J'avais une frange, comme Anna ; de même qu'un style affreux. Mais je me consolais en me répétant que c'était pour la bonne cause.
Maquillage léger, jupe longue de style rétro, chemisier col mao et bottines. Michael voulait de la prude ; il en aurait.
J'avais refait ma garde-robe et dit adieu à mes jeans, débardeurs et cardigans passe-partout.
Une nouvelle Megan venait de naître.
Ma mère m'avait coulé son regard : " Pourquoi je n'avais pas avorté ? " lorsque je m'étais arrêtée pour ajuster mes nouvelles lunettes devant le miroir de l'entrée.
J'avais fait semblant de ne pas remarquer et étais partie à l'école en sautillant en cette belle journée de novembre, chargée de promesses.
Même Helen n'allait pas me voler ma bonne humeur.
Celle qui m'avait mise au monde avait raté une bonne partie de ma vie, à cause des quatre années qu'elle avait passées en prison.
J'avais pleuré toutes les larmes de mon corps lorsqu'on l'avait emmenée, ce soir-là.
Mais de retour, des années plus tard, le jour même de mon anniversaire de quatorze ans, on avait vite compris toutes les deux, que les choses n'allaient pas être roses entre nous.
Elle était devenue froide, amère et autoritaire. Moi, mon père m'avait déjà habituée à n'en faire qu'à ma tête et à ne jamais me laisser brider. Nos tempéraments ne s'accordaient donc pas le moins du monde.
Les disputes avaient vite commencé. Papa avait servi de tampons entre nous, durant la première année de sa réinsertion. Mais par la suite, un accident de la route avait emporté celui que j'aimais le plus au monde.
Helen ne m'avait été d'aucun secours. À croire qu'elle avait su éteindre son humanité comme les vampires de Vampire diaries.
Je ne savais même pas si j'aurais survécu sans l'appui d'Everly et Teddy.
Du coup, à chaque fois que la femme d'affaires avait envie de jouer son rôle de mère en me critiquant ou m'ordonnant des choses, j'avais envie de tout casser.
Je savais qu'elle avait souffert, mais je ne pensais pas devoir en payer le prix, moi aussi. Un peu d'affection de sa part ; c'était tout ce que je demandais.
Mais ça n'avait plus d'importance. Michael allait me combler avec tout l'amour dont j'avais besoin.
Il allait être mon Hayden, mon H, mon Hardin, et moi sa Tenley, sa Babi, sa Tessi...
Tessa ? Tessine ? Merde ! J'aurais dû mieux écouter lorsque Everly me racontait cette histoire. Je me souvenais juste que c'était celle d'un bad boy devenu un chamallow pour une timide, comme Michael s'apprêtait à le faire pour moi.
Je détestais lire. Et lire me le rendait bien puisque j'étais dyslexique. Je préférais les chiffres et de loin.
Toutefois, j'avais un faible pour les histoires d'amour. J'achetais donc des tas de livres à Everly, pour qu'elle me les raconte.
C'était ça, l'avantage d'avoir une copine rat de bibliothèque.
Presque toutes les semaines, j'allais faire un tour dans la petite librairie du centre pour parcourir les rayons et cibler les bouquins avec du potentiel. Ensuite, j'allais me gaver de compliments qui revenaient à Everly auprès de la libraire.
C'était une vieille afro-américaine qui m'appréciait, car selon elle, j'étais l'une des rares ados de cette génération à porter un tel intérêt à la littérature.
Je n'avais jamais trouvé le courage de lui avouer la vérité.
C'était vraiment honteux, puisque de toute ma vie, je n'avais pas lu un seul roman, alors que Everly pouvait passer toutes ses journées à ne faire que ça.
Ce qui bien sûr m'arrangeait, car je savais qu'ensuite elle allait se dépêcher de venir tout nous raconter à moi et Ted ; avec tellement de précisions et de détails, qu'à la fin on avait l'impression d'avoir lu l'histoire, nous-mêmes.
Grâce à elle, j'en savais un rayon sur les histoires clichées de bad boys et de timides, qui comme on le savait tous, commençaient très souvent par une fameuse rencontre percutante.
Comme celle qui s'apprêtait à changer ma vie à jamais.
J'étais arrivée assez tôt à l'école puisque je n'habitais qu'à un quart d'heure de marche.
Excitée comme une gamine à Noël, je me tenais à l'angle du couloir qui conduisait au casier de Michael, avec un grand sourire niais, qui m'attira pas mal de coups d'œil méfiants... que j'ignorai, bien entendu.
Je surveillais le hall de l'entrée depuis un bon moment déjà. Je m'attendais donc à son arrivée. Mais comme à chaque fois que mes yeux se posaient sur lui, mon cœur avait raté un battement.
J'avais l'impression de le voir avancer en slow motion, alors qu'il n'y avait aucune chance, vu ses grandes enjambées.
Il fallait voir sa peau diaphane qui contrastait avec ses cheveux de jais coincés derrière ses oreilles. Ses mâchoires puissantes. Ses traits parfaitement dessinés. Ses yeux d'un bleu électrique fixés droit devant lui... Il accaparait toute l'attention en se déplaçant, les mains dans les poches de son éternel perfecto, avec une désinvolture mêlée d'une grâce que lui seul possédait.
Il arrivait à l'intersection du hall et du premier couloir. C'était le moment d'entrer en action.
Je reculai, mon classeur contre ma poitrine et lorsque j'entendis ses pas se rapprocher, je fonçai.
Le choc me coupa le souffle. Je tombai comme un sac sur les fesses tandis que mes feuilles s'éparpillaient dans tous les sens.
C'était moins élégant que ce que j'avais prévu. Mais je pris sur moi, car j'étais persuadée que Michael allait s'accroupir pour m'aider. Nos regards se croiseraient et il réaliserait que c'était moi l'élue de son cœur, pas Anna.
