Parle-moi du bonheur (profess...

By DyanaLock

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La vie est un puzzle complexe. Pièce par pièce, la pétillante et déterminée Julia, du haut de ses quinze ans... More

Avis au lecteur
Chapitre 1 : Retour en enfer
Chapitre 2 : Un fantôme de chair
Chapitre 3 : My least favorite life
Chapitre 4 : Cheers Darlin'
Chapitre 5 : Le début des ennuis
Chapitre 6 : Le dernier mot
Chapitre 7 : Le pouvoir des choses
Chapitre 8 : Amitiés
Chapitre 9 : Birds through the night
Chapitre 11 : Voyage au bout de la nuit - Deuxième partie
Chapitre 12 : Vivere e sorridere
Chapitre 13 : Rendez-vous manqués
Chapitre 14 : Des fleurs bleues et des sorcières
Chapitre 15 : Deux oiseaux noirs au bord du nid - Première partie
Chapitre 16 : Deux oiseaux noirs au bord du nid - Deuxième partie
Chapitre 17 : Acta est fabula
Chapitre 18 : Promis
Chapitre 19 : Des taz et de l'art
Chapitre 20 : Le Roman de Silence
Chapitre 21 : Là où brillent les étoiles
Chapitre 22 : Vers la folie et ses soleils
Chapitre 23 : Dormez heureux
Chapitre 24 : Musicienne du silence
Chapitre 25 : Les planètes continuent de tourner

Chapitre 10 : Voyage au bout de la nuit - Première partie

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By DyanaLock

PARTIE 1


L'alcool a été fait pour supporter le vide de l'univers, le balancement des planètes, leur rotation imperturbable dans l'espace, leur silencieuse indifférence à l'endroit de votre douleur.

- La vie matérielle, Marguerite Duras.


Le lundi de la rentrée, Julia se réveilla avec une gueule de bois monumentale. Le poids de la honte écrasait son estomac comme un pilon broie les herbes d'un mortier. Cette honte, incurable, irrépressible, elle abhorrait la voir rejaillir en elle après tant d'absence. Pourquoi ce sentiment lui était-il soudain réapparu ? Elle pensait ne plus jamais avoir à en distinguer les nuances, mais elle se trompait. Dans ses correspondance avec sa sœur Pauline, Stendhal disait : comme homme, j'ai la ressource d'avoir des maîtresses. Plus j'en ai et plus le scandale est grand, plus j'acquiers de réputation et de brillant dans le monde. Pourquoi n'en était-il pas de même pour elle ? Pourquoi, même au XXIème siècle, siècle de la femme, la seule réputation qu'elle semblait s'être attirée vendredi était celle de traînée ? Elle avait certes volé cet homme ; cet acte, quand bien même exécuté sous pression, n'était pas pardonnable, et elle comptait bien payer sa dette auprès de son professeur, mais ce qu'elle avait fait avec ce même inconnu après, cela la concernait seule - c'était un choix de femme, bon comme mauvais - et elle en était convaincue, personne n'était en droit de la juger sur ce simple fait. Cette pensée, bien que cohérente et mûrement réfléchie, ne repoussa qu'un court instant la honte qui gagnait du chemin et qui irradiait son abdomen. Dans ces circonstances, le dimanche soir, seule à ressasser dans son lit, la liqueur de sa fiole apparut à Julia aussi sublimée qu'elle l'était à Marguerite Duras. Elle s'endormit près de son manuel d'Histoire, l'esprit brumeux et incohérent, alors qu'elle s'était soudainement mis en tête de retenir quelques notions pour le devoir du lendemain.

À quelques mètres du lycée, elle s'arrêta sur le trottoir. La chaîne de son vélo faisait encore des siennes. Julia maugréait seule, se penchant pour la remettre en place, quand une voix familière l'interpella :

- Hey, Delaunay !

Noa arrivait dans sa direction, la démarche désinvolte, sa veste en jeans fétiche sur les épaules, son casque de moto dans la main et d'inhabituelles lunettes de soleil sur les yeux. Julia lui adressa un demi-sourire puis elle continua de s'affairer autour du vélo. Arrivé à sa hauteur, Noa posa une main affectueuse sur son épaule.

