vitesse effrénée, telle une danse accélérée, les deux combattants ne s'accordèrent mutuellement aucun répit, usant de leurs cardios plus qu'exemplaires pour en venir à leurs fins. Les coups s'enchaînèrent, les acclamations de leurs camarades aussi. Les deux êtres se déplacèrent, sautant parfois pour éviter des coups d'épée clairement non simulés. Jaheira se montra particulièrement agile et sa finesse l'aida à se mouvoir avec vélocité, évitant avec adresse la lame d'Eryn. Le duel dépassa la durée définie lors des règles du jeu, elle et lui ne cédant rien pour la victoire et se mettant toujours plus en difficulté dans le but de vaincre l'opposant. Enfin, le capitaine sentit Jaheira faiblir, il enchaîna de puissants coups d'épée avec une extrême rapidité et parvient à la faire reculer de quelques mètres, elle était campée sur sa défense, il était prêt à en finir. Sa stratégie la força à se replier dans un cul-de-sac naturel créé par des arbres et d'épaisses branches, une fois bloquée, ce piège assurerait la victoire à Eryn. Leurs recrues ne ratèrent pas une miette du spectacle qu'ils suivirent tous avec délectation et acclamations.
Jaheira comprit la stratégie du capitaine tardivement et se retrouva presque bloquée dans cette impasse. Elle profita d'un micro laps de temps dans sa dernière contre-attaque pour s'éloigner, puis sauter en s'aidant de l'arbre à proximité, prenant appui de son pied sur la propre épée de Eryn, elle réalisa un périlleux saut au-dessus du capitaine qui la contempla passer à la renverse par-dessus lui sans cligner des yeux. Jaheira s'élança dans une grâce et une légèreté absolue, les bras en croix, et atterrit juste derrière l'elfe qui s'était retourné pour l'accueillir, elle dirigea son épée vers le haut, quand, le capitaine renchérit d'un rapide coup d'épée en direction du cou de Jaheira. Tous deux arrêtèrent leurs lames à quelques centimètres l'un de l'autre. Figés. Le capitaine leva un sourcil malicieux en faisant sentir à Jaheira la lame sur sa gorge. Jaheira lui rendit son regard en lui faisant sentir sa lame sur le haut de la cuisse du capitaine, tout près de l'artère. Il était certain que tous deux seraient morts presque simultanément de leur blessure. Le capitaine esquissa un regard de satisfaction. Les deux éloignèrent doucement leurs armes sans se quitter des yeux et les spectateurs jubilèrent. Match nul. L'équipe de Jaheira remporta ce défi et ses compagnons se jetèrent à son cou, oubliant toute mise à l'écart. Elle venait de regagner se place.
Voilà des semaines que toutes les recrues enchaînaient les entraînements avec discipline. Ils n'étaient aujourd'hui pas plus d'une dizaine de recrues surentraînées, épuisées, mais terriblement habituées au lot de surprises quotidien grâce auxquelles ils s'étaient forgés un mental d'acier. Après plus de trente semaines d'efforts et de sacrifices, de sueur et de peur, de courage et de fraternité, arriva enfin le dernier jour de la formation.
En quelques mois, le corps de Jaheira s'était transformé : déjà frêle, la semi-elfe arborait désormais une silhouette plus que maigre. Son visage, même dissimulé sous son bandeau, s'était creusé et de grandes cernes de fatigue et de déshydratation étaient apparues sur sa peau, son corps était lacéré de coupures en tout genre dont elle n'arrivait même plus à en discerner la précise origine. Ses ongles étaient sales, et ses cheveux ne formaient plus qu'une grosse masse ébouriffée qu'elle n'osait plus détachée. Son corps dénutri, à bout physiquement parlant ne survivait que grâce à son puissant mental décuplé. Sa force de caractère s'était aiguisée, son impulsivité s'était développée et son goût pour la compétition s'était plus que prononcé. Quoi qu'il arrive, et maintenant plus que jamais, elle ne lâcherait rien. Elle était devenue une machine, aliénée par les insensés ordres de Eryn pour lesquels elle ne se posait même plus de question quant à leur pertinence ou leur danger, elle faisait désormais ce qu'on lui disait sans se poser de questions et surtout, sans plus jamais questionner sa propre peur. La témérité portait désormais chacun de ses pas durant cette aventure et elle n'avait aucune timidité à assumer sa féminité à présent, elle qui était allée si loin quand d'autres avaient abandonné si tôt.
