4 décembre
Contrarié, Chris traînait des pieds pour suivre Cam, Ely, Lise et Lizzie à travers le marché de Noël.
Par bonheur, la foule que le jeune homme avait craint de devoir affronter avait visiblement décidé d'aller ailleurs en ce dimanche matin.
Après avoir acheté une belle écharpe en soie et cachemire fait main...
[Dur de passer à côté de l'info, le chalet était recouvert d'affichettes.]
... Cam s'approche de Chris pour marcher à son niveau.
— Ça ne va pas ?
— Je pète le feu.
— Chris... Si tu penses réussir à masquer tes sentiments, laisse-moi te dire que c'est un échec notable.
De l'index, Cam indiqua les poings serrés de Chris.
— Il y a tes mains, d'abord, ça fait bien un quart d'heure que tu ne les laisses pas tranquilles. Entre les moments où tu tritures ta sacoche et ceux où tu fais ces mouvements étranges du poignet... et tes bras, ils sont un peu trop crispés pour que ce soit naturel...
— C'est parce que si je suis pas concentré, je fais le T rex et j'ai l'air stupide.
— Tu n'as jamais l'air stupide, souffla Cam d'un ton un peu agacé. Ne laisse jamais personne te faire croire le contraire.
Une nouvelle fois, le cœur de Chris dansa la samba. Si ça devenait une habitude en présence de Cam, cela risquait fort de virer problématique.
— Il y a ton bonnet aussi, continua le jeune homme. Tu n'arrêtes pas de l'enlever et de le remettre. Et...
— Ça va ! J'ai compris que tu as compris que je suis contrarié. C'est pas les gens. C'est pas la sortie non plus. C'est vrai, si je pouvais, je rentrerai et je me collerai sur mon PC ou sur mes révisions, mais c'est pas ça. C'est que ça foire toutes mes prévisions !
— Pardon ?
— Lise et Lizzie ! Le marché de Noël de Colmar, ça devait être de nuit la semaine prochaine pour une ambiance romantique, et là... ben là ça va pas !
— Elles ont l'air de plutôt apprécier ce rendez-vous, non ?
Un grognement monta dans la gorge de Chris.
[J'aurais pu admettre que Cam avait raison (parce qu'il avait raison) ; j'ai préféré grogner que je ne voyais vraiment pas en quoi ça se passait bien.
Et honnêtement ? J'ai eu raison de le faire. Parce que Cam a éclaté de rire et s'est mis en tête de me convaincre.]
Le rire de Cam flottait autour de Chris telle une merveilleuse mélodie aux accents de Noël...
[La faute aux Haut-parleurs qui crachaient jingle bells.]
... et quand, après un instant de flottement, le jeune homme lui tendit la main, il la saisit sans une hésitation.
— Ouf ! j'ai cru que tu allais me mettre un vent vu que je t'ai déjà touché plusieurs fois sans te demander ! Pardon, d'ailleurs. D'anciens réflexes que j'essaie de combattre.
— Oh.
Ce fut tout ce que Chris trouva à répliquer. c'est vrai que Cam lui avait attrapé la main à plusieurs reprises depuis le matin. Mais si le geste l'avait un peu dérangé, la chaleur et le bien-être qui en avaient découlé avaient occulté ce léger malaise.
— Ça me dérange pas, tant que tu me fais pas un câlin. Mais et toi ? Imagine si tu croises ton crush, il va croire qu'on est ensemble...
— Je suis sûr à 100% que ça ne risque rien.
— Et...
Chris s'humecta les lèvres.
—... tu vas te déclarer ?
Cam étouffa un petit rire et resserra ses doigts sur ceux de Chris.
— J'essaie, crois-moi. Chaque fois que je le vois. Mais je n'ai pas envie de parler de ça. Tiens, et si... on faisait semblant d'être en couple, ce matin ?
— Mais qu'est-ce que tu racontes ? Hors de question que je t'embrasse ou un truc du genre.
— Je ne...
— Après, si tu veux tester des trucs avec un mec, j'suis pas contre. Mais pas de bisous.
— Tu... Je... quoi ?
[Première fois de ma vie que je voyais Cam bugger. Et bien entendu... je l'ai mal interprétée.]
Les joues rouges, Chris retira sa main, se maudissant d'avoir parlé sans réfléchir.
— C'était une idée comme ça, mais oublie, c'est débile ! C'est ton crush que tu veux, pas moi et... et je te veux pas non plus.
— Tu n'as pas besoin de prendre cette mine renfrognée pour me le dire, s'amusa Cam d'une voix un brin tremblante.
[ Le pauvre, j'ai mis ses nerfs à dure épreuve. Mais il a fait pareil avec les miens !]
— je suis pas renfrogné !!
— D'accord, d'accord ! Et... c'est avec Côle, que tu voudrais être ?
