Après une nuit très mouvementée, Samuel, Rem et moi, nous retrouvons face à... Petit rembobinage, reprenons ! Nous venons d'entrer dans le bureau de Marc situé dans une superbe maison, pourtant il n'habite pas là... Notre entraîneur, et policier dans la vie de tous les jours, profite aussi de la compagnie d'un drôle d'oiseau...
Nous découvrons l'adepte des « congélo » planté devant la baie vitrée... Si les Vampires piquent des siestes réparatrices dans leur cercueil, lui a élu domicile dans une chambre froide, j'en aurai la preuve ! Un puissant échange d'amabilités démarre entre Lord-Antarctique et Samuel. Mon vieux copain, aussi doué pour détendre l'atmosphère que pour la pourrir, nous démontre l'étendue de ses compétences. Il balance d'entrée, moqueur :
- Oh ! Mister Freezer le retour, il nous manquait déjà celui-là, et son pote, la Grenouille dégénérée, non ? On n'y a pas droit aujourd'hui ?
Évidemment comme entrée en matière, « peut mieux faire » comme en témoignent mes derniers bulletins scolaires... Mais il y a complot, les profs de musique, maths et sciences physiques se sont tous ligués contre moi. Des traîtres, je l'affirme ! Pas en reste, son interlocuteur dérape, sans vergogne :
- Tiens la Nounou tatouée ! Tu ne t'accroches pas à ton petit camarade défoncé aujourd'hui ?
Question sensibilité, il se pose là Captain-Igloo ! Enfin, rien d'anormal pour un bout de banquise. Et soudain, tout part en vrille. Mon ami d'enfance serre les mâchoires, les poings, et fonce sur Bac-à-glaçons. Oui, mon gentil Samuel, timoré, pétochard comme pas permis, généreux et compatissant, prêt à en découdre contre « l'arme fatale option calotte glaciaire ». Avec une fraction de seconde de retard, Rem et moi le rattrapons par la taille et les épaules. Il se débat, furieux et hurle sa colère. Bouclette Sauvage évite de peu un coude pointu en pleine figure. De quoi le défriser pour un moment...
- Fumier ! Tu files tes saloperies à notre pote et...
Un éclat de rire éraillé l'interrompt et le gèle sur place. L'Iceberg se « marre » et Marc se mord les lèvres. Crise de folie passagère ? Faut-il appeler les hommes en blanc ? Je leur préciserai de ne surtout pas enfermer Samuel dans la même cellule capitonnée que son adversaire sinon, en guise de « soirée mousse », nous assisterons à la version « Fête à l'Hémoglobine »... Le type en noir incline la tête et « sourit ». Un véritable sourire. Si ! Je distingue ses crocs super blancs et des rides d'expression autour des yeux, choses que je n'aurais jamais crues possible. La voix grave, il note appréciateur:
- Ils ont un sacré tempérament tes protégés, Marc !
- Et encore, Samuel n'a pas intégré l'entraînement... Il apprendra à se canaliser.
- Mais j'ai jamais dit que je voulais..., proteste notre camarade pas ravi de se découvrir enrôlé à l'insu de son plein gré.
L'autre s'approche. Un regard à notre entraîneur m'indique de laisser faire. Il se pique devant Samuel, qui se crispe encore mais ne baisse pas des yeux toujours étincelants de rage. Le type pose ses doigts sur la tête du Dragon-cracheur-de feu, pourtant plus grand mais bien plus frêle, et tapote la chevelure ébouriffée. Il lâche :
- T'as du cran blondinet. J'aime ça. Moi, c'est Simon.
Samuel ne s'offusque pas, se détend d'un coup, bluffé par l'expression chaleureuse et la tonalité très basse. Bouclette Sauvage ne peut refouler la main tendue :
- Toi c'est Rémi, j'ai entendu des choses très prometteuses te concernant.
