La vie est quelque chose de très complexe, on croit la connaitre, et pourtant elle nous surprend toujours. Il y a une infinité de situations auxquelles on peut être confronté. Et quand on pense avoir fait le tour des sentiments humains, on en découvre de nouveaux.
Il y a sans cesse des surprises.
Tout n'est jamais acquis.
Et j'espère que tout n'est jamais fini.
En parlant de « fin », je pense à la mort, le contraste de la vie, je me demande ce qui nous attend lorsque notre cœur cesse de battre. Peut-être le vide absolu ? C'est l'hypothèse la plus probable...
Pourtant moi je m'interroge sur les âmes. Est-ce qu'elles perdurent malgré la mort ? - ... mais c'est quoi la mort...? Le nom que l'on a donné à la fin ? Un mot bien vaste, si global et général... - Peuvent-elles se passer du corps ? Si c'est le cas, où demeurent-elles ? Deviennent-elles des âmes vagabondes ? Qui errent sur la Terre, libérées de la chair, mais retenues prisonnières...
Peut-être. Nous verrons bien de toute façon...
Mais j'ai encore une question : est-ce que la façon dont la mort nous frappe influe sur la « suite » ? Oui car se noyer et être victime d'un accident de voiture ce n'est pas la même chose ! Si une suite existe alors dedans seront séparés ces deux cas, c'est certain. À moins que l'un d'entre eux, ou même les deux, n'atteignent pas ce stade... qu'ils ne soient pas morts de la bonne manière et se retrouvent dans le noir total...
Et là je comprends ce qu'est la mort. C'est l'inconnu, l'incertain, un point d'interrogation, le tracas d'une vie, la peur première des êtres... et encore et toujours... la FIN.
... ou peut-être la suite, me souffle mon cœur, mais après tout peu importe.
Nous ignorons tout d'elle. Et si un jour nous en apprenons plus, alors nous ne serons plus en mesure de transmettre notre savoir à qui que ce soit.
Je vis dans la peur.
Je n'ai pas vécu, il me manque du temps, il est trop tôt, je suis trop jeune... pour mourir.
Je sais que je ne devrais pas me soucier de ça à mon âge, mais c'est plus fort que moi. Je suis presque toujours sur mes gardes, je me méfis de tout ce qui m'entoure, tout ça pour éviter un malencontreux accident...
J'ai le mauvais pressentiment que je ne vivrai pas bien longtemps. Alors je devrais profiter... pourtant, ce n'est pas ce que j'ai l'impression de faire.
Bientôt j'aurai mon bac, je ferai des études puis je travaillerai... et si tout se passe bien, je mourrai... j'aurais passé ma vie à faire comme tout le monde. J'aurais gâché ma jeunesse à préparer un avenir que je ne connaitrai peut-être jamais. C'est horrible. Ça m'dégoute...
Et le pire dans tout ça, c'est que ma vie a beau être extraordinaire, j'ai l'impression que mon destin est déjà tout tracé. Je pourrais essayer tant que je veux de changer les choses, il n'y aurait aucune différence.
Nous devons nous adapter à une société mais ça n'a aucun sens. Ceux qui l'ont inventée portent aujourd'hui sur leurs épaules le poids de tous ceux qui ne s'y sont pas faits. Ceux qui sont pauvres, ceux qui meurent de faim, et j'en passe...
« Tu déprimes ? » me demande Lahela lorsque je lui ouvre la porte.
« Non. Je t'en prie, entre ».
Elle me lance un regard interrogatif, puis, comprenant qu'elle n'obtiendra pas de réponse, fronce un sourcil et s'avance dans mon salon.
C'est un peu comme chez elle ici, elle squatte tout le temps... sans aucune gêne, pour qui elle se prend ?
Arrête ! Elle est là pour t'aider !
Décidemment je suis énervée. Il vaut mieux que je me taise...
Je m'assois sur le canapé aux côtés de Lahela. Ça me rappelle pas mal de souvenirs...
- Je pense que Théo rentrera bientôt, dit-elle.
- Tu n'as pas l'air très sûre de toi...
Elle hoche la tête.
- C'est vrai.