— Je croyais que tu voulais plus parler de lui.
— L'autre soir, 'j'étais énervé. Maintenant, ça va mieux. Et je suis ton meilleur ami, non ?
Chris hocha vigoureusement la tête.
— Alors, tu peux m'en parler. Vous avez rompu parce que tu ne voulais pas, donc, si tu as changé d'avis....
— En fait, j'ai pas changé d'avis. Je veux pas le rencontrer pour de vrai. Mais c'est vrai que je voudrai lui reparler pour... mettre les choses au clair.
— Et voir si vous pouvez repartir de zéro, murmuré Cam d'une voix éteinte.
— Pas forcément, en fait. J'y réfléchis beaucoup depuis qu'on l'a croisé sur E&W et... je crois que j'ai besoin de lui parler pour avancer. Mais... j'ai peur de le faire seul alors... je... tu voudras bien rester à mes côtés ?
— Tu veux que je sois à tes côtés quand tu régleras les choses avec ton ex ?
Hochement de tête.
— Et ces choses pourront mener soit à une rupture définitive, soit un nouveau départ ?
Autre hochement de tête.
Cam soupira.
— Y a vraiment que pour toi que je ferai ça... tu en as conscience, non ?
Interloqué, Chris le regarda furtivement avant de lorgner Lise et Lizzie.
— Non. Évidemment que tu n'en as pas conscience.
— Si. Je comprends juste pas pourquoi.
— Et... tu veux que...
— Regarde !! S'exclama Chris en pointant l'index devant lui.
Instinctivement, il posa la main sur l'avant-bras de Cam avant de la retirer comme si le contact l'avait brûlé. Pendant une seconde, Chris sentit sans l'ombre d'un doute que son adorable voisin le dévorait des yeux. Sans doute était-il gêné de voir un grand dadais de vingt ans comme lui s'émerveiller devant des biquettes.
[Gêné, ce n'était pas tout à fait le bon terme. En réalité, Cam était subjugué et là où mon cœur dansait la samba, le sien dansait la lambada., et, coïncidence que même moi je trouve attendrissante, alors que mes sentiments pour lui avaient grandis le matin même en l'entendant chanter, les siens pour moi avaient explosé à cet instant.
Pour me voir souvent gagater avec Chardon, il n'ignore pas que la mignonitude me touche. Mais il ne pensait pas me voir pétiller comme un gamin alors que je découvrais ma sœur en train de caresser la tête d'un chevreau pendant que Lizzie la prenait en photo sous toutes les coutures.]
— Elles sont trop choux !!
— Qui ? Les biquettes ou les amoureuses ?
— Les biquettes, répondit aussitôt Chris. Ma sœur est tout sauf mignonne.
— Moi, je la trouve plutôt...
Chris braqua le regard sur Cam, la bouche pincée en moue réprobatrice. Aussitôt, le jeune homme le va les mains en signe d'excuse.
— En tout bien tout honneur, je t'ai déjà dit que je n'avais pas de vues sur ta soeur !
— J'ai rien dit !
— Tu m'as fusillé du regard.
— Oh. Pardon. Je voulais pas...
Il n'acheva pas sa phrase. Il n'aurait pas su comment le faire. Il ne voulait pas que Cam le pensât jaloux, pas plus qu'il ne voulait paraître désagréable à ses yeux. Ce qu'il voulait, c'était... c'était...
[Je n'en savais fichtre rien. Honnêtement. Une partie de moi voulait flirter avec lui, reprendre sa main, flâner sur lez marché de Noël pour faire ce rendez-vous que j'avais minutieusement préparé pour Lizzie. Une autre partie voulait le faire avec Côle. Juste comme ça. Juste pour voir si, en le rencontrant, les choses pouvaient bien se passer.
C'était stupide, mais à ce moment-là, je m'imaginais que si avec Cam je m'en sortais, alors avec Côle, ça passerait aussi.
Spoiler alert : Côle reste un con IRL comme IG.]
— Je veux bien, lâche Chris pour rompre le silence gênant qui s'était installé entre eux.
— Tu veux bien quoi ?
— Faire semblant d'être en rendez-vous. Mais attends, on fait pas genre "fake date" et tout, on fait juste style pour profiter, mais on dit bien aux autres qu'on est pas ensemble, hein !
— Ce serait dommage qu'ils pensent le contraire...
— Oui, ils se font vite des idées.
[Non, je n'avais pas saisi l'ironie de la réplique.]
— Ils seraient heureux, tu sais ? De nous savoir en couple.
— Mais si ça parvenait aux oreilles de ton crush, ce serait désastreux !
Chris se tut juste avant de lâcher un "Et je ne suis pas égoïste au point de gâcher tes chances".