L'heure de l'épreuve finale sonna : l'examen que chaque recrue préparait physiquement et mentalement, la fameuse épreuve redoutée depuis des mois arrivait. Une journée entière d'épreuves que toute recrue se devait de terminer dans les temps impartis afin de valider son diplôme.
Ce matin-là, le capitaine Eryn prit la parole :
- Recrues ! Le soleil s'est levé sur un jour singulier. Vous avez douze heures pour terminer cette épreuve et pas une minute de plus. Cela est bien assez pour des recrues surentraînées telles que vous. Alors armez-vous de votre courage et surtout, ne me décevez pas.
Le capitaine et quelques cadres de la formation s'éloignèrent à cheval pour rejoindre le parcours afin d'observer les performances des recrues et les encadrer.
Jaheira s'avança sur la ligne de départ. Elle sentit une boule au ventre mais prit cela pour de la faim. Elle s'était habituée à cette sensation de vide et avait appris à se nourrir de son mental plutôt que de son assiette. Alors qu'au premier jour, elle aurait crié à la folie devant une telle épreuve, Jaheira se sentait aujourd'hui d'attaque pour finir n'importe quelle épreuve dans les délais. Ignorant tout de ce qui l'attendait, elle ne se questionnait même plus, l'important dans les épreuves de l'Académie était d'avancer sans se retourner et d'y aller à l'instinct, car son instinct choisissait maintenant le chemin le plus court au détriment du choix le plus simple. Tous restaient impatients et dans l'expectative de cette dernière et inédite épreuve. Malgré le fait que la semi-elfe ne soit pas au mieux de sa forme avec sa tension très basse et les vertiges qui la prenaient parfois, elle était prête et espérait que l'adrénaline de l'épreuve prendrait le dessus. La veille, la jeune femme s'était accordée les restes de plusieurs de ses repas en collation la veille et aujourd'hui, elle se sentait d'attaque, remontée comme jamais.
Au coup d'envoi, Jaheira s'élança dans une course mesurée. Avec son entrainement, elle avait appris à courir de sorte à économiser ses forces. Elle se fit rapidement dépasser par ses congénères et pénétra en dernier dans la sombre forêt qui se dressait devant eux.
Jaheira entra dans les bois et remarqua plusieurs de ses camarades déjà à terre, certains s'étaient ouvert le menton et saignaient abondamment, cela n'en arrêta aucun. Jaheira se déconcentra et chuta à son tour sur un très fin fil solidement tiré entre deux troncs, mais elle tomba avec adresse et se releva rapidement en une roulade sans se blesser, remerciant silencieusement Haldir de l'avoir fait combattre sur de la glace. Elle se rappela avoir sur le coup trouvé son idée stupide et dangereuse, mais elle remerciait une nouvelle fois aujourd'hui son précepteur pour cette habile prévention. Dans sa course entre les arbres, Jaheira entendit un souffle aigu et se réfugia derrière un arbre au plus vite : une première salve de flèches s'abattait sur eux. Tous les évitèrent avant de reprendre leur course.
Jaheira remarqua les nombreux pièges camouflés de la forêt : tireurs camouflés, trous dissimulés, fil invisible tirés entre les troncs,... Elle décida de grimper aux arbres afin de continuer son chemin par les branches. Cela la ralentirait certes, mais cela lui éviterait de se blesser bêtement et de la disqualifier pour la suite. A grand renfort de tractions et d'équilibre, courant presque sur les branches, Jaheira vint à bout de la forêt presque en même temps que quelques autres qui avaient connu plusieurs chutes, mais elle remarque que la plupart avaient réussi à se dégoter des armes quand elle demeurait désarmée.
