Après des journées et des journées, ils avaient finalement atteint la ville. Cependant, son imagination avait encore dérapé.
Elle savait déjà que Sacramento avait été dévastée, mais elle ignorait que c'était aussi désastreux. Dès qu'ils atteignirent la civilisation, les deux étaient éberlués. Les débris des constructions jonchaient le sol et rendaient la route impossible à traverser. Quelques bâtiments trônaient encore debout, tels les guerriers survivants d'une canonnade, mais dénué de prestance qui devait sûrement faire la beauté des lieux, auparavant. Elle repensa à Seattle et se demanda si la ville était aussi détruite que l'était celle-ci. Elle ne chercha pas à détailler les lieux d'avantage, et dévia rapidement les yeux vers ses doigts. Si des bombardements ont eu lieu, les dégâts n'étaient pas que matériels, et la jeune Atkins n'avait pas la force d'affronter d'autres victimes. Wilfrid les avait prévenu, c'est que les explosions datent d'un moment déjà.
Même Kad semblait surpris de l'état des lieux. Il ne l'avait sûrement pas laissée ainsi, et voir les lieux endommagés devait lui faire un choc. Peut-être connaissait-il d'autres personnes ici aussi ? Après tout, il avait des alliés un peu partout, ça pouvait très bien être plausible. Comme s'il avait senti son trouble, il déglutit et décida de briser le silence.
« On va juste passer. Je pensais qu'on trouverait des survivants, mais c'est peu probable, à moins qu'ils soient sous les décombres, soupira-t-il plus bas, Maintenant que j'ai le camion, on peut se permettre de continuer sans craindre un manque d'argent. Mais la route est impossible à traverser, grogna-t-il alors qu'ils étaient de nouveau secoués, Ça va prendre du te...»
Il n'eut pas le temps de finir que des tirs se firent entendre. Cette fois-ci, pas besoin de l'aide de son accompagnateur pour se baisser, les deux mains sur la tête. Elle se sentit légèrement descendre, sans comprendre pourquoi, puis le bruit s'arrêta. Il n'avait duré que quelques minutes, et elle ne sentit pas de débris, ni entendu de vitre se briser. Le grand brun jura avant de se relever lentement. Elle allait en faire de même, mais il lui retint le crâne maintenu vers le bas. Cette sale habitude commençait sérieusement à l'énerver.
« Sortez du véhicule, tonna une voix forte qui fit écho contre les hauts buildings qui les entouraient.»
« Reste à l'intérieur, et ne relève la tête sous aucun prétexte, lui murmura Kad.»
Suite à cela, il descendit du véhicule, laissant la portière ouverte, se posta devant, les deux bras à moitié relevés.
« Tourne toi, poursuit la même voix.»
Il obéit, tournant sur lui-même, l'air atone, comme si le fait d'être menacé ne lui faisait rien.
« T'es encore un de ces clébards, c'est ça ?!»
« Nan, la pâté pour clebs c'est pas vraiment mon truc.»
Un court silence prit place, sans qu'elle ne sache pourquoi. La seule chose qu'elle avait pu voir fut son accompagnateur tourner la tête vers elle et lui lancer un clin d'œil, comme s'il avait la situation sous contrôle. Après tout, on lui avait suffisamment dit que Kad Reagan savait toujours ce qu'il faisait.
Enfin, la voix reprit, l'étonnement se reflétant à travers:
« Kad ?»
Ce dernier fini par leur faire face en rabattant ses bras contre son corps.
« Luan, ça fait un bail.»
Un sourire au coin, et il les avait déjà dans la poche.
« Au fait, merci d'avoir crevé les pneus de mon camion.»
Il avança, jusqu'à ce qu'elle le perde de vue. Instinctivement, la jeune femme, remonta la tête, découvrant des hommes armés formant une ligne droite, quelques mètres devant. Elle n'eut le temps de redescendre qu'on l'avait déjà remarqué.
« Arrête toi ! cria l'homme au milieu à Kad qui s'était stoppé net, C'est qui ?»
Son ton était devenu plus dure et méfiant. Ce n'était pas quelqu'un qui connaissait très bien son accompagnateur, sinon il ne serait pas sur ses gardes. Démasquée, elle s'assit simplement, ne cherchant plus à se cacher et son pouls s'accéléra. Le grand brun se tourna vers elle, et lui jeta un regard noir, avant de refaire face aux autres.
