Parle-moi du bonheur (profess...

Af DyanaLock

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La vie est un puzzle complexe. Pièce par pièce, la pétillante et déterminée Julia, du haut de ses quinze ans... Mere

Avis au lecteur
Chapitre 1 : Retour en enfer
Chapitre 2 : Un fantôme de chair
Chapitre 3 : My least favorite life
Chapitre 4 : Cheers Darlin'
Chapitre 5 : Le début des ennuis
Chapitre 6 : Le dernier mot
Chapitre 7 : Le pouvoir des choses
Chapitre 8 : Amitiés
Chapitre 9 : Birds through the night
Chapitre 10 : Voyage au bout de la nuit - Première partie
Chapitre 11 : Voyage au bout de la nuit - Deuxième partie
Chapitre 12 : Vivere e sorridere
Chapitre 13 : Rendez-vous manqués
Chapitre 14 : Des fleurs bleues et des sorcières
Chapitre 16 : Deux oiseaux noirs au bord du nid - Deuxième partie
Chapitre 17 : Acta est fabula
Chapitre 18 : Promis
Chapitre 19 : Des taz et de l'art
Chapitre 20 : Le Roman de Silence
Chapitre 21 : Là où brillent les étoiles
Chapitre 22 : Vers la folie et ses soleils
Chapitre 23 : Dormez heureux
Chapitre 24 : Musicienne du silence
Chapitre 25 : Les planètes continuent de tourner

Chapitre 15 : Deux oiseaux noirs au bord du nid - Première partie

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Af DyanaLock

L'univers sonore : onomatopée de l'indicible, énigme déployée, infini perçu, et insaisissable... Lorsqu'on vient d'en éprouver la séduction, on ne forme plus que le projet de se faire embaumer dans un soupir.

Emil Cioran, Syllogisme de l'amertume.

Julia avait pensé que se rendre à la mer lui ferait du bien malgré le temps maussade. La vérité, c'est que même sur sa planche, à dompter la nature, les vagues implacables, elle se sentait terriblement impuissante, et seule. Elle s'était assise sur le sable et se laissait bercer par la houle sous la fine pluie, laissant son esprit divaguer à quelques vers libres, dans le souvenir d'un tableau de Botticelli, de ces centaines de méduses qui s'étaient échouées sur cette même plage deux étés auparavant, et de sa virginité qui lui avait été enlevée plus tôt qu'elle ne l'avait imaginé.


...Les embruns se lèvent en voile aux confins des mers vénérieuses,

mais j'ai au cœur une douleur plus vive que les renflements fauves des anses marines,

fracassée comme de vénéneux seins mauves :

l'aquarelle historiale de la Femme engloutie.

Pourquoi sa vie lui semblait donc si compliquée ? Était-ce une illusion, était-ce elle, qui lui donnait en réalité cet aspect ? Il est vrai qu'elle avait toujours trop réfléchi, qu'elle avait toujours eu une inclinaison particulière pour la mélancolie, et que le décès de son père n'avait peut-être fait que l'exposer à vif. Mais alors, faudrait-il qu'elle se sente désormais toute sa vie à part, en marge ? Devrait-elle porter ce poids ? Alain lui avait dit qu'elle avait le mal des artistes, mais qu'elle n'en serait jamais une, car elle avait déjà trop de recul esthétique, déjà l'âme critique de son père. Elle ne pourrait s'abandonner à l'art, puisqu'elle ne s'abandonnait à rien, si ce n'est à lui, parfois, et il en faisait sa plus grande fierté. Lui-même avouait avoir voulu écrire ; l'écrire, elle. Depuis un jour où ils se promenaient sur cette même plage remplie de méduses, un jour qui paraissait trop éloigné du présent pour avoir jamais existé, un jour où Julia n'avait pas encore sa fausse stupidité comme défense, son insolente carapace, un jour qu'il plaisait à Alain de raconter sans cesse et jusqu'au moindre détail, comme s'il avait s'agit d'un extrait de roman. Pour son esprit d'esthète, il s'agissait sans doute de cela, et Julia avait fini par connaître par cœur les mots qu'il posait sur ce récit.

Nous marchions sur la plage, disait-il, tu étais fâchée contre moi. Ta voix était comme le rugissement des anges fauves qui s'abattent sur le sable. Tu m'avais distancé, et tu avais gagné les sentiers au bout de la plage. Je t'avais retrouvée au loin, dans un cimetière de campagne. Tu pleurais devant la croix du soldat d'un temps que tu es trop jeune pour avoir connu, ta robe bleue flottant à l'air dans les hautes herbes séchées, comme une fleur dressée seule entre les deux mondes. Je t'ai demandé « pourquoi pleures-tu ? », et tu regardais la rare plaque funéraire, et tu disais de ton air révolté et impuissant « il était beau ! et il est mort... il était beau, tout de même, et il est mort ». Tu étais émue aux larmes par la beauté d'un homme que tu n'avais pas connu. C'était alors la sarabande en ré mineur d'Haendel qui retentissait dans ma tête, qui mimait le trajet de ton venin dans mes veines. Je ne savais pas encore pourtant. Je ne savais pas qu'en cet instant, je cesserais de t'aimer et commencerais à t'adorer. Ma douce, ma désinvolte Julia. Tu n'étais pas faite pour vivre, mais pour appartenir à un roman. Et moi qui ne suis sûrement pas fait pour écrire, j'aurais au moins la consolation d'avoir vécu un petit roman avec toi, d'avoir pu te poser le genre de questions trop abstraites que l'on ne pose pas dans le monde sans passer pour un original, d'avoir pu te poser une question comme celle-ci, dont j'étais certain que la réponse me remplirait d'émerveillement :

- Petite fleur bleue, qui t'a fait si vénéneuse ?

