Peu de temps après la soirée chez Michael, je me suis arrangée avec Nash et Dylan pour qu'on se retrouve tous les trois, histoire de passer du temps avec mes frères, de se retrouver et de se remettre à jour sur les histoires de chacun. Ils étaient aussi enchanté que moi quand je leur ai proposé, on a donc décidé que le plus simple serait de se retrouver chez moi et qu'ils viennent manger quelques jours plus tard.
Nous voilà donc, quelques jours plus tard, et les garçons ne vont pas tarder à arriver chez moi. Le repas est presque prêt, je m'y suis attelée toute la journée, c'est la première fois que je cuisine quelque chose pour eux alors je leur ai préparé ma spécialité: un risotto au poulet et aux champignons, un de mes plats préférés. C'est ma mère qui m'a appris à le faire quand j'avais dix ans à peine, et c'est devenu ma référence culinaire, même si ça reste un plat assez classique.
Remarquant que la cuisson est terminée, je jette un coup d'œil à l'heure. Je leur ai donné rendez-vous pour 19h, il est 19h30 et ils ne sont évidemment pas encore arrivés. Je m'en doutais bien sur, j'avais pris cette marge de trente minute minimum de retard pour leur donner l'heure d'arrivée.
On frappe à la porte, et je suis satisfaite, j'avais calculé juste. J'ouvre aux deux têtes brunes qui se tiennent sur le palier et mes frères me prennent tour à tour dans leurs bras en entrant.
~ Eh, c'est super cool chez toi, fanfaronne Dylan en visitant les lieux.
~ C'est vrai, tu es bien ici, surenchérit Nash.
Je souris et confirme, ce petit appartement est parfait pour moi, il y fait calme et je n'y manque de rien.
Après avoir fait un tour rapide de ma petite demeure, je dis aux garçons que s'ils ont faim, le repas est déjà prêt et ils s'extasient en me demandant ce que j'ai préparé, prêts à passer tout de suite à table. Je ris devant leur enthousiasme et leur explique ce que j'ai cuisiné. Les deux m'acclament et crient après la nourriture pendant que je vais la chercher. Je prépare trois assiettes et les amènes à mes frères, déjà installés autour de ma petite table.
~ Voilà donc la fameuse spécialité de Miss Bradley, lance Nash en observant le plat que je pose devant lui. En tout cas, ça sent bon et ça donne envie de se jeter dessus!
Dylan confirme aussitôt et je m'assied avec eux. Pendant le repas, les conversations se perdent autour de tout et de rien, de la pluie et du beau temps. Rien qui ne sorte de l'ordinaire, les petits détails de la vie de chacun, le genre de choses qui font malgré tout toujours plaisir à entendre. J'ai l'impression, en les écoutant parler, que le temps perdu se rattrape et que c'est presque comme s'il n'avait pas existé. Rien n'a changé, si ce n'est que nous avons vieillis.
Après avoir mangé, on s'installe tous les trois dans le canapé autour d'une bouteille de vin, et les discussions commencent à se faire plus dans le détail.
~ Alors, me demande Nash, tu te sens de nous raconter tout ce qu'il s'est passé pendant ces deux dernières années?
Je l'observe silencieusement pendant quelques secondes, et hoche la tête. Je savais au préalable que cette conversation arriverait, et qu'il me faudrait expliquer pas mal de choses. Je m'y suis préparée, et je me sens prête à le faire. Peut-être pas pour tout, mais pour le principal.
~ Ça risque d'être long, vous avez le courage de vous accrocher? je leur demande en souriant timidement.
~ Évidemment!
~ Bon... Le jour où vous m'avez retrouvée, à Londres, c'est le jour où tout à commencé vraiment, je commence en m'adressant à Nash, présent ce jour là. Ce qu'il s'est passé avant, la vie que j'ai vécu avec Trace, je l'ai effacée de ma tête. Donc ce jour là, j'ai emballé mes affaires et je suis partie en décidant de tout laisser derrière moi. Quand je dis "tout", ça voulait dire pour moi que je tirais un trait sur ma tante Chris, sur Trace, sur Aaron, sur toutes ces années horribles que j'ai passé là-bas. Et du j'ai appris que Aaron était, par alliance, rattaché à la famille.