Elle traça son chemin et arriva seule au pied d'une cascade, Jaheira n'hésita pas une seconde et se jeta tête la première dans l'eau glacée après s'être assurée qu'il y avait assez de fond. Elle ne trouva pas d'épées, mais des arcs au fond de l'eau, dont la corde était distendue par l'eau froide. Un arc signifiait qu'il y aurait des flèches, elle sortit tous les arcs qu'elle trouva et les laissa généreusement à disposition de ses camarades qui la rejoindrai peut-être. Dans le doute, il valait mieux être plusieurs... Jaheira prit un des arcs et se mit en quête d'un carquois de flèches pour pouvoir continuer armée. Après une bonne heure de recherche dans la forêt, au pas de courses, elle aperçut des dizaines de flèches solitaires, plantées chacune à plusieurs mètres de hauteur sur des troncs isolés, dépourvus de branches, les flèches étaient toutes teintées d'une poudre rouge couleur sang. Jaheira aperçut enfin des congénères, la plupart tracèrent entre les arbres sans se retourner, pressés par l'épreuve, et d'autres se jetèrent à l'assaut des troncs, à grand renfort de muscles pour les escalader, ou à grand renfort d'équilibre pour les atteindre par des branches voisines, les recrues en hauteur espérant sauter assez loin pour rejoindre un tronc. Jaheira réfléchit : l'épreuve ne pouvait pas se résumer à un enchaînement d'agrès, il y aurait une attaque à un moment ou à un autre, il était alors primordial d'avancer armé. Évaluant la situation, elle observa ses pairs agir : une des recrues s'élança et manqua de se rattraper sur les branches, il chuta de plusieurs mètres au sol et s'étala de tout son long dans un grand craquement. Sans réfléchir, Jaheira se précipita à son chevet. L'homme était inconscient mais vivant, tombé sur une pierre tranchante, sa cuisse brisée saignait abondamment : il s'était sans doute sectionné l'artère et ne pourrait survivre bien longtemps sans secours. Elle souffla dans le sifflet accroché à son cou pour appeler de l'aide et sans attendre, mit de côté son épreuve pour rapidement lui bander la jambe, elle utilisa une de ses flèches rouges qu'il avait brisé en tombant et son propre arc à elle pour lui servir d'attelle. Une fois le bandage de fortune terminé, stoppant l'hémorragie, Jaheira le laissa inconscient, sachant que des encadrants le prendraient en charge rapidement. Elle retourna à la cascade pour chercher un nouvel arc et reprit sa réflexion sur comment atteindre ses flèches. Plusieurs recrues avaient déjà récupéré une, voire plusieurs flèches et descendaient de leurs troncs à bout de force, l'arc distendu porté en bandoulière. Faute d'autre idée, Jaheira s'attela à escalader des arbres éloignés encore feuillus pour atteindre deux flèches plantées sur un des troncs isolés, elle faisait confiance à son équilibre pour ne pas chuter comme son compagnon d'infortune, même si ses jambes tremblaient de faiblesse. Arrivée en haut de son arbre, elle parcourut un, puis deux, enfin trois arbres avec aisance. Enfin, elle s'élança et se raccrocha de justesse au dernier tronc afin de se saisir de deux flèches plantées plus haut. En s'élançant sur le tronc à l'écorce brute, elle loupa de justesse la bonne branche et se rattrapa in extremis mais glissa de plusieurs centimètres sur l'écorce qui lui brûla la paume des mains. La semi-elfe se hissa sur la branche, elle serra les dents, renia la douleur et souffla sur ses mains pour calmer la brûlure. Tout de suite, elle s'élança de plus belle pour atteindre finalement deux flèches rouges qu'elle décrocha de l'arbre. Soudain, la terre trembla et Jaheira tomba de son arbre. Elle se rattrapa de justesse sur un début de branche un plus bas, et se retrouve en équilibre précaire, juste au-dessus d'un gigantesque troll de montagne armé d'un gourdin qui s'excitait entre les arbres. Des flèches vinrent se planter dans la poitrine du troll, tirées par deux compagnons qui partirent en courant, semant la bête, alors Jaheira se retrouva vite seule avec cet invité inattendu. Elle se plaqua au tronc, en équilibre sur son bout de branche qui dépassait à peine du tronc, mais devant le peu de matière sous ses pieds, bascula pile sur le monstre, qui comportait désormais six flèches plantées dans les bras et le thorax, un broutille de blessure pour ce troll de plusieurs mètres et à la peau épaisse.