Comment fais-tu, comment fais-tu, dis-moi, pour trouver dans l'instant les réponses du monde invisible, ces réponses instinctives qui semblent à première vue un charabia dénué de sens, mais qui touchent à la vie, au déchirement originel, à nos deux corps debout face à cette tombe, ou allongés dans ce lit, nos deux corps que tout assemble et que tout oppose... Tu as dit « Mon père, ton père, le sien », désignant la plaque funéraire d'un signe nonchalant du menton, ajoutant de ton ingénue sagesse :

- Les fleurs bleues poussent à l'ombre des grands arbres. Le vent souffle et elles plient, tandis que l'arbre danse. Mais elles sèment et se propagent. Quand leurs racines s'étendent, quand leurs pétales tombent, la terre se gorge de venin. Un jour, les petites racines étoufferont les grandes. L'arbre mourra. Vois-tu, comme cela est simple ?

- Et alors, qui apportera l'ombre aux petites fleurs ? As-tu pensé qu'elles ont peut-être besoin d'un peu d'ombre, pour vivre ?

- Alors ce sera un combat qui s'achèvera toujours au seuil de la mort. Elles se battront, et peut-être qu'au milieu de la lutte, ils trouveront là un équilibre, une entente, un peu d'amour même, le temps de voir de nouveaux arbres flamboyer, de nouvelles fleurs gicler leurs couleurs à la face du monde. Mais la guerre, Alain, la guerre toujours. Lui, il est mort, et je peux l'aimer en paix.

Le regard à l'horizon de la mer, Julia continua de se souvenir de tous les moments qu'elle avait passé avec Alain, mais loin de s'appesantir sur les aspects de leur relation, c'était sa propre attitude qu'elle passait au crible. Cette jeune fille de quinze ans qu'elle était alors lui semblait à la fois si intime et si éloignée d'elle à présent. Elle avait conservé ce même sentiment d'être en marge, incomprise, mais les raisons en étaient totalement différentes. La jeune fille introvertie, sage et trop cultivée au goût de ses camarades de classe avait laissé place à son pendant sombre. L'introversion s'était mue en indifférence, la sagesse s'était tue au profit de l'imprudence et le savoir... Il n'y avait plus de place pour le savoir dans cette équation qui favorisait l'expérience des sens à l'usage de la raison. En cet instant, Julia en était sûre, il devait bien y avoir une variable capable de changer la nature de l'équation, et elle était bien décidée à la trouver.


***


Pour apaiser son esprit agité, Julia ne trouva d'autre solution que de se réfugier dans le travail. M. Callini, ce professeur avec qui elle avait eu tant de mal à s'entendre dès le début d'année, était devenu un précieux allié au cours des semaines. Il lui fallait certes beaucoup de concentration pour ne pas se laisser dévorer par l'inquiétude et l'énervement qui naissaient en elle chaque fois qu'elle croisait Noa au lycée ; ses weekends continuaient toujours de prendre l'allure anarchique qu'elle avait jusque-là tant chérie en compagnie de Lysandre et Jordane, mais qui ne parvenaient plus totalement à la sécuriser. L'apparition inattendue d'Alain dans sa vie avait ravivé un vieux sentiment enfoui, de dépossession de son propre corps. C'était cela, qu'il avait fini par faire en la glorifiant comme sa muse et rien de plus. C'était cela qu'elle avait réussi à fuir avec Victor et qui la submergeait de nouveau à présent. Etre transfigurée volontairement par l'art, oui, mais dépossédée, ça, jamais plus. Alors, retrouver M. Callini en semaine, préparer son avenir, le sien et celui de personne d'autre, avec l'assurance de ne pas s'égarer en chemin, tout cela parvenait à garder l'esprit de Julia occupé et, étonnamment calme. Elle ne pouvait réellement dire pourquoi, mais elle avait fini par apprécier ces rendez-vous presque quotidiens, au point de les attendre avec hâte.

