[Dimanche 19 Février 2023]
— Alors cette soirée chez Clara ? Demande ma mère en prenant une bouchée des macaronis au fromage qu'elle a préparé.
Je sens mon cœur battre plus vite et mes mains devenir moites, j'ai peur qu'elle découvre la vérité sur l'anniversaire de Karim. Notre traditionnel déjeuner du dimanche midi se déroule en tête-à-tête puisque Noah n'est pas là pour raconter ses dernières prouesses, plus folles les unes que les autres.
Alors je fixe quelques secondes mon plat et prends une gorgée de mon verre d'eau pour me donner un peu de temps pour réfléchir à une réponse.
Ma mère est une militaire, elle sait comment détecter les mensonges et lire l'expression du visage. Alors je fais tout pour garder mon calme, mais mes émotions sont difficiles à contenir.
Je lui réponds du mieux que je peux, sans donner trop de détails sur ce qui s'est passé vendredi soir. Je ne peux pas lui parler du GHB, je ne veux pas qu'elle s'inquiète et prenne en main la situation avant que je ne l'ai démêlé.
Sa mine impassible ne laisse rien paraître. Ma mère finit par hocher la tête en poussant un bruit de gorge étouffé. Je sens ma tension se calmer, je pense avoir réussi à esquiver un interrogatoire trop poussé.
Après le déjeuner, je me mets à débarrasser la table du salon, pendant que ma mère se prépare un café.
— Au fait, je sors cet après-midi. Jude vient me récupérer pour m'emmener voir son match de football.
Elle se retourne brusquement vers moi en levant un sourcil. Le poing posé sur la hanche, l'étonnement marque son visage.
— Depuis quand tu t'entends avec Jude ?
Je suis déstabilisée par sa réponse et tente de garder un visage impassible. Alors je m'occupe en déposant les assiettes vides dans l'évier.
— Pourquoi tu penses qu'on ne s'entend pas ? Demandé-je d'un air désinvolte.
— Je ne suis pas aveugle ! J'ai bien vu que vous vous lancez des regards menaçants à chaque fois que vous êtes dans la même pièce.
Je secoue la tête légèrement et expulse un soupir pour lui démontrer l'erreur qu'elle commet. Je déteste la capacité de ma mère à desceller les pensées des gens. Il est évident que ça ne sert à rien de tenter de cacher des choses à ma mère, mais je suis bien décidée à jouer le rôle jusqu'au bout.
— Non, c'est de l'histoire ancienne ça, tenté-je de persuader ma mère.
Elle hausse les épaules et attrape sa tasse pour humer les senteurs de son café.
— C'est ok pour moi. De toute façon, je ne serai pas là ce soir non plus, ajoute ma mère d'un air détaché.
— Ah ouais. Tu sors avec Denise alors ?
— Non.
— Avec tes collègues ? Demandé-je en haussant ma voix d'un ton.
— Non plus.
Je penche la tête en levant un sourcil. Ma mère n'a pas une tonne d'ami ici, donc je ne vois vraiment pas qui cela peut-être.
— Peu importe. Il reste de quoi manger pour ce soir donc tu pourras te débrouiller en rentrant, ajoute ma mère pour couper court à mes questionnements.
Après avoir fini de débarrasser la table, je monte me préparer. Un message de Jude sur mon portable m'annonce qu'il passera me récupérer vers 16 heures. Le froid de février étant bien présent, je mets des habits assez chaud pour aller au stade.
Dès que Jude m'indique être arrivé, je dévale les escaliers et croise ma mère dans le salon.
— J'y vais maman. À plus tard, lancé-je rapidement.
Je saisis la poignée et commence à ouvrir la porte quand enfin je me rappelle vouloir dire quelque chose de plus à ma mère.
— Au fait, j'ai emprunté ton écharpe bordeaux, dis-je avant de claquer la porte, n'attendant même pas les protestations de ma mère. Elle doit sûrement pester de me voir emprunter ses affaires encore une fois.
Je repère la voiture de Jude devant l'allée de la maison et je sens mon cœur résonner dans ma poitrine plus je m'y rapproche. Je grimpe à l'intérieur sans attendre et zieute Jude d'un regard en biais. Il est habillé d'un ensemble kaki et son regard croise le mien avec une intensité qui me déstabilise.
— Salut, me lance-t-il.
— Salut, lui répondis-je plus timidement.
Je claque la porte et garde les yeux rivés sur la route quand il redémarre. La situation est complètement inédite et je me sens mal à l'aise en sa présence. La musique rythmée accompagne notre trajet sur la route dégagée. Ses doigts sont fermement ancrés au volant et l'odeur de son parfum a envahi l'habitacle de son SUV noir. Une odeur agréable mais vite oppressante.
Je n'ai pas pu mentir à Jude hier soir par message. Je l'ai informé de tout ce qui s'est passé avec Clara et par les messages qu'il m'a envoyés, j'en déduis qu'il est tout aussi choqué que moi. Le silence qui s'installe dans la voiture me pèse et je sens le poids de l'incertitude s'abattre sur moi.