Je me demande ce qui retient Théo au Paradis. Il avait affirmé que ça ne lui prendrait pas beaucoup de temps, une journée tout au plus. Lahela aussi me l'avait assuré... à présent elle n'est plus si certaine de ce qu'elle a avancé... comme elle je doute, je m'inquiète... il faut dire que j'ai mes raisons... cela fait deux jours que Théo est parti.
- Bon ! s'exclame-t-elle haut et fort pour se donner de l'assurance. On fait quoi aujourd'hui ? Ça te dirait un ciné ?
J'ai du mal à la prendre au sérieux, pourtant elle n'a pas l'air de rigoler.
- Tu te souviens de la dernière fois où on a regardé un film ? lui demandé-je.
Elle acquiesce, un léger sourire aux lèvres. Bien sûr qu'elle se rappelle. Ce soir-là il s'en est passé des choses... Théo et un démon s'entretenaient dans mon jardin, Lahela avait prétendu aller chercher à manger mais en fait elle les avait rejoints. J'avais été tenue dans l'ignorance, j'étais restée devant ma télé, tremblante de peur... je revois ensuite Lahela s'en aller en agitant un paquet de chips... et puis, un peu plus tard dans la nuit, la voiture de mon père, se garer dans l'allée.
J'essaie de faire abstraction du passé et avec Lahela, nous nous mettons d'accord : ce sera un film d'action.
Saint-Sébastien : petite ville dans laquelle se réunissent tous les jeunes de la région... en même temps, c'est la seule à des centaines de kilomètres à la ronde...
La nuit tombe lorsque ma nouvelle et seule amie ainsi que moi-même pénétrons dans la salle de projection. Ça fait un bail que je n'ai plus mis les pieds dans un ciné. Waouh, ma vie est décidément très bizarre... De plus ajoutons quelques faits :
· je suis immortelle
· je connais l'existence des anges et des démons
· également celle de monstres sanguinaires qui veulent ma peau...
Qui sait ce qu'il pourrait y avoir d'autre comme créatures surnaturelles qui rôdent autour de chez moi ? Stop... Concentrons-nous sur le POSITIF – j'ai l'impression d'être une prof de Yoga – par-là j'entends : pop-corn, bande-annonce, lunettes 3D, fauteuils rouges, son à fond et jolis mecs qui traversent les rangées pour trouver une place... en fait non, il n'y en a aucun à mon goût. A vrai dire le seul garçon encore capable d'occuper mes pensées est Théo, et encore... je crois que j'ai d'autres problèmes...
- Am ?
- Oui ?
- Tu as entendu ce que j'ai dit ?
- Hein ?
- Attends, tu m'écoutes au moins ? Ne me dis pas que je parle dans le vide depuis tout à l'heure ?! renchérit-elle en voyant que je demeure sans réponse.
- Non, non, c'est bon.
Lahela souffle puis les lumières s'éteignent et son attention est attirée par la bande-annonce d'un film prochainement en salle.
À ce moment-là je me sens seule et coupée du monde. Je me renferme sur moi-même. J'ai envie de pleurer, d'être loin d'ici... mais je ne peux pas. Je suis prisonnière... dans mon propre corps, dans ma vie, dans ce monde.
Apparemment je ne suis pas assez mal comme ça, puisque une image de Loana me vient à l'esprit. Je n'ai pas la force de la repousser, je la laisse m'enfoncer. Encore. Comme pour me prouver qu'elle ne me quittera jamais. Qu'elle sera toujours là pour me rappeler que...
Je ferme les yeux. J'oublie le cinéma, l'ange qui est à côté de moi. Je vague... dans mes pensées. Au plus profond de mon âme, qui est fort, fort lointaine, du monde des vivants...
J'ai prié le temps pour qu'il t'efface de ma mémoire
Or je savais qu'il était inutile d'y croire
J'ai regardé le ciel en te demandant pardon
Mais la neige a emporté ma voix vers une autre saison
Je n'ai pas eu l'occasion de te dire au revoir
Alors je t'imagine de l'autre côté de mon miroir
En m'efforçant de trouver pour toi l'inspiration
De tes rires lointains, j'entends le son...
- Pardon, excusez-moi, oh désolé !
Je me réveille, bien que je ne me sois jamais endormie. Greg tente de se frayer un passage pour gagner une place non loin-de-là. Il n'a pas l'air d'avoir remarqué notre présence. Je l'observe quelques instants. Le voir sans Elle ça fait bizarre... j'ai mal au cœur... pour lui, pour moi, pour tous les gens qui l'aimaient et qui l'ont perdue.