M. Callini et elle avaient pris l'habitude de s'installer dans une petite salle insonorisée de travail, suite aux nombreuses réflexions qui avaient été adressées au professeur lorsqu'il tentait d'expliquer, un peu trop fort, semblait-il, un point de grammaire à Julia. Il lui préparait un programme d'exercices, qu'elle réalisait en silence tandis qu'il vaguait à ses propres occupations. Puis, il prenait un moment pour corriger ses fautes et lui faire comprendre ses erreurs. L'ambiance était toujours très cordiale. Bien que la conversation sortait de temps à autre de sa voie, M. Callini parvenait toujours à la réorienter avec professionnalisme. Combien était-il passionné ! Tant par la culture que par son métier. Julia n'en revenait pas, de voir le temps qu'il passait gratuitement à l'aider. Elle le lui avait fait plusieurs fois remarquer, mais il l'avait chaque fois interrompue d'un geste vague de la main, lui assurant qu'il avait déjà accompagné plusieurs de ses élèves de la même manière, et que cela lui prenait en réalité moins de temps qu'elle ne l'imaginait. Elle regretta d'avoir pensé un jour qu'il ne s'agissait que d'une façade qu'il affichait aux réunions parents-professeurs. M. Callini était un enseignant né, comme il en existe peu. Plein de pédagogie, jamais pédant comme Alain pouvait l'être, pas démagogue pour autant. Avec lui, elle avait l'impression d'avoir une voix, d'être entendue, et justement accompagnée, sans contre-partie. C'était une impression nouvelle, et extrêmement curieuse.

Alessandro Callini remarqua que son élève d'ordinaire si méfiante baissait sa garde de jour en jour. Rien ne le motivait plus que de voir l'obstination de la jeune fille à rattraper son retard.

Deux semaines après la rentrée et leur premier cours improvisé, Julia écoutait attentivement M. Callini lui expliquer le fonctionnement thématique de la phrase, les actants, agents et patients, le procès compris dans le prédicat. Tant de verbiage, qui ne sonnait toutefois pas si monstrueux dans la bouche de l'enseignant. Lorsqu'elle eut finalement compris, elle lui offrit spontanément un exemple, et elle regarda le visage de son professeur se déformer dans un sourire.

- Exactement, dit-il en reconnaissant l'œuvre d'où était tirée la réplique, vous avez une sacrée réserve de citations... Mais, je me le demande, y en a-t-il une moins déprimante que les autres ?

L'attitude de M. Callini s'était elle aussi visiblement détendue les jours passant, et s'il lui prenait parfois d'être celui à l'initiative de leurs discussions digressives, c'était de manière tout à fait inconsciente et disposée. Julia avait accueilli ce léger changement avec naturel, sans le questionner. C'est ce qui donnait un certain charme et un certain attrait à ces rencontres, en dehors de leur objectif affirmé, qui était bien évidemment la consolidation de sa méthode et de son écriture en vue du bac, les connaissances n'étant pas un véritable obstacle pour Julia.

- Elles n'ont rien de déprimantes, elles sont belles, répliqua-t-elle avec emphase.

- Belles et tristes, corrigea-t-il aussitôt, le regard songeur détaillant la photographie de la danse macabre peinte au XIVe siècle dans l'église de Kernascléden.

- Mais enfin, elles vous représentent, après tout, ajouta-t-il à la suite de sa pensée.

Il le regretta aussitôt qu'il réalisa l'ambiguïté de son propos.

- Enfin, je veux dire...

Il détourna brusquement le regard, plissa les yeux, et un soupir nerveux échappa à ses lèvres.

- Je ne peux pas m'empêcher de vous trouver triste, pour votre âge...

La phrase ne provoqua aucune réaction chez Julia, qui jouait pensivement avec le stylo plume qui appartenait à son père.

- Mon âge... Parfois, je me sens vieille et fatiguée.

Alessandro Callini se remit de sa brève agitation, pour observer attentivement le visage de son élève.

- Vous savez que vous ne l'êtes pas ? Vieille.

- Si la vieillesse est la dernière étape avant la mort, alors peut-être que si.

Les mots avaient sonné trop spontanés, trop vrais, pour qu'ils n'interpellent pas Alessandro.

- Mademoiselle. Je ne peux pas vous écouter dire ce genre de choses sans réagir. Vous pensez souvent à la mort ?

- Je ne compte pas m'ôter la vie, si c'est ce que vous voulez savoir. Je n'arrive juste pas à me défaire de l'impression qu'elle plane constamment au dessus de moi... de nous tous. Là, je vous parle, et ce soir vous serez peut-être celui à avoir une attaque en baisant votre femme.

Un soupir sarcastique échappa à Julia, puis elle acquiesça sans consulter une fois le visage de Callini.

- Pardon, vous lui faites sûrement l'amour, comme tout homme qui se respecte, corrigea-t-elle, on remarquera que la structure thématique de la phrase demeure inchangée, l'homme est agent du procès, et la femme le subit.

Ce n'est qu'à cette conclusion qu'elle affronta le regard fixe de son enseignant.