« Un gamin que j'ai trouvé.»
« Dis lui de sortir lentement, les mains bien en évidence, enchaîna l'homme.»
Sans qu'il eut besoin de le répéter, elle ouvrit doucement la portière et descendit avec les mains relevées, comme elle l'avait vu faire. Elle tourna sur elle-même, mais continuait de paniquer. À la vue des armes, Erin perdait tous ses moyens. Dire que d'un seul coup, une seule balle, elle pouvait mourir aussi facilement.
« Avance calmement, reprit-il.»
Elle obéit, chaque centimètre qu'Erin traversait rendait ses jambes un peu plus lourdes. Elle avait un mauvais pressentiment. Après un moment à marcher le plus lentement possible, la jeune femme se retrouvait à quelques centimètres à côté de Kad. Le regard de se dernier était dur, et évitait de la croiser pour ne pas exploser.
« Déshabille toi.»
À cet ordre, ses yeux s'écarquillèrent, et ce fut à ce moment qu'elle comprit que plus rien ne pouvait l'aider à fuir. Même Kad se trouvait en position de faiblesse, et visiblement, il attendait lui-même de voir ce qu'il se cachait sous cette masse de vêtements. Tout, mais jamais ça.
Alors elle resta immobile, les bras rabattus contre ses côtes, fixant d'un regard apeuré le petit groupe, chacun d'eux tenant fermement une arme entre leurs bras robustes. Comment allait-elle survivre, cette fois-ci ?
« Déshabille toi, reprit-il en détachant chaque syllabe.»
« Obéis, gamin, grinça Kad entre ses dents serrées, C'est pas le moment de déconner.»
Cependant, elle n'en fit rien et recula de quelques pas, inconsciemment. Ce geste les alerta, et des balles s'échouèrent près de ses pieds, la faisant bondir en arrière. Le souffle court, elle n'osa plus bouger, alors que les armes furent de nouveau sur elle.
« Ne bouge plus, ou t'auras une belle balle en plein crâne.»
« Luan, arrête, décida d'agir son protecteur, C'est juste un gamin, je le trimbale depuis un moment pour savoir qu'il ne fera rien.»
« Alors qu'il enlève tous ses trucs, répliqua le concerné.»
Mais le brun secoua la tête.
« Il ne le fera jamais, peu importe la menace. Et crois moi, j'ai déjà essayé.»
« J'ai déjà pas assez confiance en toi, pourquoi devrais lui accorder une chance sans même savoir qui c'est ? cracha-t-il dans la direction de la jeune femme.»
« Parce que je ne te laisserai pas faire. Il est sous ma protection.»
Son ton déterminé lui fit un choc. Il semblait résolu à tenir sa parole. Elle était peut-être vraiment en sécurité avec lui.
« Et pourquoi il est sous ta protection ? se moqua l'homme.»
« Parce que ton frère me l'a ordonné.»
Soudainement, un silence prit place, décrivant parfaitement la surprise que ressentait le dénommé Luan.
« Hung ? Pourquoi prendrait-il la défense d'un gosse ?»
Il haussa les épaules.
« Je me pose la même question que toi, mais tu le connais. Rien ne pouvait rester secret avec lui, soupira-t-il, l'air las, les dents serrées.»
Luan fit signe à ses hommes de baisser leurs armes, et en fit de même. Intrigué, il plissa les yeux, les sourcils froncés.
« Qu'est-ce que ça veut dire ?»
« Qu'il est mort il y a quelques heures.»
Contrairement à ce qu'elle s'attendait, l'homme armé eut seulement un mouvement de recul, comme s'il venait de recevoir une inutile petite pierre droit sur le front. La tristesse et la rage auxquelles Erin s'attendait ne firent pas leur apparition.
« Wow... Ça pour une nouvelle, dit-il plus calmement.»
Kad ignora son manque de réaction et reprit:
« Son dernier souhait était de protéger ce gosse, quitte à y laisser ma vie. Tu n'aimais peut-être pas ton frère, mais il n'insisterait jamais sur un point qu'il ne jugeait pas important.»
Serrant les lèvres, Luan réfléchit, les regardant à tour de rôle, avant d'hocher la tête vaguement.