Jaheira rebondit sur la tête du monstre qui poussa un cri de colère, et se hâta alors de remonter et de partir le plus vite possible par les arbres, là où le troll ne pouvait l'atteindre. Mais le monstre, qui la vue arriver, l'attrapa en plein vol et lui assigna un gros coup en plein abdomen, elle fut projetée à plusieurs mètres contre un arbre, sur lequel ses deux précieuses flèches se brisèrent. Elle fut sonnée de ce violent coup qui avait dû lui coûter plusieurs côtes, elle en eut le souffle coupé. La scène lui rappela son agression en Lórien. Elle avait cru mourir, mais elle avait survécu, grâce à Haldir. Haldir. Elle ne pouvait pas le décevoir. Les orques, ah ces satanés orques, il était temps qu'elle exorcise cette colère qu'elle avait en elle. Elle était désormais seule avec ce monstre et devait s'en accoutumer avec pour seule arme un pauvre arc distendu, c'était plus qu'en Lórien. Cela ne l'effrayait plus désormais. Les autres recrues avaient fui et elle pouvait en faire autant, mais Jaheira s'en voudrait toute sa vie. Tandis que le troll se dirigeait vers la recrue inanimée au sol en vue de s'en délecter, elle découvrit que les équipes de secours n'étaient pas venues soigner son camarade. Tétanisée de cet imprévu, ne pouvant laisser cet homme seul à la merci de ce monstre, épreuve ou pas épreuve, tant pis pour elle, elle ne laisserait pas périr un innocent, c'était plus fort qu'elle, elle ne pourrait jamais vivre avec cela sur la conscience, Haldir comprendrait... Sans plus attendre, Jaheira se mit à la poursuite du monstre et lui jeta une pierre sur la tête, la pierre rebondit mollement sur l'épaisse peau du monstre, alors Jaheira courut se mettre au travers de ses jambes en guide de diversion. Le stratagème fonctionna : le troll balança Jaheira d'un revers de main, elle décolla sur plusieurs mètres et vint s'écraser plus loin par terre. Elle se réveilla juste à temps pour éviter un nouvel assaut du troll qui lui lança une énorme roche en sa direction. La diversion fonctionna. Jaheira roula sur elle-même et évita de justesse la pierre qui roula plus loin, elle grimaça de s'être appuyée sur son épaule encore endolorie de son duel à la cascade glacée. Soudain, une lueur d'espoir la rattrapa, elle découvrit une flèche rouge tombée non loin de là. Jaheira se précipita sur la flèche, s'en saisit et s'éloigna du troll en courant, tout ce qu'il lui fallait à présent, c'était du temps pour bander son arc, le troll sur ses talons. Mais la jeune femme éprouva des difficultés à apporter une tension suffisante dans la corde. Elle dû s'arrêter à plusieurs reprises pour essayer vainement de tendre son arc, et en s'arrêtant dans sa course, la semi-elfe se plaçait à chaque fois à portée du troll mais se savait en bonne faculté pour anticiper ses coups. Mais la jeune femme lui tourna le dos, concentrée sur son arc qui commençait à passablement l'énerver : le temps pressait. Heureusement, la bête s'était désintéressée de son inconscient coéquipier. Pour s'assurer de la sureté de son camarade, Jaheira se retourna : l'elfe n'était plus là, probablement évacué, un problème de moins. Priorisant son arc, la jeune femme détecta de dos de nouveaux coups que le troll tentait de lui assigner et les évita sans même prendre la peine de se retourner. Elle s'énerva de plus belle devant cet arc récalcitrant et ce troll qui se montrait particulièrement collant. Elle avait concentré son problème sur l'arc et ne se souciait au final que peu du troll qui agissait bruyamment qui, de par sa stupidité évidente, était prévisible. A bout de nerfs, Jaheira se retourna pour faire face au troll et grimpa sur le gourdin que l'imbécile créature avait des difficultés à extraire du sol où il l'avait planté, espérant écraser la jeune femme. La guérisseuse grimpa sur le gourdin, remonta le long du bras du troll et s'aida de la tête pour s'appuyer de son saut qui la fit atterrir sur une branche épaisse un peu plus loin, la mettant à nouveau hors de portée du troll. Jaheira prit à nouveau le temps pour essayer de tendre son arc mais toujours sans succès : la corde était trop courte.
A quelques branches de là, le capitaine Eryn sauta près d'elle :
- Que s'est-il passé ? S'exclama-t-il.
- Un blessé capitaine. Il a été évacué.
- Continuez, vous pouvez encore finir à temps, déclara Eryn avant de disparaître dans la cime des arbres.