Pourtant j'ai couché avec lui, je pense en m'arrêtant de parler. Même s'il n'y a aucun lien sanguin ou biologique entre nous, je réalise que vu comme ça, c'est assez spécial comme situation.
~ Enfin, je n'ai pas forcément envie de prolonger les détails de ma vie passée là-bas. J'ai passé ma première nuit seule à marcher le long des voies ferrées, je ne savais pas quoi faire, je ne savais pas où aller, mais je savais pour sûr que je ne pouvais pas rentrer. Quand le jour a commencé à se lever, je suis retournée en plein hypercentre de Londres. Comme j'avais les économies de ma mère, je n'étais pas les poches vides, donc j'ai vite trouvé une collocation avec d'autres jeunes, puis rapidement un petit travail de serveuse dans un café pas loin. J'ai travaillé encore et encore et j'ai économisé, tout en continuant ma scolarité pendant ce temps, je l'ai terminée par correspondance. Jusque là, rien de fou, ni de très compliqué au fond. Je ne sortais jamais, à part pour faire des courses et aller travailler. Le reste du temps, j'étais cloîtrée dans ma chambre, à lire, à étudier, à mettre en place mes plans, je marque une pause et pèse mes mots avant de continuer.
~ Ça a duré six mois. Pendant six mois c'était la même chose, tous les jours étaient les même: je me levais, j'étudiais, à quinze heures je partais travailler, à une heure du matin je rentrais, cinq jours par semaine. Le weekend je dormais, je tournais en rond. C'était pas tous les jours facile, mais ça en valait la peine, c'est ce que je me répétais pour m'accrocher, il fallait que j'y arrive. Et j'y suis arrivée, j'ai mis assez d'argent de côté, et j'ai pu partir. Après avoir réussi mes cours, j'ai pris un billet d'avion pour revenir ici. J'ai remballé mes quelques affaires, toujours aussi peu nombreuses, j'ai signé la fin de mon contrat et de mon bail de collocation, et je suis partie.
Les deux bruns me regardent sans rien dire, hochant la tête de temps à autre, souriant ou au contraire affichant une mine travaillée sur certaines phrases. Je ferme les yeux, revoyant chaque jour passer en accéléré dans ma tête. Je vacille, j'inspire profondément, puis je reprend.
~ Tout est allé très vite quand je suis arrivée, j'ai trouvé cet appartement super rapidement, et il m'a suffit de faire le tour des bars du campus pour trouver quelqu'un qui m'embaucherait comme serveuse. J'ai travaillé jusqu'à la rentrée et j'ai commencé des études en psychiatrie spécialisée. À la fin de ma première, j'ai quitté mon job de serveuse et maintenant je travaille dans un supermarché à deux pâtés de maisons d'ici. Le jour où ça a fait deux ans, jour pour jour, je suis sortie, pour oublier. Ce jour là, je me suis fait droguée et Cal m'a retrouvée. Je ne m'en rappelle pas, c'est lui qui m'a raconté. Et ensuite voilà, tout est arrivé. Vous, les autres, tout le monde. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais après deux ans, tout a changé, d'un coup.
Je m'arrête enfin, je ne saurais pas en dire plus. Laisser sortir tout ça est déjà digne d'une épreuve pour moi. Mes frères me regardent toujours sans rien dire, leurs regards sont chargés d'émotions. Je leur souris timidement et regarde Dylan se lever sans un mot. Nash le suis et tous deux se retrouvent devant moi, puis sans que j'ai eu le temps de réagir, il me serrent dans leurs bras.
Le flux d'émotions se relâche et je ne peux retenir mes larmes, cette fois c'est trop.