« Très bien, mais vous venez avoir moi. Beck, il se tourna vers un homme en retrait, tu prends le camion jusqu'au QG. Suivez moi, leur dit-il en tournant les talons.»
Rapidement, ils étaient en route vers un endroit inconnu pour elle. Cependant, Erin pensa à ce qu'elle avait appris. Hung avait un frère ? C'était bizarre de croiser deux membres d'une même famille, enfin, comme pour elle et Blake. Cependant, mis à part un air propre aux asiatiques, Luan ne ressemblait aucunement à son défunt frère, c'était d'ailleurs assez étrange, mais peut-être que c'était normal dans le nouveau monde. Elle et son aîné se ressemblaient assez, comme l'avaient toujours dit leurs parents. Mais pourquoi ne l'aimait-il pas ? Et elle était pratiquement certaine qu'ils n'appartenaient pas au même camp, ou du moins, à la même base. Pourquoi se tenir aussi éloigné l'un de l'autre et se détester ?
Après avoir marché au beau milieu de la route pendant toute leur escapade, tournant dans différentes avenues toutes aussi déstructurées, son sauveur prit la parole.
« Vous savez qui a fait ça ?»
« Sûrement les clébards, répondit l'asiatique d'un ton rageur.»
« Personne n'est venu parler au chef d'une éventuelle trahison ?»
L'air méfiant, Luan se tourna légèrement vers lui, tandit que les autres hommes qui les escortaient en se plaçant autour d'eux, resserrèrent leur prise sur les longues armes toujours en main.
« Qu'est-ce que ça veut dire ?»
« Que les chiens ont été libérés un peu partout dans le pays, et qu'ils cherchent à détruire nos relations avec les alliés.»
« Vu la rage de Francesco ce jour là, il y aurait facilement cru.»
« C'est bien le problème. Ils sèment le chaos pour ensuite vous convaincre qu'on est les salauds dans l'histoire.»
« Et Reese t'a envoyé pour faire le sale boulot.»
Kad lâcha un léger rire moqueur.
« Non, j'avais une autre mission...»
Il laissa sa phrase en suspend, laissant le calme, interrompu par les bruits de leurs pas, planer plus qu'il n'en faut. C'était comme s'il se sentait honteux de devoir le dire. Il finit par souffler.
«...Mais j'ai échoué.»
Même en ayant passé moment avec lui, Erin ignorait de quoi il s'agissait. Peut-être qu'il avait renoncé à partir du moment où il se retrouva à Grafton.
« Par contre, Reese a vraiment envoyé des troupes pour s'assurer que les liens étaient toujours solides...»
« Paix à ceux qui n'ont pas eu le temps de s'expliquer avant de recevoir une balle entre les deux yeux, le coupa nonchalamment Luan.»
«...Et ton frère en faisait partie, finit-t-il.»
L'asiatique secoua la tête négativement.
« Mon frère adoptif, nuance.»
Soudain, les choses furent plus claires. Si elle se souvenait bien, cela voulait dire qu'ils faisaient partie de la même famille, mais n'avaient aucun lien sanguin. Est-ce la raison pour laquelle il ne l'aimait pas ?
« Tu as grandi avec.»
« Les liens sont uniquement écrits sur papier. Il ne fait pas partit de ma famille.»
« Il en pensait la même chose, de toute façon. "Maudit soit celui qui abandonne sa famille", sont ses dernières paroles.»
Luan s'esclaffa amèrement à gorge déployée. Aucune joie ne s'y reflétait, décrivant toute sa rancune. Néanmoins, il ne reprit pas et s'arrêta devant un grand immeuble plus ou moins en bon état.
« L'ancien a directement été bombardé. C'est le seul à être assez solide, donc évitez de vous plaindre du manque de place. Bienvenue au quartier général ! déclara-t-il avec un faux enjouement.»
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Le souffle court, elle s'adossa au mur face aux escaliers. Marcher, c'était une chose. Monter des centaines de marches, c'en était une autre. Apparemment, il y avait un moyen plus rapide de monter les étages. Un "ascenseur" selon Luan, mais ce dernier n'était pas seulement hors service. Il avait dévalé les étages à vive allure jusqu'à s'écraser plus bas, ne laissant que les terribles escaliers pour monter ou descendre. Elle se souvenait vaguement de ce que c'était, et aurait voulu passer par lui pour ne pas se fatiguer.