Peu importe le nombre de fois où elle avait laissé échapper une remarque grivoise et déplacée - il ne prenait plus la peine de les souligner et tâchait de ne plus s'en offusquer - , aucune n'avait été si crue que celle-ci, si directement adressée à lui. Et son utilisation du cours pour alléger le tout dans une boutade ? Il aurait presque pu en rire, si son professionnalisme ne l'avait pas retenu. Une chose est sûre, elle avait assimilé ce qu'il lui avait expliqué. La réflexion avait été loin d'afficher une séduction affirmée, ce n'était d'ailleurs jamais le cas. Ses remarques salaces survenaient toujours, ni plus ni moins, comme une défense, un réflexe qu'elle avait attrapé on ne sait où, si bien que Callini avait presque fini par les juger moins déplacées que certaines questions d'élèves, qui tentaient de faire traîner une discussion en fin de cours, pour en savoir plus sur son âge, l'origine de son accent... Une curiosité malsaine qui n'avait jamais été celle de Julia Delaunay. Il se surprenait toutefois à avoir visiblement plus de pudeur qu'elle, quand bien même il savait son expérience bien supérieure à celle de la jeune fille. Il se demanda un instant combien d'hommes elle avait dû connaître pour en arriver là, quels ébats elle avait connus, quelles désillusions, aussi. Combien d'expériences lui avait-il lui même fallu pour ressentir et revendiquer sans honte cette liberté du corps qui avait rythmé vingt années de sa vie de célibataire exigeant ? Cette réalité semblait à présent faire partie d'un autre temps, et le professeur s'interdit de développer sa pensée en présence de son élève. Son regard glissa vers la danse macabre et les inscriptions qui l'accompagnaient. Il s'éclaircit la gorge à l'attention de la jeune fille.

- Je ne mourrai pas avant d'avoir mis un point final à ma thèse, et accessoirement, avant de vous avoir vu obtenir votre bac de français. Alors remettez-vous au travail.

Julia s'était demandée comment il se tirerait de cette situation, s'il ferait recourt à son autorité, à son statut d'enseignant qui lui conférait une supériorité naturelle ; si elle avait passé une limite - elle savait qu'elle en avait passé une nouvelle - mais une limite qui le forcerait à anéantir brusquement la complicité qu'ils avaient développée malgré eux, au cours de ces brèves digressions. Et non, il s'en tirait encore avec une pirouette rhétorique, qui n'effaçait rien de ce qui avait été dit, mais qui réfutait toute ambiguïté. C'est ce qu'elle aimait à présent chez lui. L'intelligence subtile de son répondant, qui lui laissait toujours la frustration d'une conversation inachevée, au seuil de ce qu'elle avait de plus intéressant à offrir.


***


Seulement, il advint un jour où Alessandro Callini crut bien perdre tout le progrès qu'ils avaient accomplis les derniers temps.

La jeune Julia Delaunay, qui consultait anormalement peu son téléphone portable pour une jeune fille de son âge, avait reçu un appel important alors qu'elle lui faisait part d'un problème de grammaire qu'elle avait déjà rencontré dans sa précédente copie. Elle s'était levée pour quitter la salle et répondre, mais avant qu'elle n'ait pu partir, Alessandro lui avait demandé si elle avait la copie qu'elle avait mentionnée avec elle, et la jeune fille lui avait indiqué sa pochette cartonnée, refermant la porte de la petite salle derrière elle. Il avait ouvert la pochette, avait trouvé la copie, l'avait prise, et il était resté captivé par la feuille arrachée d'un carnet qu'elle recouvrait.

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Course (à lire le plus rapidement possible)

Esther sous les fumées 

cold and distant

de lourdes fumées sous le ciel

bleu nuit toujours bleu

running away 

Esther sous les bastions lunaires alanguis par les âges

bleu poison mélancolie


et le voilà après toi qui court qui court

qui veut sentir Esther

le baiser qui brutalement éclot

et comme ces junkies d'abeilles

goûter aux fruits de miel

en redemander dix vingt ans

Esther dans le métro filant

running away running away


et le voilà après toi qui court qui court

qui veut savoir Esther ecsta

qui de l'ange ou du démon

tambourine derrière toi

il visiterait l'enfer et les paradis verts

pour te trouver

running away running away

Esther dans l'envol des choucas


hier encore

Esther sous les stroboscopes blancs

les lèvres glacées mauves slow purple pink buds

convulsées comme dansent 

en kicks artificiels

les flocons de l'ennui

drifting away drifting away


et ses paupières 

sur toi fendues comme deux meurtrières 

ont-elles gagné( gagnent toujours ) – gagné les rives de Léthé aussi

ou se sont-elles enfuies 

 s'enfuient encore

running away running away

Esther au cadran des nuées


et le voilà après toi qui court qui court

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Alors, Julia reparut dans la salle, et en furie, elle lui arracha la feuille des mains.

- Qu'est-ce que vous faites, putain ?!

- Pardon, s'excusa-t-il d'un geste confus de la main, je suis désolé. Je l'ai trouvé sous la copie...

Déboussolée, Julia agita la tête en rangeant le poème dans son sac. Après un instant de silence pendant lequel le professeur ne cessa pas de la dévisager, il ne put s'empêcher de demander :

- Il est de vous ?

Lorsqu'elle distingua la pointe de curiosité, et peut-être d'admiration dans la voix de Callini, Julia redirigea un instant son visage placide dans sa direction. Elle retourna très vite son attention aux feuilles éparpillées sur la table, acquiesça brièvement, et se mit à tout ranger dans sa pochette. Lorsqu'elle prit la copie que M. Callini avait sortie quelques minutes plus tôt, ce dernier lui saisit le poignet dans un geste expressif et non calculé.

