[Vendredi 19 Mai 2023]
— Les œuvres d'art sont permanentes et éternelles, marmonné-je à voix basse pour tenter de retenir cette citation tout droit sortie de ma leçon de philosophie sur l'art.
Assise autour de la table de la terrasse entourée de grandes baies vitrées, je révise péniblement à cause l'écho des voix qui surgit du salon.
Je sursaute en sentant des choses tomber sur moi. Je fronce les sourcils et repère les perles de couleurs briques qui s'abattent sur moi ou sur mes cahiers étendus sur la table. Quand je me retourne, je constate que c'est Jude qui m'envoie les billes d'argile initialement placées au pied du pot à fleurs de ma mère.
— Mais arrête ! Je suis en train de réviser, lui dis-je, agacée.
Noah m'avait averti que Jude passerait à la maison en cette fin de journée. Malgré l'agitation dans le salon, j'étais resté jusqu'ici concentré sur mes révisions.
Du coin de l'œil, je vois Jude s'approcher de moi en boitant sur un pied et se pencher au-dessus de mon épaule pour voir ce que j'écris.
Je referme brusquement mon cahier pour ne pas que Jude voit mes cours.
— Allez, fais une pause Zoé ! Supplie Jude.
— Non, je ne peux pas. J'ai encore 3 chapitres à réviser, précisé-je.
— C'est pour quoi que tu révises ? S'interroge Jude en essayant de déchiffrer les mots écrits çà et là sur mes notes éparpillées sur la table.
— Mon examen de fin d'études, dis-je.
— Hum je vois. Tu as encore du temps. Ce n'est pas le mois prochain ? Questionne Jude en s'appuyant contre la table, les yeux baissés vers les miens.
Déjà 1 semaine que le genou de Jude est maintenu par une attelle qui remonte jusqu'à la moitié de sa cuisse. Aujourd'hui, elle n'est pas visible à cause du jogging ample qu'il porte. Mais sa condition physique est trahie par la béquille qu'il traîne avec lui.
— Oui, le 19 juin précisément. Mais il faut que je prenne de l'avance. J'ai encore tellement de choses à faire, ajouté-je en rouvrant mon cahier pour me concentrer à nouveau sur mon cours.
— Tu as quand même le droit de faire une pause. Allez viens avec nous, insiste Jude, la mine faussement triste.
Il tente clairement de m'amadouer et sa bouche retroussée dans une mine boudeuse me donne envie d'exploser de rire. Mais je ne cède pas et garde le silence, les yeux focalisés sur mes cours.
— Tu m'en veux toujours pour dimanche ? S'émeut-il en écarquillant les yeux.
Je soupire et me laisse retomber contre le dossier de la chaise. Je tente de garder une mine stoïque en croisant les bras contre mon buste.
— Oui toujours, lancé-je d'un ton ferme, faussement agacé.
— Pff menteuse, dément Jude en secouant la tête. On a passé la soirée de mardi ensemble et je t'ai même offert des Twix pour me faire pardonner.
Je lève les yeux au ciel en souriant, résignée à l'idée de conserver une moue agacée. Je dépose mon stylo et repousse la chaise, ce qui fait naître un sourire victorieux sur le visage de Jude.
— Ok, j'accepte. Mais tu as intérêt à me laisser tranquille après ça, le menacé-je en pointant le doigt vers lui.
Je referme mon cahier et me lève de la table de la terrasse couverte. Jude se met à faire un signe victorieux en serrant son poing et repliant son bras.
— Promis, je vais t'aider à réviser la prochaine fois, propose Jude après avoir retrouvé son sérieux.
— J'ai hâte de voir ça !
Un gloussement s'échappe de mes lèvres quand je prends la direction des escaliers pour rejoindre ma chambre.
A peine le temps d'enfiler une tenue correcte sur moi que je dévale à nouveau les escaliers et découvre l'agitation qui se tramait dans le salon. Noah en pleine discussion avec Jude et un autre jeune homme qui est le portrait craché de Jude.