- Laisse-moi faire, tu vas te salir.

Les doigts déjà recouverts de suie, Julia se redressa.

- C'est déjà fait, soupira-t-elle.

Le jeune homme sourit avec bonhomie et ne tarda pas à remettre la chaîne du vélo en place. Il s'essuya les mains l'une contre l'autre avant de se relever. Julia avait gardé la tête baissée sous la fine capuche de son sweat, le regard enfoui dans le sol. Ses cheveux bruns encadraient son visage pâle.

- Regarde-moi.

Les yeux fatigués de la jeune fille remontèrent vers Noa.

- Allez, Delaunay, relève la tête, insista-t-il, l'air suspicieux.

Julia s'exécuta après une seconde d'hésitation, la mine renfrognée. Noa s'approcha un peu plus d'elle. Il se permit de dégager ses cheveux de l'une de ses joues, laissant à sa vue la pommette violacée de la jeune fille.

- Woah, souffla-t-il en jetant un œil aux nombreuses éraflures de la joue qui avait percuté le sol.

- Comment t'as fait ça ?

- Une chute de vélo.

Noa considéra Julia un instant, puis ses lèvres s'étirèrent au coin de sa bouche. Un petit rire lui échappa.

- Ouais... C'est marrant, moi aussi.

Il sonda attentivement les alentours et finit par porter la main à son visage pour soulever ses lunettes teintées. 

- Une chute de vélo. 

La surprise figea le visage de Julia. L'œil droit de Noa était affreusement meurtri, cerné de violet et de jaune. Ses propres égratignures lui parurent tout d'un coup superficielles.

- Toi aussi t'as reçu la colle de Callini ? demanda-t-elle avec entendement.

- Oui, et plutôt deux fois qu'une ! Demain, dix-sept heures en salle de permanence. Et toi ?

- Jeudi, quinze heures quarante-cinq.

Les deux adolescents échangèrent un regard affligé et, côte à côte, ils avancèrent vers le lycée pour ne pas risquer d'être en retard au cours de Français. Julia attacha son vélo à l'endroit prévu à cet effet sur le parvis puis ils continuèrent leur route ensemble vers les grilles de l'établissement. Sur le chemin, ils furent interpellés par la voix fluette de Safia. Élise, Raphaël, Tarik et elle étaient installés sur un banc à l'entrée du lycée. Ils fumaient leur cigarette matinale dans la bonne humeur habituelle de leur groupe, autour d'un peu de musique. Julia les salua tous d'un geste chaleureux de la main et répondit par la positive à l'invitation de Safia à manger avec eux le midi même. Les voir tous souriants souleva son cœur de joie. Elle croisa le regard radieux de Raphaël et lui rendit gentiment son sourire avant de reprendre sa marche aux côtés de Noa.

- Il est vraiment à fond sur toi, ce type.

Julia ne répondit rien à cela. Elle était consciente que Raphaël en pinçait un peu pour elle. Élise et Safia n'avait pas manqué d'y faire allusion. Du reste, son langage corporel était suffisamment expressif pour le deviner. Cette idée la flattait beaucoup, mais se lancer dans une relation avec lui n'était pas pensable, la dernière en date ayant été une véritable catastrophe. Sans parler du fait qu'elle se sentait émotionnellement incapable de retomber amoureuse, elle ne voulait pas prendre le risque de perdre une belle amitié quand tout ce qu'elle ressentait pour le moment à l'égard de Raphaël n'était que sympathie.

Elle s'étonna lorsqu'elle sentit une main passer par dessus son épaule. Elle adressa aussitôt un regard curieux à Noa.

- Je peux savoir ce que tu fais ?

- Je le rends jaloux, proclama-t-il avec satisfaction.

Julia, confuse, se laissa faire. Très vite, le caractère boute-en-train de Noa et son allure nonchalante en toute circonstance l'amenèrent à sourire, mais alors qu'ils approchaient du bâtiment B, une décharge de honte, pareille à une piqûre de rappel, la poussa à se détacher de lui.

