Océane était en peignoir et finissait de se démêler les cheveux quand on toqua à la porte. William alla ouvrir, il s'agissait de Geosef qu'il invita à entrer.
- Je venais vous avertir que le Roi Danector organise un banquet ce soir et que vous êtes ses invités. En tant que couple princier, vous siégerez à sa table.
Alors qu'il allait repartir, Océane l'interpela.
- Geosef ! Est-ce que vous pourriez faire quelque chose pour moi ? Voyez-vous, j'ai une robe, annonça-t-elle en allant fouiller dans sa besace, qui a quelques tâches. Si quelqu'un pouvait les enlever.
Elle déplia la robe devant lui. Des auréoles de sang la constellaient.
- Quelques tâches ? questionna Geosef en haussant un sourcil.
- Figurez-vous qu'elle a aidé une femme à mettre un enfant au monde, déclara William comme si c'était parfaitement naturel.
- Je vois ! affirma Geosef, comme si, effectivement, il s'agissait d'une banalité. Il valait donc mieux que vous soyez dans cette tenue que dans une de vos robes habituelles, ajouta-t-il, mordant. Très bien ! Donnez-la-moi, je m'en occupe.
- Merci Geosef.
Océane appréciait beaucoup l'intendant, il avait un humour bien à lui, presque sarcastique. Mais c'était quelqu'un de bienveillant et qui avait de l'affection pour elle, elle le sentait.
***
Océane avait remis la robe qu'elle portait pour la fête de son village, le soir où tout avait basculé. Elle avait natté ses cheveux en une tresse épaisse qui retombait sur son épaule droite, laissant visible son vertigineux décolleté dans le dos.
- Tu es sublime, lui annonça William. Si tu savais ce que cette robe m'évoque...
- Elle me rappelle que tu as souhaité m'abandonner, déclara Océane, mutine.
- Tu sais très bien que non. Tu m'as rendu fou, je te jure. J'avais sérieusement envisagé de t'enlever et de vivre en ermite dans une grotte, avec toi, jusqu'à la fin de nos jours, fit-il en s'approchant d'elle et l'enserrant par la taille.
- Charmant programme, enchérit-elle avant de lui déposer un baiser sur les lèvres.
Une fois devant la salle du banquet, Océane resta bouche bée. La pièce était immense, aussi bien en profondeur qu'en hauteur, le plafond vouté devait s'élever à une dizaine de mètres. Océane était persuadée que la salle pouvait contenir des centaines de gens, sans que personne ne se bouscule.
Une cinquantaine de tables avaient été mises en place et elles étaient déjà à moitié remplies. On guida le couple jusqu'à la table royale. Cette dernière était bien plus grande que les autres, elle pouvait accueillir une trentaine de personnes. Ils se retrouvèrent juste à côté de la chaise royale. William aurait pu penser à une aubaine, s'il n'était pas certain que c'était là le choix de Danector qui avait enfin décidé de lui parler. Océane, quant à elle, restait subjuguée par l'immensité de la salle. Il fallait des dizaines de lanternes pour l'éclairer, des lustres pendus étaient là en renfort. Il y avait tant de monde pour s'occuper des invités, c'était tout bonnement hallucinant. Les musiciens, qui se trouvaient sur une estrade, jouaient des morceaux entrainants. Elle regardait les invités qui s'installaient. Certains, comme elle, étaient impressionnés par ce qui les entourait ; d'autres, au contraire, affichaient un air blasé et se plaignaient de tout. Ils étaient trop loin de la table royale, ne voulaient pas se retrouver à côté de telle ou telle personne.
Et c'est là qu'elle aperçut son voisin de balcon. A vrai dire, elle ne l'avait croisé que très brièvement une ou deux fois depuis leur arrivée. C'était la seconde fois qu'elle pouvait l'analyser. Il avait toujours cette barbe fournie, quoique mieux taillée et il avait attaché ses longs cheveux en arrière, si bien qu'elle pouvait voir qu'il était totalement désintéressé par ce qui l'entourait. La jeune femme se pencha vers William et lui demanda :
- Tu vois cet homme en noir ? C'est notre voisin de chambre, tu sais qui il est ?
William le chercha un instant du regard, puis, quand il le vit, son visage s'assombrit.
- C'est Gabriel, le second de Finwë. Son homme de main et de confiance. Méfie-toi de lui. Il est capable de tout. Ne te retrouve jamais seule en sa présence. S'il est là, c'est qu'il sait qui nous sommes et certainement ce que nous voulons.
Océane lui attrapa la main, puis tourna à nouveau son regard vers l'homme en noir. Il venait vers eux, à leur table. Il s'assit en face de William, c'est à ce moment qu'il les regarda, d'abord Océane, qui perçut quelque chose de familier, sans savoir quoi, puis ce fut au tour de William. Et l'analyse se transforma en affrontement. William voulut faire détourner les yeux de Gabriel qui le regardait avec une réserve froide. Finalement, ce fut l'arrivée du Roi qui les stoppa. Tout le monde se tut et se leva. Océane profita que Danector s'asseyait pour l'observer. Il n'était pas très grand, d'une carrure normale, avec des cheveux grisonnants. Il devait approcher la soixantaine d'années. Il avait les traits tirés et le teint blafard. Il sortait d'une longue convalescence, mais elle sentait dans ses yeux que tout ça était derrière lui et que d'ici quelques semaines il irait mieux.