Je marque un arrêt en découvrant ce nouveau visage si familier.
J'imagine que c'est Jobe, le fameux petit frère dont Jude m'a indiqué qu'il serait de passage à Dortmund pour le week-end.
Mais je ne m'attendais pas ce qu'il lui ressemble autant. Pendant quelques secondes, mes yeux balaient entre Jude et son frère, cherchant les différences entre leurs deux visages.
— Enfin, te voilà Zoé ! s'écrie Noah en m'apercevant à l'entrée du salon. J'ai faim, moi !
Le cri d'alerte de Noah détourne mon attention de mon observation. Je roule des yeux et m'avance vers le sosie de Jude qui affiche un large sourire.
— Salut Zoé ! Je suis content d'enfin mettre un visage sur ton prénom, m'annonce Jobe en lançant un regard en coin vers Jude.
Les joues de son grand frère deviennent écarlates et il assène un rapide coup de poing sur le bras de Jobe, comme pour le dissuader d'en révéler d'avatange. Mais cela ne perturbe son petit frère en rien.
— Moi c'est Jobe, se présente le sosie de Jude, la main tendue et un sourire aux lèvres.
Je le salue en secouant sa main.
— Salut Jobe ! Ravie de te rencontrer aussi, lui dis-je. Jude m'a averti que tu es son petit frère, mais je ne m'attendais pas à ce que tu sois plus grand que lui en taille, dis-je sur un ton ironique.
Jobe sourit avant d'observer la mine déconfite de Jude.
— C'est juste de quelques centimètres, peste Jude. Allez on y va, lance Jude en se dirigeant vers la porte d'entrée, d'une attitude rabat-joie.
Nous rions tous en rejoignant la voiture avec chauffeur que Jude a à sa disposition pour se déplacer pendant sa convalescence. A peine installés, nous prenons la route en direction d'un restaurant réputé du centre-ville. Nous arrivons dans un endroit chic, qui bénéficie d'une terrasse donnant sur une fontaine. L'atmosphère est relaxante, avec des bougies allumées sur toutes les tables.
Nous commandons, et nous passons un agréable moment à manger et discuter. Cela me permet de découvre plus amplement Jobe et l'écouter parler de sa formation de footballeur, puisque lui aussi a suivi les traces de son grand frère. Noah semble tout aussi émerveillé par le discours du petit frère, qu'il l'est par les prouesses de Jude.
Nos plats nous sont rapidement servis, mais cela ne vient pas tarir le flot de paroles que nous échangeons.
Du coin de l'œil, j'observe par moment Jude, assis juste à côté de moi. Comme hypnotisée par le curieux spectacle que donne Jude, je ne peux détourner le regard de sa mine renfrognée. Depuis quelques secondes, il tente de se dépatouiller avec les gambas qu'il a commandées. Il semble avoir du mal à les décortiquer à l'aide de son couteau et de sa fourchette, et semble lutter pour ne pas simplement plonger ses doigts dans le plat.
Jude finit par soupirer et tendre la main gauche vers le panier situé au centre de la table, contenant des sachets de sauces et des serviettes désinfectantes. Je l'attrape avant qu'il n'ait le temps de l'atteindre et remarque la stupeur sur son visage.
D'un léger rictus, je lui tends le panier.
— Merci, souffle Jude d'un air reconnaissant.
— Mais ne t'attend pas à ce que je t'aide à manger, le préviens-je d'un ton faussement menaçant.
Jude pousse un rire secouant sa poitrine.
— J'aurais adoré te voir me servir à la bouche les gambas décortiquées, comme les rois dans le temps !
Je le toise du regard, mais je ne peux pas masquer mon amusement en reposant le panier sur la table.
Le temps passe vite, et bientôt il est temps de rentrer. Nous nous levons tous de table, et je sens que j'ai pris une bouffée d'air frais en faisant cette pause.
Je ne m'attendais à ce que Jobe soit aussi à l'aise et simple avec nous. Son caractère est similaire à celui de Jude, bien que plus discret que son grand frère.