— Alors, c'est quoi ton plan ? Me demande-t-il en détournant les yeux de la route pour me scruter.
— Je veux juste avoir un moment pour parler avec Karim. Mais je ne voulais pas le faire seul à seul. Je ne sais pas ce qui pourrait arriver, précisé-je en baissant les yeux vers mes ongles dénués de vernis.
Depuis hier, une certaine méfiance envers Karim s'est installée. Et plus on approche du stade, plus je sens mon corps se crisper. Jude acquiesce d'un signe de la tête en émettant un bruit de gorge étouffé.
— Je ne suis pas convaincu que Karim ait quelque chose à voir avec cette histoire de GHB, lance-t-il en détournant les yeux vers moi une fraction de seconde.
— Comment tu peux en être sûr ? Tu le connais depuis longtemps ? Contesté-je avec de la force dans la voix.
Jude laisse traîner son regard sur moi au feu rouge, je peux voir l'incompréhension qui s'y lit.
— Non. Mais il a rejoint le club l'été dernier. On a passé quelques jours de vacances à Ibiza avant son transfert. J'ai fait des soirées avec lui, je n'ai jamais rien vu de suspect chez lui.
— Je ne sais pas justement. Peut-être qu'en présence de ses futurs collègues, il s'est tenu à carreau. Tu ne peux pas en être sûre, alors je préfère l'interroger à ce sujet.
— Pourquoi prendrait-il le risque qu'un tel scandale sur lui explose dans la presse ? S'agace Jude en levant la paume de sa main vers le ciel.
— Peut-être qu'il s'en fout du scandale et que c'est sa nature profonde !
Je sens ma poitrine monter et descendre à toute vitesse, mes veines s'injecter de sang. Je me rends compte que la confiance que j'avais créée en Karim s'amenuise d'heure en heure.
— On est regardé par des milliers de personnes, voire des millions. Chacun de nos faits et gestes est scruté. Un scandale est si vite arrivé, et notre carrière peut si vite déraper. Je doute qu'il veuille que cela arrive, ajoute Jude d'une voix maîtrisée.
Je l'avais déjà vu à l'œuvre en interview, être méticuleux avec le choix de ses mots et mesuré sur ce qu'il dit. Mais le voir tenter de défendre Karim de la sorte m'insupporte au plus au point.
— Tu peux avoir tes doutes, mais moi je reste méfiante à son sujet. Je ne lui ferais pas confiance à nouveau, tant qu'il ne m'aura pas prouvé le contraire.
Je ponctue ma phrase en croisant mes bras contre ma poitrine. Le silence de Jude m'interpelle et j'observe du coin de l'œil un sourire amer étirer ses lèvres.
— Et moi ? Tu me fais confiance ? Questionne Jude avec une pointe de curiosité dans le regard.
Je l'observe droit dans les yeux, essayant de déceler ses intentions dans ses prunelles brunes. Pour moi, Jude est comme un serpent. Je ne sais pas à quel moment il pourrait mordre, malgré mes tentatives pour tenter de le déchiffrer.
— Je ne sais pas, lui répondis-je honnêtement. Tu es insaisissable, je ne sais jamais ce que tu penses réellement. Donc pour l'instant, je t'observe.
— Hum, soupire-t-il en hochant la tête.
Pourquoi cherche-t-il à ce que je lui fasse confiance ? Plein de choses restent encore en suspens entre nous, mais je n'ai pas de meilleur allié que lui pour le moment.
Nous arrivons finalement au stade, où une escorte policière nous accueille à l'entrée du parking sous-terrain. De nombreux supporters sont agglutinés devant l'entrée et crient le nom de Jude. Je suis impressionnée par cette attention qu'il reçoit.
Il est si populaire que ça ?
Les flashs des portables et appareils photo éblouissent mes yeux et je lève le bras au-dessus de mon visage pour atténuer la luminosité.
Jude se gare sur une place de parking tout au fond et récupère son sac dans le coffre. Nous marchons côte à côte dans le parking et arrivons à l'entrée de la zone mixte où les membres des deux équipes et la presse ont accès. Quelques personnes sont présentent et scrutent le moindre geste de Jude. Mal à l'aise, je joue avec une mèche de mes longues braids pour tenter de dissiper la gêne.
— Le match commence dans une heure. Je vais contacter Karim pour qu'il te rejoigne dans le tunnel. Tu auras 10 bonnes minutes pour lui parler.
J'acquiesce en silence, me sentant de plus en plus nerveuse à mesure que nous approchons du tunnel menant au terrain. Le bruit des supporters et la tension dans l'air sont presque étouffants.
— Essaie de ne pas trop nous le casser, plaisante Jude. On a besoin de lui pour gagner le match !
Malgré le ton humoristique de sa phrase, les traits de mon visage ont du mal à se dérider. J'acquiesce d'un signe de la tête, n'étant pas tout à fait sûre que je serai capable de contrôler mes émotions en face de Karim. Mais je suis déterminée à essayer.