M. Duval et M. Callini discutaient non loin des portes d'entrée. Bienheureusement, Callini leur tournait le dos et ne les avait pas vu. À cette pensée, Julia se sentit tout d'un coup stupide de s'être détachée aussi brusquement de Noa, sur la simple hypothèse que Callini aurait pu la voir à son bras. Elle se fichait bien de ce qu'il pouvait penser d'elle, cependant, elle se surprenait désormais à avoir quelques scrupules en sa présence. C'est bien connu, l'innocence a souvent l'aspect du crime et pour une fois, elle ne se sentait pas l'âme d'être stigmatisée. Seulement, il n'était question ici que d'une accolade entre amis. Ce que les autres pouvaient imaginer à partir de ça ne devait pas commencer à l'influencer. Forte de cette certitude, elle tenta d'adresser un sourire à Noa, mais elle lut la confusion dans son regard, et c'est dans un silence gêné que les deux adolescents s'engouffrèrent dans le bâtiment.



***



Julia se rendit à sa colle le jeudi en fin d'après-midi, dans une salle de permanence du lycée. Une dizaine d'élèves étaient présents et une jeune surveillante était assise au bureau. Au début de l'heure, elle leur avait chacun distribué l'exercice que leurs professeurs respectifs avaient choisis pour eux. Sans grande surprise, Julia était tombée sur un mini-commentaire composé d'un passage de la pièce de Beaumarchais ; celui que Noa et elle avaient sûrement manqué, puisque ce dernier avait également eu à le rédiger lors de sa propre colle. Elle s'y attela sans grand entrain mais également sans hésitation. Elle espérait ainsi sortir plus tôt pour pouvoir aller surfer, dès qu'elle aurait fini sa rédaction.

Elle arrivait à la conclusion au bout d'une heure et quart quand la porte s'ouvrit sur nul autre que M. Callini. Ce dernier entra discrètement dans la pièce, sa sacoche en main, et il salua d'une bise chaleureuse la surveillante. Il lui adressa quelques mots et son regard se mit à vagabonder hasardeusement dans la salle. Lorsque ses yeux clairs se posèrent sur Julia, cette dernière retourna à sa rédaction.

Depuis lundi, le professeur et l'élève s'étaient mutuellement ignorés. Noa et Julia ne s'étaient pas risqués à dessiner ou à discuter en classe. Ils s'étaient contentés de simples échanges de sourires et de regards silencieux, entre deux phrases dictées, au milieu de leurs rêveries respectives, si bien que Callini n'eut pas à les rappeler à l'ordre pour trouble.

Quelques minutes après l'arrivée du professeur, Julia mit un point final à son commentaire.

Discrètement, elle sortit de sa trousse deux billets de vingt euros froissés et elle les inséra à plat dans la copie. Elle ramassa ses affaires et se dirigea vers le bureau où la surveillante et Callini discutaient toujours gaiement. Quand elle approcha, ils se turent et retournèrent leur attention vers elle. Julia surprit leurs deux regards à détailler son visage amoché. Elle ne s'en formalisait plus, ces mêmes regards avaient rythmé sa semaine, tout comme les remarques de ses camarades de classe. Elle tendit sa copie au professeur, le visage fermé.

- J'ai terminé.

Callini s'avança pour la lui saisir. La jeune et jolie surveillante retourna à son bureau pour s'intéresser à la paperasse qu'elle avait laissée derrière elle.

- Vous avez pris le temps de vous relire ? Il est encore tôt et vous serez notée pour cet exercice.

Comme Julia baissait les yeux au même moment, décidée à répondre à sa question, quelle qu'elle soit, par un silence, elle crut avoir une hallucination quand elle aperçut une marque noire sur l'avant-bras de l'homme, juste en dessous de sa manche de chemise, remontée légèrement plus haut qu'à l'habitude. Elle plissa les yeux dans un mélange d'intérêt et d'incrédulité. Callini, tatoué ? C'était impensable.