« Où tu l'as trouvé, celui-là ? demanda l'asiatique.»
« Longue histoire, souffla Kad.»
Alors qu'ils traversaient désormais les couloirs, ils discutèrent d'Erin comme si elle n'existait pas, pour ne pas changer.
« Il a quel âge ?»
« Seize, je crois.»
Quinze, voulut-elle corriger, mais un sourire vague se dessina sur ses lèvres masquées. Elle-même commençait à croire à son mensonge. Ce mot la refroidit d'un coup, et elle ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil à son protecteur. La culpabilité finissait toujours par revenir.
« C'est un ado', ça va. C'est quoi cette nouvelle manie de trimbaler les gosses ?»
« Ce n'est que le deuxième, et le dernier, grogna-t-il, Dis moi plutôt comment je vais retrouver Franc.»
« Eh bien...»
Sans qu'il eut le temps de finir, une voix retentit dans les corridors.
« Saloperie de Luan ! Ramenez moi le cul de ce balais à chiotte immédiatement ! Il est où encore ?!»
Kad soupira, légèrement amusé, tandis que l'asiatique se raidit.
« Il n'a pas changé visiblement, ajouta le brun.»
Une porte s'ouvrit à la volée, affichant un jeune homme tremblant et secoué qui marchait tête baissée. À leur vue, il souffla de soulagement et se précipita vers Luan.
« Il est furax, mieux vaut pas le chauffer.»
« Il l'est toujours, soupira l'intéressé en passant à côté de lui pour entrer dans la pièce. Ils entendirent sa voix résonner, Chef ! Nous avons des invités.»
« Parce que tu crois que j'ai le temps de jouer à la dînette ?!»
Le grand brun s'avança, elle à sa suite, sans vraiment savoir si elle pouvait se montrer ou pas, puis s'arrêta à l'embrasure de la porte.
« Et tu dirais non à un bon verre ?»
L'homme avait remarqué sa présence au moment où ils se tenaient à l'entrée. Il eut un mouvement de recul.
« Kad Reagan ! Tu oses encore mettre les pieds sur mon territoire après ce qu'il s'est passé la dernière fois ?»
L'intéressé fit mine de réfléchir, avant de répondre avec un magnifique jeu d'acteur. Il prenait plaisir à jouer, mais vu leur situation, la balle n'était pas dans leur camp.
« Je ne vois pas de quoi tu parles, déclara-t-il en haussant les épaules, faussement désolé.»
L'homme sortit une arme de sa poche, plus petite que celles qu'elle avait vu jusque là. Un "pistolet", si elle se souvenait bien. La question s'écarta rapidement de son esprit lorsqu'il visa la tête du grand brun, toujours aussi calme. Elle comprenait pas comment il pouvait rester impassible dans une telle position ?
« Et mon argent, tu le vois lui ? Parce que moi je le cherche toujours ! T'as fait quoi avec sale enflure ?!»
« J'ai pris du bon temps à Vegas, lança-t-il sarcastique, À ce propos, j'ai encore besoin d'aide.»
Sur ces paroles, il s'empara de la main de Francesco sans ménagement, et la rabattit vers le bas. Il finit par frapper amicalement l'épaule de son aîné, avant que ce dernier n'explose encore.
« Tu crois vraiment pouvoir te pointer, me demander de l'aide pour te barrer une nouvelle fois ?! Je croule déjà sous les charges, merde ! J'ai des tas de blessés, physique et moral, des centaines de morts, des rescapés encore bloqués sous les débris, des déserteurs et y'a même pas la clim'! Alors allez tous vous faire foutre !»
Soudainement, il hurla une injure, donna un coup contre son bureau, puis prit sa tête entre les mains. Kad soupira et se tournant vers le petit groupe qu'elle formait avec les autres hommes, assistant silencieusement à la scène.
« Sortez, ordonna-t-il, Luan, surveille le gamin, ne le laisse jamais seul. Compris ?»
Ce dernier acquiesça, et l'emporta avec lui. Elle eut tout juste le temps de voir Kad tapoter l'épaule de son allié, tandis que ce dernier versait des larmes de rage.