Avec son arrivée, le début du dîner fut annoncé, avec la primeur d'être servis les premiers. Océane était assise à côté d'un Seigneur du Sud des Plaines du Soleil. Il avait le teint halé, faisant ressortir ses yeux noisette, il était tout à fait charmant et avait une conversation intéressante. William, quant à lui, participait à toutes les conversations auxquelles il était convié. Toutes, sauf celles du Roi qui ne lui adressa pas la parole, sauf pour le féliciter sur la beauté de sa femme. Il s'adressa aussi quelques fois à Gabriel, mais Océane sentit bien, à son ton, qu'il ne l'appréciait pas particulièrement. Ce denier, pourtant, se montra agréable, répondant poliment mais sobrement aux questions qu'on lui posait. Mais dans ses expressions, sur son visage, on pouvait observer qu'il restait en retrait, qu'il ne souhaitait pas se laisser aller d'un pouce. Bientôt vint le temps des premières danses et William l'invita. C'est amusée qu'elle lui demanda, une fois qu'ils se retrouvèrent en tête à tête :
- Comment cela va-t-il finir cette fois ? Vas-tu m'abandonner en courant, vas-tu m'emmener au loin pour m'embrasser ? déclara-t-elle pour lui changer les idées.
- La deuxième option me parait la meilleure, même si, si mes souvenirs sont intacts, c'est toi qui est partie et moi qui me suis lancé à ta recherche !
- Parce que tu t'étais montré odieux, souviens-toi, le corrigea-t-elle gentiment.
- J'avoue tout ce que tu veux, dit-il en riant. Tant que tu ne te mets pas à danser comme tu l'as fait chez les prêtresses de la Lune. Parce que là, crois-moi, tout le monde tombera à tes pieds.
- C'est bon à savoir, badina-t-elle.
Ils dansèrent encore une ou deux chansons puis retournèrent à la table. Là, Océane fut invitée par son voisin de tablée, elle accepta avec plaisir et tandis qu'ils dansaient, elle vit William et le Roi Danector, plongés dans une conversation, s'éloigner de la salle pour s'entretenir en privé. Après celle du Seigneur du Sud, elle accepta presque toutes les invitations qu'on lui faisait.
La nuit était bien avancée et William n'était toujours pas de retour. Elle décida qu'il était tard et l'heure pour elle de rentrer. Elle se sentait épuisée et nauséeuse. Elle abandonna donc le banquet et sortit à toute vitesse. Elle manqua de percuter quelqu'un, s'excusa sans même se rendre compte qu'il s'agissait de Gabriel qui la regardait partir, les bras croisés sur le torse.
***
William se trouvait dans un petit salon privé en compagnie de Danector et il lui proposait enfin son traité.
- Ce que nous vous proposons est simple. Vous vous engagez à ne plus avoir le moindre conflit contre Somgysaï, plus aucune tentative d'invasion et en contrepartie vous avez notre soutien.
- Qu'est-ce que cela peut m'apporter ? fit Danector avec un balayement du bras.
- N'essayez pas de jouer au plus fin avec moi. Vous savez, aussi bien que moi, que Finwë monte une armée pour vous reverser et que certains de vos Seigneurs, et pas des moindre, vous ont trahi. Et si vous ne savez pas encore lesquels, moi je le sais parfaitement. Croyez-moi quand je vous dis que vous aurez besoin de nous.
- Cette fois c'est à moi de te demander ce que ça t'apporterait.
- Le plaisir de voir Finwë payer pour ses crimes, répliqua-t-il sans se formaliser du tutoiement.
- Ainsi c'est ça, petit, une simple vengeance à tes yeux...
- Qui vous fera gagner de nombreuses années au pouvoir.
- Et après ? questionna le Roi un sourire aux lèvres. Après ma mort, que se passera-t-il ?
- Ce qui devra être fait le sera, répondit simplement William, ce qui provoqua une crise d'hilarité chez son interlocuteur.
- Bien sûr. Tout simplement, n'est-ce pas ? Tu es comme nous, petit. Comme Finwë et moi, exactement pareil. Nous verrons donc ce que tu feras le moment venu. En attendant, amène ton traité à mes conseillers demain matin. Ils l'étudieront avant que je le signe. Comprends que je ne te fasse pas confiance.
- Très bien, fit William en hochant la tête puis en se levant.
Il se dirigea vers la sortie. Moins il resterait avec cet homme, mieux cela vaudrait, il ne valait guère mieux que son neveu. Alors qu'il ouvrait la porte, Danector s'adressa à lui :
- Bonne nuit, Adanäel, salue ta jeune épouse pour moi.
Un claquement de porte se fit entendre et Danector resta assis dans son fauteuil, un sourire victorieux aux lèvres.
William se précipita dans ses appartements. Il était persuadé qu'Océane s'y trouvait déjà et il avait un besoin furieux de la serrer dans ses bras, pour ne pas se perdre, pour ne pas oublier ce qui il était.
En effet, la jeune femme était déjà là, mais elle dormait à point fermé, toute habillée dans leur canapé. William s'approcha d'elle en souriant, lui déposa un baiser sur le front, puis il la transporta jusqu'au lit où il la borda. Il la rejoignit ensuite, après s'être déshabillé. Il resta un long moment sur le dos, pensif. Il avait eu ce qu'il voulait. Mais à quel prix ? Il se posait encore la question. Est-ce que la mort de Finwë valait tous ces sacrifices. Il l'ignorait, mais il souhaitait plus que tout le voir mort, il en était certain. Il se tourna vers Océane, l'enlaça. Elle valait tous les sacrifices. Oui, Océane méritait qu'il lui offre une vie meilleure et il ne pourrait pas le faire tant que Finwë serait en vie.
Il resserra son étreinte, enfouie la tête dans le cou de sa femme et s'endormit.
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Ne soyez pas trop pressé d'être mardi prochain, je vous le dis... On arrive dans les chapitres où rien ne va se passer comme prévu.