- Greg ! s'exclame Lahela lorsqu'elle l'aperçoit. Ça va ?
Ils se sourient... comme ils sont mignons... j'en oublie presque mes malheurs.
Il vient s'assoir près d'elle. Bon, espérons que cette soirée se passe bien et nous change les idées !
Boom, Paf, Boom et Booooom. Voilà le résumé de la séance, à laquelle il faut ajouter que Lahela et Greg se sont donnés la main et ont échangés des regards complices.
Après nous être mélangés à la foule sortant du ciné nous n'avons plus croisé personne. Greg est rentré chez lui en moto et à présent nous ne sommes plus que toutes les deux, comme à notre arrivée. Comme si l'unité ne se faisait que lors d'occasion et que la solitude était la véritable situation dans laquelle l'humain se trouve. Nous marchons d'un pas rapide pour regagner la voiture de Lahela stationnée dans un parking à une centaine de mètres de là.
Je lance un coup d'œil vers le ciel parsemé d'étoiles puis écoute l'ange me raconter des blagues, venant sûrement de son potentiel futur copain.
À ce moment-là je me dis que je suis normale, que j'agis comme les filles de mon âge... sauf que ce n'est qu'une impression de courte durée.
Un buisson s'agite à ma droite. La lumière d'un réverbère vacille et l'atmosphère est en suspension, comme si elle attendait qu'une action se produise avant de reprendre son rythme. Pourtant, rien ne se passe.
Je reste immobile, fixant Lahela en attendant une instruction, un ordre. Elle se tait et observe les alentours. Son regard à l'air anodin or je suis sûre et certaine qu'elle peut déceler n'importe quel détail dans cette nuit noire. Elle est magique, elle est un ange. Depuis que je connais sa véritable identité, ses gestes me paraissent plus précis. Et j'ai beau ne pas lire dans ses pensées, je sais très bien qu'elle a, comme moi, identifié la chose qui rôde autour de nous. Même en sachant cela, je m'en veux terriblement, je m'en veux de ne pas avoir sentie sa présence plus tôt. Nous aurions peut-être pu nous échapper...
À voir Théo et Lahela, je m'étais dit qu'à nous trois on pourrait la chasser... Je me suis bien trompée.
Après le désespoir vient la peur. La peur que sonne mon heure.
Puis, comme si au même instant la chose et moi avions fini de penser, elle bondie hors de sa cachette et je suis prête à affronter son regard.
Nous nous faisons face durant quelques secondes interminables lors desquelles ma respiration s'arrête et le monde entier reste bloqué sur pause. Seul elle et moi existons. Nous nous scrutons, immobiles. Sans oser, l'une et l'autre, agir, de quelques façons que ce soit.
Soudain nous entendons un cri. Son regard se fait plus intense comme si elle voulait à jamais le graver dans ma mémoire. Je la laisse m'hypnotiser, totalement impuissante face à cette force venue d'ailleurs.
Le cri retenti à nouveau, fort et menaçant.
Cette fois-ci il parvient à me réveiller.
« Dégage ! » s'écrit Lahela.
Lahela.
Mon cerveau se remet peu à peu en marche et je réalise où je suis, qui je suis et... à qui s'est adressée l'ange...
Prise de stupeur je vois la chose disparaitre dans un courant d'air glacial.
Elle était là. Devant moi. La chose s'est montrée. Et moi je l'ai regardée... sans rien dire, sans rien faire, sans rien penser. Elle est la plus forte. Elle me dominera toujours. Je serai son jouet jusqu'à ce qu'elle décide de me tuer. Je ne peux rien contre ça. Elle est trop forte pour moi.
Dans ma mémoire est à jamais gravée son visage. Ses traits de glace, ses yeux... tout. Elle est telle que sur le tableau du manoir.
Lahela, qui marche à mes côtés, ne cache même plus son angoisse. Elle sait, comme moi, que ce n'est plus qu'une question de jour, et peut-être même d'heures...
Quand elle reviendra elle ne se contentera pas d'admirer mes jolis yeux. Elle, ou lui. Lui, le vampire.
Adossé contre un arbre, la couleur de la nuit observa en silence deux jeunes-filles regagner leur voiture, terrifiées.