Alessandro n'avait pas fait attention au regard inquisiteur de son élève, trop occupé à survoler sa copie. Aussitôt l'avait-il d'ailleurs entre-ouverte qu'il la referma, constatant avec surprise les deux billets qui y étaient dissimulés. Il releva son regard anxieux vers son élève, seulement pour constater qu'elle fixait son torse, ou plutôt son bras, d'un drôle d'air.

Il suivit son regard avec incompréhension et ce n'est que lorsqu'il vit ce qui dépassait de sa chemise qu'il rabaissa lentement sa manche. Il s'éclaircit la gorge et regroupa ses esprits devant le regard scrutateur de la jeune fille.

- Vous pouvez y aller, affirma-t-il brièvement.

Julia examina un dernier instant l'air contrit de son professeur, interpellée par sa découverte pour le moins inattendue. Elle acquiesça finalement et sortit de la salle en songeant à la perspective de sa soirée au bord de mer, le sac à dos de son père sur les épaules.



***



Le grand jour du départ pour Venise était arrivé. Deux longues semaines avaient passées et Julia s'était débrouillée pour rassembler la somme avant la date d'échéance. Le groupe était composé d'une trentaine d'élèves inscrits à l'option Italien, toutes classes confondues. Seize heures de bus étaient annoncées, le départ avait eu lieu à vingt-deux heures. À l'origine, Julia s'était assise seule, ne souhaitant pas s'imposer au groupe des quatre amis, mais Tarik avait tôt fait de se sentir nauséeux, et il avait rejoint Callini, Duval et Oliveira à l'avant du bus au bout d'une heure de trajet. Raphaël avait invité Julia près de lui, et elle avait accepté avec joie, quelque peu soulagée de ne plus avoir à supporter les commérages d'Anna Berthier et l'une de ses amies, assises devant elle. Raphaël et Julia discutèrent tranquillement une bonne partie de la nuit, puis ils partagèrent des écouteurs et se reposèrent au son des musiques qui défilaient. Le temps passa à une vitesse folle, si bien que Julia fut rapidement surprise par un éclat de soleil. Elle se redressa lentement, déboussolée, et elle réalisa qu'elle s'était assoupie contre Raphaël à un certain moment de la nuit. Ce dernier dormait encore, l'air tranquille, la tête en appui sur la vitre embuée. Le car entier était silencieux, bercé par le ronronnement continu du moteur. Seules quelques voix se démarquaient à l'avant. Il devait être tôt le matin.

Alors que Julia sentait sa gorge se dessécher de minutes en minutes, M. Duval se leva de son siège et se promena dans l'allée du car pour réveiller les endormis et leur signaler qu'un arrêt était prévu d'ici quelques minutes à une aire d'autoroute, pour prendre le petit déjeuner.

Le car se désemplit dans un silence presque religieux sur le parking de la station, comme si un pacte tacite liaient les grognons du matin et les autres. S'il y avait bien une seule personne cependant pour ne pas l'avoir remarqué, c'était Élise. Aussitôt réveillée, elle redevenait le moulin à paroles qu'elle était en temps normal. Prévisions météo, tendances musicales ou nouveau débat écologique, tout y passait.

Le groupe entra dans une petite cafétéria d'autoroute parmi les derniers élèves. Chacun avait prévu de quoi payer les repas du trajet. Tandis que Safia et Élise se ruaient sans plus tarder vers les viennoiseries, Julia avança vers un distributeur qu'elle avait repéré au fond de la salle. Par manque de temps et parce que l'odeur de la nourriture la rendait nauséeuse de beau matin, elle n'avait jamais pris l'habitude de manger avant d'aller au lycée. Elle attaquait très souvent la journée le ventre vide, hormis lorsqu'elle se levait plus tôt pour aller surfer. Elle se contenta de prendre un café excessivement cher au distributeur et elle rejoignit avec précaution ses amis qui étaient attablés plus loin.

Alors qu'elle traversait la pièce, le regard concentré sur son gobelet plein, elle sentit le sol se dérober sous ses pieds et, en une fraction de seconde, elle se retrouva à genoux, honteuse, le gobelet renversé sous ses yeux, au milieu des rires et des chuchotements.