- Ne partez pas, demanda-t-il tout bas, s'il vous plaît. Je suis confus, je n'aurais pas dû... Ça ne me regarde pas... Asseyez-vous, on va reprendre la copie et -

Il n'acheva pas sa phrase lorsqu'il sentit la jeune fille écarter sa main de la sienne. Julia continua de ranger ses feuilles dans sa pochette.

- Je dois y aller... le travail, murmura-t-elle d'un air absent.

Il ne chercha pas à la retenir davantage, et tandis que la jeune Delaunay sortait de la bibliothèque universitaire, Alessandro songea bien qu'il avait commis une maladresse de trop. Pourtant, c'était là une maladresse qu'il ne pouvait décidément se résoudre à regretter.


***


Le lundi suivant, à la pause du matin, Alessandro Callini entra dans la salle des professeurs où une scène était en train d'avoir lieu. Une collègue d'espagnol, Anne-Sophie Brunier, s'époumonait dans la salle et entraînait un torrent de révolte derrière elle. Il s'approcha de Michel Le Fevbre, professeur d'Histoire-Géographie qui, les bras croisés, était témoin silencieux de l'agitation.

- Bonjour Michel, que se passe-t-il ?

- Ah, Alessandro. R'garde donc. C'est encore la p'tite Julia des Première ES1, elle a dû dire quelque chose à Anne-Sophie qui ne lui a pas plu, mais, ma foi, j'en sais pas davantage.

- Non mais vous vous rendez compte ? s'indignait la collègue à quelques mètres d'eux, moi ça suffit, je n'en peux plus ! Des gamines désobligeantes comme ça, je n'en peux plus, j'en ai jusque-là !

- J'l'aime bien, moi, cette petite, commenta discrètement Michel, placé de trois-quart devant Alessandro. Elle est épatante. C'est vrai ! Bon, il faut savoir la prendre, au début... Mais, r'garde. L'aut' jour après la classe elle m'a embarqué dans un débat sur l'Algérie et le devoir de mémoire. J'crois bien qu'en trente ans, note-ça, j'ai jamais eu une conversation pareille avec une élève, jamais une conversation aussi intéressante avec une gamine comme ça. J'te le dis, elle a quelque chose, cette fille, elle a quelque chose...

- Oui, rétorqua pensivement Alessandro, le regard absorbé par les grands gestes indignés de sa collègue, je l'ai remarqué aussi.

Au même moment, Alessandro rencontra le regard fiévreux de la petit dame, qui avança à grandes enjambées dans sa direction, suivie de deux autres collègues.

- Alex ! Alex, tu es là.

- Oui, dis-moi, répondit Alessandro avant de s'éclaircir la gorge.

Le doyen Michel avait baissé la tête et lançait désormais des œillades curieuses à l'altercation, les bras toujours fermement croisés.

- Je viens d'avoir un cours avec les première ES1, qui s'est très mal terminé. Mademoiselle Julia Delaunay a cru qu'elle pouvait sortir de classe à son bon vouloir, sans que je lui en donne la permission, alors que la sonnerie n'avait pas encore retenti. Elle a été complètement insolente, irrespectueuse, injurieuse même ! C'est simple, je demande des sanctions. J'ai été d'accord pour te suivre au conseil de classe, mais là, non, c'est fini. Elle a été trop loin -

- J'entends bien, interrompit doucement Alessandro, une moue agitant ses lèvres, elle n'avait pas à faire ça. Quand tu dis qu'elle a été injurieuse... 

- Honnêtement, je ne veux même pas te répéter ce qu'elle m'a dit, il ne vaut mieux pas...Mais c'était très violent. C'était très violent.

Tandis qu'elle répondait à la question, Thomas Duval entrait dans la pièce et s'informait sur le regroupement. Alessandro le remarqua du coin de l'œil et serra les dents en acquiesçant.

- Tu l'as collée ? demanda-t-il.

- Non, mais crois bien que je vais aller de ce pas faire mon rapport d'incident !

- Mais ce n'est pas une colle qu'il lui faut à cette gamine, intervint une seconde collègue d'espagnol, tout de même, c'est une honte ! Sous prétexte qu'on est en REP, on leur passe tout à ces gosses.

- Ça, c'est bien vrai, commenta Thomas en s'insinuant dans le groupe d'enseignant, au coude à coude avec Alessandro. Ce dernier ne put s'empêcher de lui adresser un regard torve.

- Quoi ? J'ai toujours dit qu'il fallait envoyer cette élève en CD¹, et tu t'es obstiné à dire que son comportement allait changer. Excuse-moi, mais je ne vois aucun changement, Arnaud non plus, et je pense que les collègues ici présents iront tous dans ce sens. 

- C'est Arnaud, son CPE ? demanda la collègue.

- Oui, confirma Thomas, et je peux te dire qu'il l'a déjà reçue un nombre incalculable de fois dans son bureau, il n'en peut plus... 