Alors que nous retournons vers le véhicule qui est venu nous récupérer, j'observe Jude et Noah se chamailler à quelques pas devant moi.
Jobe marche au même niveau que moi et adopte mon allure. Il rit doucement en voyant les deux de devant qui rigole.
— Ils sont tout le temps comme ça quand ils sont ensemble ? Questionne Jobe en pointant du doigt Jude et Noah.
— Oh oui. J'y ai droit tout le temps. Parfois j'ai presque l'impression que Noah et Jude sont frères.
Jobe émet un bruit de gorge étouffé et arque le sourcil.
— J'ai du soucis à me faire, ironise Jobe .
— Oh non ne t'inquiètes pas. Je t'assure que Jude perd au change avec Noah, plaisanté-je.
Après une bonne rigolade, l'atmosphère se détend entre nous et on poursuit notre avancée vers le véhicule.
— Tu sais Zoé, ça me fait plaisir de le voir sourire comme ça. Jude n'est pas très en forme en ce moment.
Je fronce les sourcils, surprise par la révélation de Jobe. C'est vrai que Jude n'a pas bien pris l'annonce de sa blessure, mais jusqu'ici, il ne m'a jamais avoué mal vivre cette situation.
— Cette blessure lui mine le moral même s'il sait qu'il pourra reprendre avant la fin du championnat.
Je suis surprise que Jobe m'apprenne cela. J'imagine que Jude a choisi de ne pas tout me dire ces derniers jours. Pour preuve, ma tentative échouée pour en savoir plus sur son ressenti.
— Sans parler de son transfert qui le perturbe un peu, ajoute Jobe.
— Transfert ? Quel transfert ? Demandé-je avec stupéfaction, marquant un arrêt dans notre avancée.
— Il ne t'a rien dit ? S'étonne Jobe en s'arrêtant face à moi. Je pensais que vous étiez amis.
— Disons qu'on a mis un peu de temps avant de s'apprivoiser, grimacé-je.
— Hum je vois. Ça ressemble bien à Jude ça. Mais quand on le connaît, il est loyal et authentique, assure Jobe.
Je ne doute pas des mots de Jobe, mais ma curiosité est déjà bien piquée au vif.
— Et donc, cette histoire de transfert ? Je repose la question pour recentrer le sujet de la discussion.
— Ah oui ! En fait, il reçoit beaucoup d'offres de différents clubs. Mais il ne sait pas vraiment quoi faire. Avec mon père, on essaie de le guider au mieux mais ce n'est pas simple, précise Jobe.
— Et ça veut dire quoi concrètement ?
Jobe me regarde comme si un troisième œil a poussé au milieu de mon front. J'ai encore l'air de ne pas trop m'y connaître en football malgré les nombreuses recherches effectuées pour les articles sur le BVB.
— Ça veut dire qu'il y a de très grandes chances pour qu'il quitte Dortmund à la fin de la saison, ajoute-t-il.
Pourquoi je ressens un pincement au cœur en apprenant cette information. Ça ne devrait pas me faire me sentir mal et soucieuse de l'avenir.
Et puis moi aussi, j'ai prévu de quitter Dortmund et continuer mes études aux États-Unis. Nos chemins sont amenés à se séparer, d'une façon ou d'une autre.
Le silence s'installe entre nous alors que nous rejoignons Jude et Noah qui ont arrêté de marcher pour nous attendre. Je souris pour cacher mon trouble et grimpe dans le véhicule stationné au bord de la route.
Sur le chemin du retour, j'observe silencieuse les garçons discuter avec entrain.
Je ne peux m'empêcher de repenser à la conversation que j'ai eue avec Jobe.
Jude va-t-il vraiment partir ?
Je ne me suis jamais vraiment posé la question avant, mais maintenant que j'y pense, l'idée me perturbe plus que je ne l'aurais imaginé.
Et on remercie Jobe de donner quelques infos à Zoé 😅
Je vous souhaite à tous une bonne année !!