Le temps, elle l'avait presque oublié. Ces mots la rassurèrent grandement : son extra n'avait nullement impacté son épreuve. Elle repartit à la hâte.
Jaheira pestait encore sur son arc alors qu'Eryn revint la voir. Cette fois il ne lui parla pas, il la surveillait de son regard bleu perçant. Le troll faisait donc bien partie de l'épreuve finale, même si celle-ci en avait peu douté. S'agissait-il juste de pouvoir s'en débarrasser en tirant à l'arc ? Cela n'était pas son fort... Jaheira n'eut pas le temps de méditer la question : le troll revint à la charge et se mit à courir en sa direction, mais il ne réussit pas à l'atteindre immédiatement, freiné par les arbres. Jaheira fuit pour se donner encore un peu de temps, elle passa sur une branche devant le capitaine qui lui dégagea le chemin en la suivant du regard. Un peu plus loin, Jaheira se résigna à bander son arc, la corde était trop petite et elle n'avait pas la force pour la détendre. La jeune femme eut alors une idée saugrenue, mais à sa portée : pas plus surprenante que ses duels avec Haldir. Perchée sur son arbre, la jeune femme se retourna pour faire face au troll qui courrait droit sur elle et qui avait déjà déraciné plusieurs arbres de sa plus pure colère. La semi-elfe fit un petit bond en avant et sauta un peu plus bas, pour se retrouver à hauteur de la tête du troll. Elle prit le temps d'enrouler solidement la corde ballante de son arc sur la branche sur laquelle elle se tenait debout. Puis la jeune femme se glissa la tête en bas, les genoux solidement serrés autour de la branche. Le corps à la verticale, elle étira la corde de son arc qui se tendit grâce à la gravité et à son propre poids. La corde était parfaitement tendue, bien assez pour tirer. Jaheira, dans un geste lent et mesuré, se saisit de la flèche entre ses dents et la positionna sur la corde avec son autre main. Le troll n'était plus qu'à quelques mètres et s'approchait dangereusement. Jaheira laissa le troll avancer encore quelques mètres et décocha, à la renverse, sa flèche qui vint se planter bien droitement entre les deux yeux du monstre, qui perdit tout sens de l'orientation presque instantanément et s'effondra par terre, inanimé, juste en-dessous de la jeune femme, qui se hissa pour s'assoir sur sa branche en une plus confortable posture, puis se laissa tomber sur le troll inanimé avec satisfaction. Jaheira adressa au monstre un air suffisant et descendit de sa maudite carcasse. La semi-elfe prit même le temps de s'épousseter la chemise tellement elle se sentait fière d'elle. Soudain, le troll remua sous ses pieds. Contre toutes attentes, le monstre trouva la force de se relever malgré toutes les flèches qu'il s'était un peu plus enfoncé en lui dans sa chute, y compris celle qui trônait entre ses deux yeux. Alors Jaheira leva les yeux au ciel et déguerpit en courant, elle n'était malheureusement pas au bout de ses peines et perdait du temps. Elle se rappela avoir laissé son arc pendu au bout de la corde juste au-dessus d'elle et, pestant de cet oubli, fit un détour dans sa course, joueuse, elle prit à nouveau appui sur le troll pour s'élancer dans les airs et récupérer l'arc encore accroché par la corde à la branche d'arbre.