Les sourcils de mon camarade se froncent un peu mais il ne réplique pas, tout en retenue. Prudent, il étudie l'adversaire parce que, jusqu'à preuve du contraire, nous ne sommes pas dans le même camp... Et voilà le Seigneur des glaces en cours de dégel qui se tourne vers moi. De près, son regard gelé perturberait un volcan endormi, déclencherait tornade, typhon et blizzard dans un même espace. Et non, aucune exagération, pas mon genre ! Encore heureux, j'ai l'antidote, des prunelles dorées qui ne zieutent que moi.
- Et toi, tu es Agathe... Une véritable « tueuse » m'a-t-on rapporté. J'apprécierai de voir ça à l'entraînement.
Comme Rem, je ne refuse pas la poignée de main ferme. Je reste silencieuse même si je brûle de savoir qui a pu émettre un avis aussi sanglant. Il parle au futur en plus, chic !
- Très bien, venez vous asseoir, intervient Marc satisfait de notre subite pacification.
Sage comme des images, nous prenons place sur le canapé, juste en face de notre entraîneur, Samuel, entre Rem et moi, des fois qu'une crise de hargne reprenne notre petit camarade... Même après avoir été flatté comme un jeune chien fou, ne manquait que le : « Gentil le toutou, calme... », il pourrait à nouveau s'exciter. Tant mieux, je ne suis plus seule en cours de dressage mais au moins, j'en suis à l'apprentissage de la remise de « papatte », plus prestigieux tout de même comme niveau. L'inquiétant personnage, assis avec une fausse nonchalance sur la manchette de l'autre divan, nous observe.
Je coule un œil discret. Sa musculature, sèche, dessinée par la ligne très près du corps des vêtements, témoigne d'une forme physique redoutable. Et je nous imagine sans peine, dixit ma délirante prédisposition, dans la peau de cobayes, prisonniers d'un savant fou. Un sadique prêt à nous soumettre à ses tests démentiels pour une étude très poussée de nos capacités. Ou de nos précieux organes internes peut-être ? Beurk ! L'image d'une pauvre grenouille, ventre ouvert, martyre des cours de biologie, remonte des tréfonds de ma cervelle fatiguée... Appétissant ! Ce jour là, mon estomac avait refusé de s'intéresser au contenu de mon assiette. Bien sur la contribution gastronomique d'Iguane-cuisto ne m'encourageait pas non plus. Je me rebranche sur Marc, histoire de ne rien manquer des explications à venir.
- Très bien, maintenant que Simon a fait les présentations et pour que les choses soient bien claires, il appartient aussi à une branche de notre... réseau. Et Simon n'a pas piégé Enzo bien sûr. Dès qu'il a compris le problème, il m'en a informé. Tu m'as appelé peu après Rémi. Simon est en immersion depuis quelques mois. Voici la raison de sa présence, hier soir, au domicile de Max Paoli. C'est lui qui m'a suggéré de faire sortir Enzo en utilisant des camarades de son âge pour plus de discrétion. Vous n'avez jamais été en danger. Simon a suffisamment d'ascendant sur... Enfin pour faire bref, vous ne risquiez rien, à aucun moment. En fait, l'opération, visait une personne en particulier, mais elle ne s'est pas présentée...
- On aurait bien aimé le savoir, nous ! Râle Samuel très rancunier.
Mais il n'en finit pas de me piquer mes répliques ! Outrage suprême ! Retenez-moi ! Je vais l'étrangler puisque je ne repère aucune mare à canards à l'horizon pour accomplir mon forfait selon le modus operandi initial ! Marc poursuit sans se formaliser.
- Nous sommes intervenus quand même... histoire de faire savoir que nous ne laisserons pas s'installer de trafic dans ce périmètre.
- Mais ailleurs, ça ne gêne pas, objecte Samuel acide, ça peut faire des victimes, vous vous en...
Simon intervient, avec tolérance.