- Il faut regarder où on met les pieds ! déclara une voix derrière elle alors que Raphaël s'était précipitamment levé pour lui apporter son aide. 

Dans un mouvement de tête brutal, Julia rencontra le visage triomphant d'Anna, debout dans la file d'attente pour les viennoiseries, la jambe inclinée dans sa direction. L'évidence lui creva les yeux : c'est cette même jambe qui l'avait fait trébucher.

- T'occupe pas d'elle, murmura Raphaël en lui tendant une serviette en papier. 

L'esprit en ébullition, Julia se mit à essuyer le sol en tentant une nouvelle fois de faire abstraction des commentaires dans son dos.

- Il paraît que ça arrive souvent aux toxicos, de perdre l'équilibre... Qu'est-ce que t'en penses, Julia ? C'est aussi comme ça que tu t'es défigurée pendant les vacances ? 

- Tu veux bien la fermer ? intervint Raphaël en réagissant au visage crispé de Julia.

Anna sourit effrontément mais ne répondit pas à l'élève de Terminale. 

- Vous savez quoi, dit-elle plus bas à ses amis, je l'ai vu la dernière fois en ville, elle était avec deux gouines ! C'étaient des camées elles aussi, ça se voyait tout de suite.

Jetant son papier imbibé au sol, les membres tremblants de rage, Julia se redressa et se retourna finalement pour faire face à Anna.

- T'es vraiment qu'une salope. 

Elle aurait pu supporter toutes les insultes personnelles, mais que l'on s'en prenne à ses amies avec des propos dégradants, cela lui était insupportable. 

La blonde recula d'un pas, comme intimidée, mais cette impression fut très vite remplacée par la naissance d'un sourire narquois au coin de ses lèvres. 

- T'aime pas qu'on parle de tes copines, l'hystérique ? Alors évite de t'exposer avec elles.

- Julia, viens, laisse tomber, répliqua Raphaël, une main posée sur son bras.

- Putain, laisse-moi !

- Oh mais c'est qu'elle est susceptible ! commenta Driss en adressant un sourire de connivence à Anna. 

Le rire des autres élèves présents encadraient l'air triomphant de la jeune fille. Raphaël acquiesça doucement sans s'éloigner. Julia ne quittait plus la blonde du regard, la respiration instable. Une dangereuse tension commençait à animer l'air.

- Attendez... Je crois que j'ai compris, ajouta Anna avec un air emprunté de mystère. Vous êtes en plan à trois ? C'est bien un truc de lesbiennes ça, non ? Toi aussi, Julia, tu lèches...

Avant qu'elle ne puisse ajouter un mot, Julia perdit le contrôle de ses nerfs. Elle attrapa Anna par le col et la poussa violemment dans la foule. Repoussée par les autres élèves, la jeune brune ne perdit pas Anna des yeux. Cette dernière se releva et ne tarda pas à répliquer en se jetant sur Julia. Dans le tumulte de la bagarre, l'agitation et les huées des élèves attroupés, les deux jeunes filles renversèrent une table voisine. Elles se ruaient de coups égaux à terre, se traitant de tous les noms, lorsque deux puissantes paires de bras les séparèrent. La vision troublée par la rage, Julia sentit seulement son corps recroquevillé quitter le sol. Elle continua de frapper alors même que ses poings et ses genoux ne rencontraient que du vide. Bientôt, ses mains furent plaqués contre sa poitrine par les deux bras qui l'encerclaient comme deux lianes. Ses pieds continuèrent de battre simultanément et frénétiquement le sol.

- Stop ! Piantala ! Per Bacco, calmati ! (Stop ! Ça suffit ! Bon sang, calme-toi !)

Au moment où la voix rauque de Callini commença à faire écho dans les oreilles de Julia, cette dernière s'immobilisa, ses pieds se posèrent entièrement à terre. Elle sembla tout d'un coup revenir à elle-même et, comme frappée par la stupidité de son attitude, elle cessa de répondre aux insultes d'Anna. 