Jaheira rencontra un peu plus en plus de difficultés à rester hors de portée du troll qui la rattrapait entre les arbres déracinés. Puis la semi-elfe, déconcentrée, chuta sur un des pièges de la forêt, elle s'écrasa sur son arc qui se brisa, fichu. Elle ne releva même pas la douleur de cette chute sur ses côtes cette fois bien brisées et sur son épaule encore fragile, et se releva précipitamment. Puis, éprouvée et lassée, elle stoppa sa course. Elle s'accorda une profonde inspiration, jeta un regard au capitaine qui l'observait, posté un peu plus loin sur une branche, il était prêt à éliminer le troll, et avait entre les mains trois flèches d'argent, connues pour leur solidité à toute épreuve. Elle savait que toute intervention extérieure l'éliminerait d'office. Avant qu'il juge bon d'intervenir, Jaheira se saisit de son arc brisé et sauta en s'appuyant d'un pied sur un tronc, elle s'exécuta dans un nouveau saut périlleux et qui la fit atterrir sur les épaules du troll. Le troll devint fou et entreprit d'assommer Jaheira. La jeune femme sépara alors les deux morceaux des restes de son arc brisé avec rage, les saisit par les extrémités les plus pointus et sauta sur une branche à proximité. La semi-elfe disparut quelques secondes du regard du troll qui la cherchait encore sur sa tête. Puis, Jaheira réapparut, dans un saut parfait, comme au ralenti, elle se jeta en frontal sur la tête du troll, s'appuya sur les flèches de sa poitrine, et lui enfonça en hurlant les deux pieux dans les deux yeux dans un bruit gluant, une fois, puis deux, puis trois fois, jusqu'à ce que Jaheira n'en puisse plus. Elle le poignarda aux yeux, déchargeant sa colère en hurlant de rage, faisant gicler de son sang noir partout. Enfin, le troll s'immobilisa et après quelques pas à tituber, il s'écrasa de tout son long. Hors d'état de nuire. Jaheira s'en assura cette fois-ci en lui adressant un coup de pied sur la tête et en jetant l'arc brisé un peu plus loin. Le sang noir du troll avait tant giclé qu'elle en était recouverte jusqu'aux épaules.
Jaheira, soulagée, recouvra ses esprits. Elle jeta un regard aux alentours : le capitaine avait disparu. Entre le blessé et ce troll, elle avait perdu du temps, ele ne savait pas combien d'épreuves il lui restait encore, mais la bête était désormais éliminée et le blessé pris en charge, elle aurait la conscience tranquille. Par chance, sa poursuite l'avait fait se déplacer plus vite que prévu et elle voyait se dessiner la fin de la forêt un peu plus loin. Désormais sans arc et ne souhaitant depuis son agression plus jamais de sa vie rester désarmée, elle arracha son unique flèche du front du troll, seule arme à sa portée et se précipita sur la suite du parcours dans l'espoir de trouver une arme plus efficace. Pendant les prochaines heures, Jaheira surmonta les dix-sept obstacles suivants non sans difficulté : de la nage lestée, du corps à corps où elle s'emparra d'une lame, de l'exécution d'orques par dizaine, du tir à l'arc où elle fit au mieux pour limiter les dégâts, du parcours du combattant et grimpant plusieurs obstacles à mains nues, elle se blessa encore avec quelques ronces qui lui lacérèrent le visage et les mains et termina sa course et se roulant sans la moindre hésitation sous un mur de feu grégeois, brûlant plusieurs mèches de ses cheveux au passage et aggravant ses brûlures sur les paumes des mains en voulait s'accrocher pour progresser plus facilement, avant de passer la ligne d'arrivée et de s'écrouler à genoux dans un cri libérateur devant le capitaine et plusieurs cadres de la formation. Elle arriva et constata que son corps était maculé d'un mélange de boue, de sang de troll et de sang elfique dont elle ignorait même la provenance. Seuls cinq soldats avaient déjà passé la ligne d'arrivée, dont plusieurs avec le menton ouvert. Elle constata ne pas être la dernière, et cette conclusion la rassura. Mais un de ses camarades s'approcha d'elle avec un air gêné :
- Le temps est échu, dit-il en pointant du doigt le sablier de l'épreuve désormais vide.
Ces mots résonnèrent en elle comme un couperet. Soudain, toute contenance abandonna la jeune femme : Jaheira jeta sa lame, hurla, et frappa violemment le sol de ses mains ensanglantées, pleurant de rage. Plusieurs camarades visiblement déçus aussi, vinrent lui poser la main sur l'épaule par compassion, mais Jaheira les repoussa. Inconsolable, elle n'aspirait à aucune pitié. Elle avait échoué et trahi la confiance d'Haldir, celle d'Elrond, de Celeborn et de Galadriel, celle d'Eryn et surtout sa confiance en elle. En cet instant, Jaheira se maudit. Elle avait pourtant terrassé un troll à elle seule, mais ce petit exploit n'avait là pas plus de valeur que la boue qui lui filait entre les doigts. Elle se haïssait.