- On ne peut pas être partout, Samuel. Et crois bien qu'on le regrette. Pour le moment, on tente de remonter à la source. Cette ville est un cas particulier, un site historique d'implantation du Black Swan alors pas question de laisser polluer notre territoire. Le message doit être clair.
Notre entraîneur hoche la tête, mais je le sens, un bref instant, très surpris que son homologue se fende de quelques précisions. Je questionne à mon tour :
- Et Enzo ?
L'échange silencieux entre Marc et Simon m'interpelle. Le Coach reprend :
- Je vais être franc, nous ignorons encore s'il s'agit d'un hasard malheureux ou s'il était ciblé, et par qui. Par contre, certains cachets retrouvés sur place sont très dangereux, avec une addiction immédiate. On attend les résultats, mais vu l'état d'Enzo... Tout ça pour vous dire d'être très prudents, surtout que vous deux, Agathe et Samuel, vous entrez au lycée. Le cas d'Enzo vous donne un bon exemple de ce que vous pourrez rencontrer comme population et problèmes. Je suis en contact avec sa mère, nous verrons ce qui est le mieux pour lui. Il devra sans doute quitter la ville quelques temps.
Rem sursaute :
- Et son stage de prérentrée en Math sup semaine prochaine, et sa rentrée tout court.
Le visage de Marc s'assombrit, il passe une large paume sur son crâne lisse, comme toujours lorsque les choses ne vont pas dans son sens.
- C'est mort pour son stage. Et sa rentrée, désolé de le dire, mais elle risque d'être bien compromise...
Il nous prépare en douceur à une évidence. Samuel a les larmes aux yeux et moi, je réprime les picotements traîtres au coin des miens. Je pose mes doigts sur sa main crispée. Il renifle comme un gosse victime d'un gros chagrin et souffle :
- C'est vraiment trop dégueulasse.
La traduction parfaite de notre sentiment à tous.
- Il va aller en « désintox » ? S'inquiète la Salade dévastée.
- Il y a d'autres possibilités Rémi. Un de nos membres prend en charge ce genre de cas. Je l'ai déjà appelé.
Le Coach se veut rassurant, mais je surprends son drôle de regard sur moi. Je lui renvoie une expression interrogatrice sauf qu'il se contente de hocher la tête, rassurant. C'est lui qui déteint sur Rem, il lui refile des toxines de carpe, j'en suis sûre !
La réponse, il me la donnera trois jours plus tard par un coup de fil qui sollicite mon aide.
- Agathe s'il te plait, pourrais-tu rendre visite à Enzo à la Clinique ?
- Bien sûr, mais jusqu'à présent, seule la famille...
Sasha m'a informé de ce détail et de la sortie de clinique pour bientôt. Enzo trop « fatigué », ne souhaitait pas de visite. Le Chat inquiet passe du temps au chevet de son frère qui dort beaucoup mais, par moment, il trahit une nervosité et un mal-être que Sasha ne lui a jamais connus. Soupçonneux, le Trésor se demande déjà comment une intoxication alimentaire peut produire de tels effets.
- Oui, mais là, pas de problème et je pense que tu devrais pouvoir le convaincre de partir quelques temps.
Un blanc étrange se prolonge et puis Marc lâche sa bombe :
- C'est Théo qui va prendre Enzo en charge, Agathe ! Nous allons transformer son départ en petites vacances à la montagne entre copains et copines. Rem se charge de prévenir votre petite bande, tous ceux qui pourront venir seront les bienvenus, sans aucun frais...
Et la Salade, frappée de mutisme, n'a pas lâché le morceau... La moutarde me monte au nez.
- Et jusqu'à présent, j'étais trop débile pour qu'on me mette au parfum ?
- Agathe.
La remontrance, sous-jacente ne m'échappe pas et je baisse d'un ton.
- Désolée, mais je supporte de moins en moins bien qu'on me tienne à l'écart. Et c'est flagrant que vous... ?