Alessandro adressa un regard circulaire à ses collègues qui hochaient silencieusement de la tête, et à Michel qui gardait la sienne baissée. Il soupira et passa une main sur son visage.

- Qu'est-ce que vous suggérez ?

- Un CD, et un renvoi temporaire, c'est simple, c'est ce que je demande, s'empressa de répondre Anne-Sophie.

- Mais oui, c'est ça ! s'emporta soudainement Michel, foutez-lui la paix à cette gamine ! C'est tout c'qu'elle demande. Elle s'en sortira bien mieux sans nous, d'toute façon.

- Michel, excuse-moi, mais si tu as quelque chose à dire, on te saura gré de ne pas prendre un ton aussi bourru, répliqua Anne-Sophie de sa voix sévère et distinguée.

- Et surtout d'avoir de vrais arguments, ajouta sa collègue, parce que sans un bac, on sait bien ce que ça donne aujourd'hui...

- Et qu'est-ce que ça donne, ma bonne dame ?

- Mais attendez, je ne vous permets pas, vous !

- On nous les brise avec le bac ! grogna-t-il de sa voix rocailleuse. Allez donc parler à certains boulangers, certains artisans, certains agriculteurs et j'en passe, des gens qui n'ont p't'être pas nécessairement leur BAC, comme vous dites, mais qui savent encore se servir de leurs mains, eux, et qui sont bien loin d'être idiots, peut-être même moins idiots que nous !

- Oh !

- Michel, tenta de tempérer Alessandro, qui dut laisser de côté son amusement pour se préoccuper de la tournure de la situation.

- Tu vois, Michel, tu perds toute crédibilité avec tes insultes, fulmina la petite femme, de toute façon, tout le monde sait ici que tu es complètement laxiste et inefficace !

- Oui, c'est ça, et on parlait d'avoir de vrais arguments ?... vieille truie, marmonna farouchement le vieil homme, délassant ses bras croisés pour remonter son pantalon face à la collègue dont la mâchoire était restée ballante.

- Pardon ? Pardon ?!

- Allez, Alessandro, bon courage ! Mesdames, révéra-t-il avant de prendre la direction de la sortie, laissant l'italien au centre d'une incroyable tension et des multiples répliques qui fusaient de toute part.

- Il m'a traitée de truie, ou je rêve ? Non mais ça devient n'importe quoi ici... J'hallucine. 

- Bon, bon, tâcha de composer Alessandro, écoutez... Revenons à Julia Delaunay, s'il vous plaît ? Je vais aller lui parler, je vais aussi prendre rendez-vous avec Monsieur Lartigue, lui suggérer un CD...

Les collègues se calmèrent peu à peu pour écouter Alessandro. Bientôt, ils acquiescèrent tous fermement.

- Mais, Anne-Sophie, je t'en prie, reprit-il de son meilleur ton de diplomate, une fois qu'elle se sera excusée, bien sûr... déclare l'incident clos.

- Et tu crois vraiment qu'elle va venir s'excuser ? répliqua la cinquantenaire d'un air pincé.

- Oui, elle le fera, assura Alessandro. Je suis en train de travailler avec elle à la bibliothèque, j'ai déjà constaté beaucoup de changements dans son comportement et dans ses résultats en Français (il adressa un regard appuyé à son collègue de Mathématiques à ces mots). C'est simple, elle est métamorphosée en dehors de la classe.

- Quoi ? Tu as remis ça ? questionna Anne-Sophie avec incrédulité. Mais Alessandro, ils auront ta peau, ces élèves ! Tu te rends compte du boulot que tu fais déjà pour eux, depuis toutes ces années ? Et ta thèse ? Ta femme, dans tout ça ?

- Ne t'en fais pas pour moi, abrégea-t-il dans un sourire sur lequel la détermination prit bientôt le pas. Mais dites-moi que je ne suis pas fou, tout de même, je ne suis pas le seul à remarquer qu'elle a un potentiel dingue, cette fille ? Rassurez-moi. Elle est brillante, non ?

Seuls quelques collègues acquiescèrent timidement dans le lot. 

- Si, si, bien sûr... Mais qu'est-ce qu'elle peut être insupportable ! On a toute une classe à gérer, qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? Le jour où on en aura moins que trente, je veux bien, mais quoi ? Il faut qu'on s'adapte à tous les profils de nos élèves ? C'est peut-être possible pour toi, mais pas pour le commun des mortels, Alessandro, excuse-moi. 

- Ce n'est pas ce que je dis... Je dis simplement que, compte tenu de son dossier, on doit être en mesure de faire quelque chose pour l'aider. Je suis persuadé que c'est dans nos cordes. Elle a besoin d'aide, d'un cadre qui ne la brime pas outre mesure, et voilà... C'est ce que j'essaye de lui apporter...

- Oui, eh bien, fais attention tout de même, mesura Anne-Sophie. Je la trouve complètement imprévisible, cette gamine, fais attention à ce qu'elle n'ait pas d'autres idées derrière la tête. Rien que ses tenues, je les trouve provocatrices, et d'ailleurs, ça ne m'étonnerait pas qu'elle ait fait de l'œil à l'autre vieux con...