La trompette du camp sonna. Les recrues présentes, qu'elles aient terminé leur épreuve ou non, s'alignèrent en rang. Six au total. Jaheira aperçut sur un brancard le camarade à la jambe blessée, encore inconscient. Son pansement avait bien tenu et l'hémorragie s'était stoppée, bien qu'il soit sorti d'affaires, cela ne l'apaisa que peu. Le capitaine sortit de sa tente et suivit le blessé du regard, il ne cilla pas et s'avança vers ses recrues, qu'il dévisagea un par un comme au premier jour. Il constata les blessures ensanglantées de plusieurs de ses hommes sans faire transparaître la moindre émotion. Jaheira ressenti un vertige de honte qui lui plomba l'estomac quand le commandant passa devant elle et la dévisagea de ses sévères yeux bleus.
- J'invite tous les soldats ayant passé la ligne d'arrivée à faire un pas en avant, dit Eryn.
Cinq sur six s'exécutèrent, dont elle.
- J'invite tous les soldats qui ont passé la ligne d'arrivée dans les temps impartis à faire un nouveau pas en avant.
Trois soldats s'avancèrent, Jaheira elle, resta honteusement sur place, avec un seul autre. Prête à recevoir un sermon et une humiliation bien mérités.
Eryn leur parla à tous sans détour :
- Recrues, vous avez sur cette épreuve, et pendant toute la durée de votre entraînement, prouvé votre bravoure, vos compétences et votre dévotion au combat. Cependant, certains d'entre vous ont failli à mes ordres de terminer l'épreuve dans les délais impartis.
Jaheira serra les dents et les poings, s'effondrant en son for intérieur. Le capitaine continua :
- Cette épreuve ne pouvait être terminée dans les temps qu'à une seule condition : ne jamais se retourner, toujours avancer, éviter l'ennemi et tracer son chemin le plus vite possible... En d'autres mots : fuir.... Et l'Académie de la Garde Royale ne forme pas de déserteurs.
Ces mots résonnèrent et les recrues se figèrent. Cette dernière phrase était des plus accusatoires et enfin l'épreuve prit tout son sens. La tendance venait de s'inverser dans les rangs.
- J'invite donc toute recrue ayant terminé l'épreuve dans le temps à quitter les rangs.
Jaheira et son dernier camarade restèrent seuls. Eryn se posta devant son camarade et interrogea les surveillants :
- Quel est le palmarès de cette recrue ?
- Son nom est Aximes. Quarante-deux orques, sept rapaces, six loups, sept goules, dit un des encadrants de l'académie qui avait tout noté.
Jaheira n'avait croisé aucune de ces créatures-là et se demanda même s'ils avaient tous deux subi la même épreuve.
- Quel parlmarès pour elle ? Demanda Eryn en se pointant devant Jaheira.
- Un troll des montagnes, trente deux orques, dit l'encadrant.
La recrue à ses côtés lui jeta un regard, presque impressionné, voire jaloux.
- Et un blessé pris en charge, capitaine, termina l'un des encadrants.
Eryn prit en compte l'information.
- L'Académie a été créée pour former des soldats d'élite, pas des victimes, mais des soldats qui se battront quoi qu'il advienne, pour protéger leur peuple, leur patrie, leur famille, leurs valeurs, leurs camarades ! Recrues, aujourd'hui vous avez démontré votre courage face au danger et avez choisi de saisir vos armes pour vous défendre plutôt que de fuir, et c'est ce réflexe qui vous sera toujours favorable sur le champ de bataille. Sans arme, vous n'êtes rien qu'un fou avec des poings, avec une arme, vous êtes un guerrier.
Le capitaine marqua un temps d'arrêt, se retourna vers Jaheira et son acolyte, et conclut solennellement :
- Soldats. Je vous souhaite la bienvenue dans les rangs de l'Académie de la Garde Royale, déclara-t-il en portant son poing à la poitrine, salut militaire officiel de l'Académie.
Jaheira et lui se relâchèrent avec retenue. Jaheira, soufflée de ce retournement de situation, n'en crut pas ses oreilles. Son cœur s'était envolé dans sa poitrine et elle tremblait de tout son corps. Le capitaine se retourna vers les autres recrues qui avaient échoué :
- Quant à vous, recrues ! Rappelez-vous que sur le champ de bataille la performance n'a aucune valeur, que seul votre courage compte. Et un soldat d'élite, par ce qu'il est, choisira toujours de se battre.
Les recrues éconduites se dispersèrent sans demander leur reste.