- Je te comprends Agathe. Nous en discuterons avec Théo, tous les trois. Je t'en fais la promesse. En attendant, je voudrais que tu convainques Enzo de partir. Pour le moment il ne veut pas en entendre parler. Il pense que ses études lui permettront de remonter la pente, mais il se leurre. Il n'a plus la motivation ni l'énergie pour ça, sans parler des tentations possibles... Rémi a échoué a le convaincre, mais suggère que toi, Enzo t'écoutera. Il a franchement besoin d'aide et tu sais mieux que quiconque ce que Théo est capable de faire...
Comment pourrais-je l'ignorer...
- Rémi passe te prendre dans une demi-heure, c'est d'accord ?
Je soupire mais confirme bien sûr. Pas question de laisser la Chaussette s'enfoncer d'avantage et Marc sait que je ne laisserai jamais tomber.
- Dernière chose, il ne sait pas que toi et Samuel étiez avec Rémi ce soir-là, à toi de voir s'il peut l'entendre...
Pas cachotière au contraire de certains, j'informe Samuel des derniers développements. Ségo déboule tout à coup et nous annonce l'arrivée imminente de mon cousin préféré... Enfin ça, c'était avant qu'il ne me doive quelques explications ! L'envie de mettre des coups de dents me reprend, peut-être des coups d'encyclopédie comme au bon vieux temps, mais pas contre Panda-Ballon... Rem, par contre, risque d'en faire les frais, sans compter Théo, ce faux-cousin! Parce qu'il n'est pas étranger au fait qu'on me cache des milliers de choses. Je le jure, ça va saigner ! Pour l'heure, direction la clinique dans un mutisme total. La Frisée plaintive plaide sa cause.
- Arrêtes de me faire la gueule, je n'y suis pour rien.
- Mouais...
Gros soupir de Bouclette Sauvage qui, en dernier ressort, me fait du charme.
- Allez, mon Asperge des Neiges à moi, fais un sourire à ton Hérisson frisé. Tu sais bien que je n'aime que toi...
- Et Adi !
De Salade, le voilà qui passe à tomate, très, très mûre... Je tiens ma vengeance, je vais l'enquiquiner autant que faire se peut.
- D'ailleurs vous en êtes où tous les deux ? Vous avez déjà ...
Pas que la question m'intéresse, mais observer les rougeurs s'étendre sur son cou, son visage, jusqu'à ses oreilles, le voilà en passe de clignoter. Un pur délice, cette vue. Il bafouille, choqué.
- M'enfin Agathe, c'est super indiscret...
J'explose de rire et la Salade capte vite la vilaine blague.
- Punaise, t'en rates pas une l'Asperge ! Si tu pouvais faire rire Enzo, ce serait pas mal aussi.
Je remarque qu'il change très vite de sujet... mais celui là m'importe plus que le précédent.
- Tu lui as parlé ?
Les yeux rivés sur la route, la circulation bien que paresseuse nécessite son attention, il hoche la tête et serre les lèvres. Rem inquiet, grimace.
- Enzo est en plein déni. Il refuse d'admettre qu'il subit les effets du manque, que ça l'affaiblit autant physiquement que psychologiquement. Il a refusé l'aide du psy et ouvre à peine la bouche. À part Sasha, il ne supporte personne... même pas leur mère. Il a fait un gros effort avec moi, mais il a vite atteint ses limites.
De quoi m'inquiéter... Enzo, malgré ou à cause de son état de faiblesse actuel, se raccroche à une fierté déjà bien mise à mal. Vieux réflexe pour ce maniaque du contrôle à qui tout échappe depuis cette détestable soirée. Je comprends qu'il se sente perdu et que sa méfiance prenne le dessus sur tout le reste puisque ce travers n'a pas empêché qu'il se retrouve sur un lit d'hôpital. La question qui se pose maintenant : va-t-il accepter de m'écouter ?