IBRAHIM
Je déteste être malade. Je le suis rarement alors quand ça m'arrive, j'ai l'impression de ne pas pouvoir y survire. Je devrais dire, que je détestais être malade avant mon mariage parce que je n'ai jamais été aussi gâté qu'à cet instant. Pourquoi personne ne m'a dit que le mariage pouvait avoir de très bons côtés ? Par exemple, avoir toute l'attention d'une femme rien que pour soi. Certes il y a des moments beaucoup plus compliqués mais, rien ne vaut les rides visibles sur le front de ma femme à mesure que son inquiétude grandit. Il est trois heures du matin et j'alterne entre des périodes de veilles et de sommeils.
« Tu es sûr qu'on ne devrait pas aller à l'hôpital ? me demande-t-elle inquiète.
- Oui, c'est juste une grippe. Vient t'allonger à côté de moi.
- Tu es brûlant.
- Tant mieux je vais te réchauffer. »
Elle s'allonge et je pose ma tête sur sa poitrine. Je dois sûrement l'écraser mais elle ne dit rien. Je me sens bien, bizarrement j'ai envie d'être malade plus souvent.
« Tu vas attraper mes microbes comme ça, on restera au lit.
- C'est ton plan ?
- Oui, tu me dévergondes.
- Quel hypocrite, dit-elle en riant. Tu es un obsédé.
- C'est toi tu m'obsèdes.
- Tu as réfléchi à la proposition d'Hassan ?
- J'y réfléchit encore.
- Qu'est-ce qui te bloque ?
- Je reste convaincu que c'est trop tôt.
- C'est une occasion qui ne se représentera sûrement pas.
- Tu sais ce que j'aime chez toi ?
- Non, qu'est-ce que c'est ?
- Tu sais comment me parler, je me sens comme le roi du monde. »
AZHAR
Ibrahim a été malade pendant une semaine. Par précaution, je suis restée à la maison ne voulant pas être contagieuse pour Sania et son père. J'ai donc du décaler mon rendez-vous avec sa mère à aujourd'hui. J'ai encore un peu de mal à y croire mais elle a l'air très pressée d'entrer en contact avec moi. Je lui ai donc donné rendez-vous dans le parc où nous nous sommes entretenues pour la première fois. J'étais en avance de dix minutes mais, elle m'attendait déjà.
« Bonjour, me dit-elle nerveusement.
- Bonjour, vous allez bien ?
- Oui merci, je suis un peu nerveuse.
- Avant de commencer, je tiens à vous dire que je ne m'engage à rien après cette conversation. J'accepte uniquement de vous écouter.
- C'est déjà beaucoup pour moi.
- Bien, vous voulez commencer ?
- J'avais huit ans lorsque j'ai rencontré Ryan pour la première fois. Mon oncle qui m'élevait depuis mes huit ans était employé dans une de leurs usines. J'était amenée à le voir chaque année à noël depuis mes huit ans, dit-elle un léger sourire aux lèvres. L'entreprise organisait une réception pour ses salariés. Ryan y venait avec son père qui faisait un grand discours, j'y accompagnais mon oncle. J'ai eu des problèmes durant mon adolescence avec la drogue, ça m'a beaucoup fragilisée. A mes dix-huit ans quand il m'a regardé pour la première fois, je me suis sentie si flattée et intimidée qu'un homme comme lui puisse s'intéresser à moi. Nous avons commencé à nous fréquenter régulièrement et sans que je ne m'en rende compte j'étais totalement à lui. Ryan me poussait dans mes études, il voulait absolument que je décroche mon diplôme. Il prenait du temps pour m'aider dans mes devoirs, il s'impliquait dans mon avenir. Il disait toujours que j'étais intelligente et inspirante et qu'il était fier de moi, son regard s'éteint soudain comme si elle pensait à quelque chose de plus triste.
- [...]
-On devait se cacher. Sa famille ne m'a jamais acceptée et la mienne était éclatée. Mon oncle est mort deux mois avant que je découvre que j'étais enceinte. C'était un choc autant pour lui que pour moi. J'étais très déprimée et affaiblie par le décès de mon oncle mais, nous avons décidé de garder le bébé. Nous voulions nous marier. Lorsque son père a appris que j'étais enceinte, il est devenu furieux. Il nous considérait moi et mon bébé à naître comme des ennemis. Quand Sania est née, la situation semblait s'être améliorée. J'avais emménagé chez ses parents et nous organisions notre mariage. Ryan est partit pour une école de commerce aux Etats-Unis quelques jours après notre mariage. Ses parents ont profité de son absence pour me mettre dehors."