Quelques secondes plus tard, Callini desserra avec hésitation sa prise. Lorsqu'elle releva la tête, Julia retrouva immédiatement le visage écarlate de la blonde, à quelques mètres d'elle. Elle se débattait toujours dans les bras de M. Duval, tout comme si elle cherchait encore à échapper aux coups. Julia tenta de faire un pas, mais son bras fut immédiatement empoigné par Callini. Ce dernier l'invita à la regarder.

- Vous êtes calmée ? demanda-t-il près d'elle. Aux mouvements de son torse, il semblait lui aussi avoir le souffle court.

Déboussolée, Julia acquiesça avant de remarquer les morceaux de verre qui craquaient sous ses baskets. Callini se détacha entièrement d'elle et Julia, l'air égaré, commença à constater les dégâts au sol. La table renversée, le jus d'orange et le lait répandus sur le carrelage. À la colère succéda très vite le regret. Cela ne lui ressemblait pas. Ou peut-être bien que si ?

- Monsieur, ce n'est pas Julia qui a commencé...

- Taisez-vous, ordonna M. Callini. Retournez vous asseoir. Tous !

Raphaël et tous les élèves qui s'étaient levés pour assister à la scène retournèrent à leurs places. Julia croisa quelques regards austères dans l'assemblée.

- C'est elle ! C'est cette hystérique qui m'a agressée ! s'exclama Anna auprès de M. Duval.

- Vous allez vous rendre immédiatement dans les cuisines, vous excuser et demander de quoi nettoyer la salle, répliqua indifféremment M. Callini. Il est hors de question que quelqu'un le fasse pour vous et qu'on parte d'ici avant que ce ne soit fait.

- Je vous dis que c'est elle qui m'a agressée ! J'y suis pour rien, moi, si c'est une folle, c'te fille !

- Julia, tu peux nous expliquer ce qui s'est passé ? demanda M. Duval en approchant aux côtés d'Anna. 

Julia resta muette. C'était sa parole contre celle d'Anna, et elle n'était de toute évidence pas en position de force. À quoi bon se rabaisser à un stupide débat ? 

- Je sais que tu as l'habitude de parler seulement quand ce n'est pas le moment de le faire, mais là, c'est précisément le moment de dire quelque chose si tu veux te défendre, continua Duval avec une antipathie certaine à l'égard de la jeune fille.

Les deux professeurs échangèrent un regard nettement divergent. Après un cours silence, Julia s'exprima enfin, le regard vagabondant sur les marques rouges qu'avaient laissé ses mains sur le visage d'Anna  :

- Je crois que je me suis déjà assez bien défendue, non ?

Alessandro serra les dents et devança la parole de son collègue.

- Dépêchez-vous d'aller en cuisine.

Sans attendre, Julia profita de l'injonction pour se dérober au groupe et se rendre derrière le comptoir. Anna resta argumenter quelques instants, mais elle finit par la suivre, consciente qu'il était dans son intérêt de le faire.

Les deux jeunes filles exécutèrent leur tâche en silence, faisant abstraction l'une de l'autre. Quand elles eurent fini, M. Duval les prit une nouvelle fois à part pour les sermonner. Le regard inquisiteur de Callini, assis au loin, interpella Julia. Elle resta le soutenir  jusqu'à ce que Duval lui ordonne brusquement de l'écouter. Le trajet reprit et se déroula sans autre encombre. Julia s'installa cette fois à côté de la vitre et resta observer silencieusement le paysage. En fin d'après-midi, le groupe scolaire arriva enfin à Venise, devant l'auberge de jeunesse où allait se dérouler la semaine.



NDA: merci pour votre patience et votre fidélité !

J'en profite pour annoncer que j'ai enfin trouvé un visage à Julia, c'est celui d'Alba Galocha dans sa jeunesse, celui de la photo que j'ai joint au chapitre, je vous invite à la regarder et à me dire ce que vous pensez d'elle, si c'est comme ça que vous l'imaginiez, etc. ;)

 A très vite !

Eva xx

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