Le capitaine Eryn procéda alors à la distribution des deux diplômes. Il se posta devant chaque recrue pour remettre le précieux sésame et termina par Jaheira.
- Avancez-vous.
Jaheira s'exécuta. Elle soutint le regard bleu perçant du capitaine et pour la première fois, elle y détecta un certain contentement. Elle grava ce regard dans sa mémoire.
Il lui tendit un parchemin enroulé autour et scellé avec la même flèche rouge qu'elle avait utilisé en atèle quelques heures plus tôt. A cet instant, Jaheira ne touchait plus terre.
- Capitaine, salua-t-elle sans rien laisser paraître.
Il tourna les talons sans plus de cérémonie.
Jaheira prit un moment pour savourer le précieux sésame qu'elle tenait entre ses mains, appréciant chaque aspérité du papier et la couleur du parchemin afin de graver chaque seconde de cet instant dans sa mémoire. Des années d'entrainement pour se mettre au niveau de militaires se voyaient récompenser en ce jour. Des heures interminables d'exercices et d'efforts, de sacrifices, Jaheira n'était désormais plus orpheline, plus la pupille de la Lórien, plus la protégée de Celeborn, elle avait désormais une famille, une famille d'adoption, une famille qui l'avait choisie et qu'elle avait mérité : la famille de la Garde Royale. Aujourd'hui, rien ni personne ne pouvait entacher son bonheur.
Au loin sur la montagne environnant le camp de East Bight, Haldir avait assisté à toute la cérémonie depuis son point de vue. Il s'extasia en voyant sa protégée recevoir les honneurs, lui qui avait dédié une partie de sa vie à sa réussite, s'en sentait aujourd'hui comblé. Lui, avait reçu ce précieux sésame il y a plusieurs milliers d'années concrétisait un de ses rêves les plus fous : un pari sur la vie, cette même vie qu'il avait secrètement sauvé il y a des années et qu'il célébrait aujourd'hui avec la nouvelle indépendante de la jeune femme, au mental et à la force inégalés. Le capitaine descendit rapidement rejoindre le camp pour s'enquérir de sa protégée. Il la retrouva amincie, affaiblie, le visage creux, mais un sourire si rayonnant lui traversait le visage que le soleil lui-même semblait faible en cet instant. A sa vue, Jaheira ploya le genou en respect pour son précepteur qui avait cru en elle et lui avait accordé sa confiance, lui tendant son diplôme avec cérémonie. Haldir, ivre de joie, la salua d'abord avec le salut de l'Académie qu'elle savoura avec un nouveau sourire, puis, l'elfe ne put réprimer l'envie de serrer la jeune femme dans ses bras, c'était la première fois de leurs vies qu'ils partageaient un contact physique hors d'un combat. Jaheira lui rendit son étreinte avec soulagement, avant de partir avec lui à Fondcombe où une fête en comité restreint fut célébrée.
La célébration se déroula dans une grande discrétion et avec mesure, on compta comme seul débordement d'émotions celui de Arwen qui se jeta dans les bras de son amie. « Tu m'as manqué ! » lui glissa-t-elle dans son étreinte. Une fois le festin terminé, Elrond vint déposer un grand présent emballé de délicat papier devant Jaheira. La semi-elfe l'ouvrit avec délicatesse et y découvrit une armure de plates sur-mesure, gravée d'un lierre, une gravure choisie par Haldir et une épée aux formes uniques : la fine lame avait été forgée en une forme ondulée semblable à sa chevelure.
- Tout bon soldat doit avoir une armure et une épée, déclara Elrond.
Jaheira, qui avait repris un comportement plus réservé et pudique, lui adressa un profond regard de reconnaissance en une nouvelle et sincère révérence.
- Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi, souffla Jaheira.
Un peu plus tard dans la soirée, Jaheira salua Haldir sur le départ. Elle prit la dague dans sa botte et la tendit à son parrain, qui la repoussa vers elle.
- Tu as su t'en montrer digne. Garde-la, et prends cela comme une promesse de ma part pour ton affectation en guerre. Je m'en chargerai personnellement.
Jaheira remit la lame à sa place et, trop pudique, se retint de saluer Haldir en se lovant à nouveau dans ses bras. La jeune femme salua Haldir, et celui-ci quitta Fondcombe à cheval le soir même.