Je comprends qu'elle n'a pas envie d'aller plus loin et je respecte sa décision. Je pense qu'elle dit la vérité mais encore une fois, je me contente de l'écouter.
« - Ils m'ont pris Sania en l'espace de quelques mois. Ils se sont servis de mon passé pour me faire passer pour une mauvaise mère.
- Pourquoi tu n'as rien dit à Ryan ?
- Je me suis retrouvée à la rue. Je n'avais aucun moyens d'entrer en contact avec lui. En mon absence, ils m'ont inventé des liaisons. Ils ont dit que j'était une prostituée et que je me droguais à nouveaux. Ce sont des gens puissants, ils contrôlent une partie de l'industrie du textile. Je ne suis rien à côté d'eux. J'ai sombré après ça. »
Je n'avais pas envie de la juger mais je la croyais. J'avais du mal à imaginer Asma, la mère de Ryan qui a été si gentille avec moi, faire une chose pareille. Peut-être qu'elle n'a jamais été gentille et qu'embaucher une sans papier était beaucoup plus simple pour elle. Ryan est sous l'emprise de ses parents, je l'ai remarqué à plusieurs reprises. Mélina est fragile et elle n'a pas eu une vie facile. Je devine qu'elle ne me dit pas tout, par honte ou par pudeur.
« J'aimerais beaucoup t'aider, mais je ne peux rien faire.
- Tu m'as déjà beaucoup aidée Azhar. Merci de m'avoir écoutée. En dehors de ma psy, tu es la seule à connaître mon histoire. Je me fais aider maintenant. Je veux lancer des poursuites judiciaires pour voir ma fille, même si ce n'est que pour quelques heures.
- Je ne pense pas que ce soit la bonne solution. Tu devrais prendre contact avec Ryan.
- Il ne m'écoutera pas, il me déteste. La dernière fois que nous nous sommes parlés, il m'a regardé comme si...Comme si je n'étais rien.
- Il est conscient que Sania a besoin d'une mère. Je ne dis pas qu'il acceptera tout de suite de te la confier mais, il aime sa fille et il veut son bonheur avant tout. »
J'ai tenté de la convaincre de ne lancer aucune procédure judiciaire pour le moment. Nous nous sommes quittée après cela. Son histoire me touche beaucoup, j'espère qu'elle pourra retrouver sa fille. Sania est tellement en manque de sa maman.
[...]
Youssra rayonne. C'est le premier anniversaire de son bébé et Yûnes est gâté par tous. Nous nous sommes tous réunis dans la maison qu'ils viennent d'acheter. Ibrahim et Mounir ont presque terminé les travaux. La grande surprise a été la venue d'Amine. On avait un peu perdu contact et il m'en veut car je l'ai oublié depuis que je suis mariée à son frère.
« C'est ce jaloux qui t'empêche de m'appeler ? dit-il en désignant Ibrahim.
- Bien sûr que non, c'est moi j'ai oublié.
- J'aurais préféré que ce soit lui.
- Je ferai des efforts, ne m'en veux pas.
- Hum, dit-il sceptique.
- Raconte-moi, qu'est-ce que tu fais mise à part jouer au foot ?
- Je joue à la play, je sors avec des amis.
- Tu as rencontré une fille ?
- Non, dit-il en rougissant.
- Ne me mens pas. Tu as rencontré une fille !
- Ce n'est pas sérieux mais oui, j'ai rencontré quelqu'un.
- Oh, comment elle s'appelle ?
- Elle s'appelle Hina.
- C'est un joli prénom, tu me la présenteras ?
- Ce n'est pas sérieux Azhar. »
J'ai l'impression que ça lui fait de la peine. Il ne me dit pas tout mais, je ne veux pas le brusquer. Youssra me demande d'aller chercher des assiettes dans la cuisine. J'en profite pour chercher mon mari. Je le surprends en pleine conversation téléphonique dans la cuisine.
« Tout va bien ? Qu'est-ce que tu fais ici tout seul ?
- Rien, un détail pour le travail. Tu me cherchais ?
- Oui et je suis venue prendre des assiettes. »
Il prend les assiettes et nous quittons la pièce. Je l'ai trouvé étrange le reste de la journée. Il avait l'air préoccupé. Nous avons quitté la petite fête à minuit. Sur le chemin du retour, Ibrahim est plutôt soucieux. De retour chez nous, son état me préoccupe. Alors qu'il s'est endormit, il reçoit un message d'un numéro non-enregistré. Je n'ai jamais fouillé dans son téléphone mais, le message me laisse sous le choc.
« Ibrahim, je serai à Paris dans la semaine. À bientôt, Yasmine. »
Yasmine ? Pourquoi est-il encore en contact avec elle ?
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