Le visage d'Alessandro se crispa face au sous-entendu, et il laissa échapper un souffle abasourdi.

- Je ne pense vraiment pas que...

- Elle n'a pas tort, l'interrompit Thomas. Une chose est sûre, ce n'est pas à moi qu'elle ferait de l'œil, cette branleuse. Personnellement, elle me donne de l'urticaire.

L'air badin du trentenaire déclencha le sourire des collègues présentes.

- Bon, Alex, trancha Anne-Sophie, tiens-nous au courant de l'avancement de vos cours à la bibliothèque, et du rendez-vous avec M. Lartigue.

- Bien sûr, acquiesça brièvement l'italien tandis que le groupe commençait à se disperser à quelques minutes de la sonnerie.

Il parvenait à peine à détendre son esprit qu'une main sur son épaule le tira de ses pensées :

- Eh Mère Teresa, intervint Thomas, on pourrait se voir pour faire un point avant le prochain conseil péda' ?

Très vite, le professeur de français quitta le fil de ses pensées et répondit à son collègue par un acquiescement. En l'espace de quelques minutes, Alessandro venait d'ajouter trois éléments à la liste mentale déjà bien fournie des choses qui lui restaient à faire les semaines à venir. Quatre, en réalité, car il lui fallait encore convaincre la jeune Delaunay de continuer à le voir à la bibliothèque. Dans l'escalier qui le conduisait à sa salle de cours, Alessandro se pinça l'arête du nez. Anne-Sophie avait sans doute raison, l'un de ses élèves finirait par avoir sa peau.


***


Plus tard dans l'après-midi, alors qu'Alessandro partageait un café bien mérité avec des collègues et le personnel d'entretien sur le parvis du lycée, il aperçut la figure de la jeune Delaunay et son air toujours absorbé, assise sur le dossier d'un banc, au milieu des élèves de Terminale avec lesquels elle partageait ses cours d'Italien. Cette fois, il n'hésita pas à quitter son cercle pour gagner le groupe agité.

- Bonjour m'sieur Callini ! répliquèrent un à un les élèves qui remarquaient sa présence près du banc.

Il leur adressa à tous un sourire bienveillant, avant de rediriger son regard vers Julia. La jeune fille le fixait avec les yeux de l'enfant à qui l'on n'a pas appris que dévisager était impoli.

- Je peux vous voir, une minute ? demanda-t-il.

Sans un mot, Julia se leva de sa place et accompagna le professeur dans l'enceinte de l'établissement. Ils marchèrent un temps côte à côte, silencieux dans la cohue générale. Alessandro cherchait à formuler judicieusement sa phrase, et il fut pris au dépourvu par l'intervention de Julia.

- Je voulais vous parler, moi aussi, déclara-t-elle en lui adressant une œillade détendue.

Alessandro plissa les yeux d'incompréhension, et il lui adressa un regard inquisiteur et accueillant.

- Vous serez à la bibliothèque, ce soir ?

La question retira un poids au professeur. Il n'aurait donc pas à la convaincre. Les yeux de Julia le questionnaient sans honte et semblaient à l'affût de la moindre de ses expressions, si bien qu'Alessandro ne ressentit aucune pudeur à l'imiter et, — même après avoir acquiescé à la réponse — conserver longuement le contact de ces yeux qui avaient si longtemps été en guerre avec lui, et qui semblaient désormais presque inoffensifs. Presque, car lorsqu'il retint la porte du bâtiment vers lequel ils s'étaient machinalement dirigés, invitant courtoisement Julia à le précéder, et que ces yeux se mirent à s'accompagner d'un charmant sourire, le professeur se résolut finalement à se détacher d'eux.

- Je suis ravi que vous me posiez la question, dit-il en la suivant dans les marches. J'ai réservé la salle de travail n°1 pour dix-sept heures, vous pourrez m'y retrouver, si vous le souhaitez.

Julia acquiesça en continuant de lancer des regards à son enseignant.

- Pourquoi est-ce que vous avez demandé à me voir ? Alors que vous avez cours avec moi dans moins de cinq minutes, dans la salle vers laquelle nous nous dirigeons manifestement... J'imagine que ce n'est pas pour cette histoire de bibliothèque.

Interpellé, Callini eut le réflexe de s'éclaircir la gorge avant d'aviser sa réponse.

- Vous le savez déjà, n'est-ce pas ? demanda-t-il prudemment.

- J'ai quelques idées, riposta aussitôt Julia, que je préfère garder pour moi.

Un soupir amusé échappa à Callini.

- Vous êtes toujours sur la défensive ? 

- Je ne fais pas confiance aux gens comme vous. 

- Les professeurs ? 

- Entre autres... 

À ces mots, Alessandro esquissa un sourire diverti et pensif avant d'adopter la voix sérieuse de circonstance.

- Je ne vais pas faire traîner le suspense plus longtemps. Votre écart en cours d'espagnol était l'incident de trop. Vous savez que lorsque ce genre de choses remontent tout en haut de l'administration, ce n'est jamais bon signe. Il y aura des sanctions.