Sauf qu'aucun élément de mon scénario ne prit vie.
Au contraire, mon héros me toisa par terre avec un tel mépris que j'eus l'impression de me transformer en poussière. Ma gorge s'assécha de honte et ma peau me brûla sous l'intensité de ses flammes bleues.
Au bout de quelques secondes de torture, il contracta ses mâchoires. Et je pris conscience d'avoir retenu mon souffle que lorsqu'il s'en alla enfin, en piétinant mes notes.
Mais qu'est-ce que... ?
J'avais fait quoi pour mériter autant de dédain ? J'avais tout planifié. J'avais le même look que la nouvelle. Il aurait dû, je ne sais pas, me trouver un truc... ou même être un peu plus sympathique.
Mais peut-être qu'on allait vivre l'une de ces histoires plus compliquées, où le bad boy détesterait d'abord la timide, avant de tomber sous son charme.
Ça devait être ça ! Je n'allais pas me décourager après un échec.
Dire que les gens me demandaient tout le temps pourquoi j'aimais les Mathématiques ! Eh bien, au moins en Maths, on savait à quoi s'attendre. Pas de mauvaises surprises. Pas de changements de plans. Une formule précise conduisait toujours à un résultat bien déterminé.
- Meg ?
La voix de mon meilleur ami me tira de mes réflexions. Je m'agenouillai pour réorganiser mon classeur après avoir salué mon rouquin préféré.
Les autres élèves, plus gentils, contournaient mes feuilles. Teddy se baissa pour me filer un coup de main.
Je le remerciai d'un sourire sincère et m'enquéris à propos de sa nuit. Il n'eut cependant pas le temps de répondre, car le cri d'Everly nous avait fait sursauter tous les deux.
- Que t'est-il arrivé, Megan ? s'épouvanta la métisse.
Et c'était moi qui dramatisais tout ! Je roulai des yeux devant tant d'hystérie, et terminai de ramasser mes feuilles.
Personne n'allait vraiment faire attention à mon nouveau style. On était à Portland ! Les héros ici étaient ceux qui parvenaient à se démarquer.
Vous voyez ces personnes avec un petit truc en plus... comme Michael.
Ce n'était pas pour rien que notre devise était : " Keep Portland Weird ! "
Comme partout, il y avait bien entendu des fils de putes. Mais nous, on appréciait l'originalité à un autre niveau.
Par exemple, je soupçonnais quelques élèves de baiser le sol qu'une certaine tarée aux cheveux violets foulait.
Stacy Hunting était pourtant démoniaque. Mais on la vénérait par ici. C'était comme ça.
Elle et moi, on s'ignorait la plupart du temps. Ce qui était parfait, parce que je n'étais pas prête d'oublier notre passé commun.
Donc personne ne risquait de m'emmerder à cause de ma transformation. Everly avait juste du mal à se défaire de ses racines New-Yorkaises.
Il n'y avait qu'à voir ses yeux écarquillés.
- T'as dévalisé l'armoire de ta grand-mère ou quoi ?
Je décidai de faire fi de son ton critique en la saluant d'un grand sourire. Aucune des répliques que j'avais à l'esprit ne la ménagerait. Or, je savais que la côte Est lui avait laissé des séquelles quasi-irréparables.
- J'ai l'air prude ? demandai-je en écartant les bras.
- À fond, s'écria-t-elle sans hésiter.
- Intouchable, plussoya mon rouquin préféré sur le ton de la plaisanterie. Mais j'ai pas besoin de préciser que tu es toujours magnifique.
La sonnerie fit suite à mon clin d'œil reconnaissant.
Everly nous souhaita une bonne journée en se dirigeant dans la direction opposée.
Comme elle n'avait pas accumulé assez de crédit dans toutes les matières de l'année dernière, on n'avait pas le même horaire. C'était pour cette raison qu'elle s'était retrouvée dans la même classe qu'Anna, qui elle était en première.
Je promis à mon meilleur ami de le rejoindre en cours et filai vers les toilettes, sous son regard perplexe.
J'avais un plan à suivre.
La rencontre percutante n'avait pas fonctionné. Le coup du retard allait marcher à coup sûr.
J'allais arriver un quart d'heure plus tard et trouver ma place habituelle occupée. Ainsi, j'aurais une excuse pour m'installer au fond avec Michael, même si personne d'autre n'aurait osé.
Je lui emprunterais ensuite un stylo. Nos mains se frôleraient. Et là, bam ! Coup de foudre !
Je ne pourrais pas le rater, cette fois. Il était probablement déjà à notre classe de débat.
Il adorait ce cours ; bien qu'il n'y participât jamais. Mais la façon dont son visage réagissait à certaines prises de parole ne laissait aucun doute sur son intérêt. Il absorbait chaque petite expression, chaque réaction... Et moi, je me gavais des siennes.
Comme prévu, à mon arrivée, ma chaise était prise. Rien de remarquable. Tout le monde s'asseyait où il en avait envie, hormis à côté de Michael.
Territoire minée, savait-on tous... mais surtout territoire vide ce jour-là, car son occupant habituel n'y était pas.
Comment ? Pourquoi ?
Je restai figée devant la porte, mes documents contre ma poitrine face à une salle penaude qui devait se demander ce que je tramais.
Puis tout à coup, un bougre me bouscula par l'épaule ; éparpillant mes notes pour la deuxième fois de la journée... Et leur marchant dessus aussi, pour la deuxième fois.
- Non, mais ça va pas ? gueulai-je avant de me rappeler que je devais être innocente et timide.
J'allais peut-être m'attirer les foudres du bad boy. Était-ce grave de trouver cela excitant ?