+++
Il est presque une heure du matin quand mes frères décident de rentrer chez eux, je les raccompagne à la porte, leur souhaitant une bonne nuit après les avoir pris dans mes bras.
Après leur avoir raconté ma vie pendant près d'une heure, nous avons parlé tous les trois, de tout ça, de comment je me sentais maintenant, des erreurs que j'ai fait, des possibilités qui s'offrent à moi aujourd'hui. Ils ont été extrêmement compatissant, tellement plein d'amour et de bonnes choses. Je ne sais pas ce que j'ai fait pour mériter d'avoir deux frères aussi exceptionnels, mais je remercie les cieux et les divinités pour ça.
Je les regarde partir, le sourire aux lèvres, heureuse d'avoir retrouvés ces deux petits hommes lorsque mon téléphone se met à sonner, me sortant de mes pensées. Je remarque que le numéro qui m'appelle n'est pas enregistré, et je me demande bien qui peut m'appeler à cette heure-ci.
~ Allooo, je lance en décrochant.
~ Brooke?
~ Oui, c'est moi, je répond en hésitant.
~ C'est Ashton.
C'est bien ce qu'il me semblait.
~ Quelque chose ne va pas?
~ Je peux passer? il demande d'une petite voix.
~ Maintenant?
~ Je sais qu'il est tard mais --
~ Ok, je le coupe, je t'attend, tu sais où j'habite.
Je raccroche et remonte dans mon appartement que je range rapidement. Le temps que je mette les plats dans le lave-vaisselle et que je nettoie la table, mon cellulaire vibre.
"Je suis en bas", je lis sur mon écran verrouillé. Je vais ouvrir la porte et observe le châtain monter les escaliers et avancer jusqu'à moi. Je remarque immédiatement qu'il a le regard sombre et la mine travaillée.
~ Qu'est ce qu'il se passe? je demande en lui faisant signe de rentrer.
~ Rien.
Il me dépasse, s'arrête, se retourne et me toise. Je regarde ses yeux et je comprend rapidement.
~ Tu as bu, je remarque en soupirant, croisant mes bras sur ma poitrine.
~ J'avais envie de te voir, il répond en haussant les épaules.
~ Pourquoi?
Il ne me répond pas et fait quelques pas dans le salon, regardant autour de lui, scrutant chaque détail avec attention pendant que je l'observe silencieusement. Lentement, il se déplace, longe ma bibliothèque en lisant les titres de certains livres, trace le contour de la table du bout des doigts, regarde les quelques photos et cadres sur les murs, puis il s'arrête devant ma fenêtre.
~ Tout ce temps, tu étais là. J'arrive pas à ne pas y penser. J'ai voulu boire pour oublier, mais ça a fait tout le contraire.
Je ne répond pas et il se retourne face à moi.
~Tu te souviens de nous? il demande en plantant son regard dans le mien.
Je m'approche de lui et prend sa main dans la mienne.
~ Bien sûr que je me souviens.
~ J'ai été tellement con, il souffle.
~ Chut. Pas maintenant Ash, s'il te plait. Pas là, ici, à cette heure-ci.
Il hoche la tête sans rien ajouter et soupire. Je presse sa main et il m'attire contre lui, me serrant dans ses bras. Surprise au début, je le laisse faire et fini par me laisser aller contre lui. J'inspire profondément et son odeur m'enivre, c'est toujours la même.
Parfois j'ai l'impression que rien n'a changé, c'est comme si tout avait été mis sur pause jusqu'à ce qu'on se retrouve. C'est comme si le temps s'était arrêté pour nous, pour qu'on puisse se retrouver.
~ Tu veux dormir ici? je lui demande timidement dans le silence de la nuit.
De nouveau, il hoche la tête pour me répondre que oui, et je reste dans ses bras, longtemps. J'observe la vue qui s'étend derrière ma fenêtre et je savoure cet instant comme si c'était le dernier, comme s'il pouvait durer à jamais, même si je le sais éphémère, je l'inscrit à jamais en moi.
Cette courte pause, sa présence.
Lui.