- Vous voyez, il y a de quoi être méfiant, déclara la jeune fille d'un air dérisoire.

- Il est vrai que nous sommes les méchants de l'histoire... 

Arrivés à l'étage de littérature et de philosophie, Julia s'arrêta pour observer l'expression à demi amusée du professeur. Ils échangèrent un regard silencieux, qui rappela à Julia l'ombre de complicité qu'ils avaient développé les dernières semaines, et qui avait pris fin le vendredi précédent, lorsqu'elle l'avait surpris à lire ses poèmes, ce morceau d'elle si intime, si faible, si différent en somme de l'image qu'elle s'était construite au lycée...

C'était une chance qu'Orlando l'ait appelée pour qu'elle le rejoigne au plus tôt à la pizzeria, car elle n'aurait pu supporter le changement si soudain de son enseignant, cette main encerclant doucement et volontairement son poignet, c'était une attitude qu'elle ne lui connaissait pas, et Dieu sait que tout ce qu'elle ne pouvait anticiper était la plus grande angoisse de Julia. Pourtant, il n'avait jamais été question de tirer un trait sur ces rencontres. Pas quand il s'agissait de la seule activité qu'elle semblait apprécier en ce moment. Pas quand à tout moment elle menaçait de se laisser dévorer par le rejet de Noa et l'appel rassurant mais néfaste de Victor. Alors, elle fut rassurée de le voir faire le premier pas, et de constater qu'il n'était pas disposé à faire référence aux poèmes qu'il avait lus.

Leur échange muet de regards dura quelques temps encore avant que Callini ne retourne fixer un point au sol.

- Mademoiselle, reprit-il de sa voix grave, vous allez passer en conseil de discipline, vous serez probablement renvoyée quelques jours de l'établissement. Il faut que vous compreniez que votre attitude nuit considérablement à votre réussite.

- Je le sais.

La sincérité avec laquelle Julia avait prononcé cette phrase invita l'enseignant à retrouver aussitôt son regard, pour le questionner à son tour.

- Ne croyez pas que je vous raconte ça parce que je vous fais confiance, commença-t-elle avec une pointe d'ironie, mais j'ai reçu un sms de Raphaël juste avant la sonnerie du fameux cours d'espagnol, il me disait que Noa était dans le lycée —

- Monsieur Jourdain risque le renvoi, lui aussi. Il ne s'est pas présenté à mes cours depuis votre altercation de la rentrée, commenta Callini.

- Oui, et il était dans la cour, complètement défoncé. Je n'ai pas réfléchi, je voulais me dépêcher de le rejoindre avant qu'un pion ou qu'un prof ne lui tombe dessus, et oui, je sais que j'aurais dû attendre la sonnerie, mais je n'avais pas encore passé le pas de la porte qu'elle avait retenti dans les couloirs. Bien sûr, c'est le moment que cette chère Mme Brunier a choisi pour tester son autorité. C'est à ce moment-là qu'elle s'est acharnée à vouloir me faire sortir en dernière de classe. Ecoutez, j'ai mes torts, mais... tout ce à quoi je pensais, sur le moment, c'était de venir en aide à Noa... Et cette peau de vache... 

- Comment va-t-il ?

La question apparut incroyablement incongrue à Julia, qui resta un instant observer les traits sérieux de Callini. Se souciait-il donc vraiment de Noa ?

- Je ne sais pas, répondit-elle d'un air pensif et égaré. Il a refusé que je l'approche...

Callini acquiesça, tandis que Julia demeurait songeuse.

- Qu'avez-vous dit pour que ma collègue se sente à ce point insultée ?

Un rire amusé échappa à la jeune fille.

- Qu'elle était mal baisée. Je ne devais pas être très loin de la réalité, si elle s'est sentie « à ce point insultée »... laissez-moi deviner, par une « gamine », ou une « garce », oui, c'est comme ça qu'elle doit m'appeler face à vous autres.

Callini manifesta sa surprise dans un souffle.

- Un conseil... de simple survie... Retenez-vous d'insulter vos enseignants, que ce soit face à eux, ou un autre de leurs collègues...

- Merci, je tâcherai de m'en souvenir, répliqua-t-elle d'un air amusé. 

Alessandro dut retenir le sourire qui menaçait d'égayer son visage.

- Rappelez-vous également que vous devez respecter les choix de vos professeurs. Et je sais —, l'interrompit-il alors qu'elle s'apprêtait à répliquer, je sais que vous ne concevez pas ce fonctionnement, je le sais. Mais je sais aussi que si vous mettiez ces convictions de côté au lycée, vous n'auriez aucun mal à exceller dans vos études.

- Je ne cherche pas à exceller, maugréa Julia.

- Essayez au moins de ne pas vous faire renvoyer définitivement...

- J'y songerais, répliqua la jeune fille après un court silence.

Et Alessandro, qui avait appris à décrypter les nuances d'ironies récurrentes dans l'attitude de son élève, esquissa un sourire satisfait tandis que la sonnerie stridente retentissait dans les couloirs. Elle ferait des efforts.


¹ CD : Conseil de discipline.

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