Tandis que Cam liait ses doigts aux siens, le jeune homme lâcha une profonde inspiration. La voix de son ami lui parvenait comme de loin. À travers le brouhaha qui commençait à s'installer sur le marché de Noël. À travers les bêlements. A travers les chants. A travers ses pensées.
Cam ne semblait pas rebuter à l'idée de sortir avec un homme. Il avait lui-même admis être bi. Mais Chris devait-il y croire pour autant ? Devait-il se fier aux signes qu'il pensait parfois voir, ou plutôt à son instinct qui lui dictait que tout ça n'était qu'illusion ? Un espoir né du fait de découvrir que Cam aimait aussi les hommes . Un espoir porté par les frissons que chaque touché provoquait ? Un espoir alimenté par ses propres sentiments, que Chris aurait aimé partagé, pour de vrai, pour une fois ?
Mais un espoir galvaudé par la réalité. Cam était son meilleur ami. Cam aimait quelqu'un d'autre. Et surtout... qui pourrait l'aimer, lui, le garçon neuroatypique et mal dans sa peau. Le garçon incapable de se comporter correctement en public. Le garçon qui n'avait jamais rien vu de particulier en se regardant dans le miroir, ni en bien, ni en mal. Le garçon qui n'avait rien d'autre à offrir que ses troubles et ses obsessions.
D'une oreille distraite, Chris écoutait son ami lui raconter à quel point il aimait l'ambiance de Noël, même s'il n'était pas un fada pour autant. Cam s'extasiait devant les décorations peintes à la main. Devant les maisons alsaciennes miniatures transformées en bougeoir. Devant les étalages de pains d'épices qui dégageaient une odeur alléchante.
Il se dirigea vers le chalet le plus proche de l'enclos des chèvres, demanda à Chris s'il pouvait l'abandonner un instant. Chris acquiesça, lâcha sa main à regret et admira son dos alors que Cam se faufilait jusqu'à la table chargée de jouets en bois.
— Il te plaît vraiment bien, hein ?
Le fourmillement agréable qui se répandait dans son ventre explosa dans un marasme inconfortable.
— Me fait pas sursauter comme ça, Ely ! T'es là depuis quand ?
— Je suis derrière vous depuis dix minutes. Tu devrais lui dire.
— Quoi donc ?
— Qu'il te plaît.
— Je veux pas gâcher notre amitié.
— Ça la gâchera pas.
— Qu'est-ce que tu en sais ?
Ely se toucha le nez.
— L'instinct !
Chris lui jeta un regard rapide. Ely semblait heureux d'être là. Un bonnet de Noël enfoncé jusqu'aux yeux, les joues rougies par le froid... et des bois de Rennes au sommet du crâne.
— Tu sais que t'es pas crédible, comme ça ? On dirait le croisement entre Rudolph et le chef des nains du Père Noël.
— Gilbreth. Et c'est un lutin, pas un nain. Et deux hommes ne se reproduisent pas !
— Faux. Tu pourras te reproduire avec Aggy et vous êtes deux hommes, rétorqua Chris d'un air malicieux.
Les deux frères se mirent à rire, l'un de manière plus détendue que l'autre. La conversation dériva sur les paquets que tenait Ely dans les bras. Des sachets gonflés de guirlandes et de santons ainsi qu'un ange argenté. Si Chris n'avait pas hérité du gêne de Noël de leur mère, Ely semblait l'avoir carrément gobé.
Il respirait Noël, il vivait Noël, il mangeait Noël et, Chris en était absolument certain, il dormait Noël aussi. Avec ses achats (et même s'il voulait faire le marché de Noël de Strasbourg en plus, ) Son jumeau prévoyait non seulement de décorer l'appartement qu'il partageait avec Aggy, mais aussi celui de Chris qui roulait des yeux à l'évocation d'un sapin, de magnet sur son frigo et de fausse neige sur ses meubles.
Quand Lise se mêla de la conversation, ce fut encore pire. Les deux adelphes prévirent carrément de transformer Chris en lutin bougon de Noël et avant que Lizzie n'ait pu les stopper, ils s'enfuirent en quête d'accessoire.
— Elles sont pas sérieuses, là ? souffla Lizzie à l'intention de Chris. Enfin, ils.
— Si. Si. J'ai l'habitude. Une fois, elles... ils m'ont déguisé en Rudolphe.
Il serra les poings et rentra la tête dans les épaules.
— Je suis désolé... pour l'autre soir.
— C'est moi qui le suis, j'ai été stupide. Mais quand Lise m'a dit que tu nous suivais, j'ai pas résisté ! Pourquoi vous avez fait ça ?
— Quoi donc ?
— Nous stalker ?
— On a pas fait ça ! C'était ...je... Lise nous a demandés. Ça aurait été creepy sinon.
— Et avoue que tu aimes bien ça, superviser nos rendez-vous.
— C'est mon rôle de Cupidon ! J'ai même volé un marteau à Uriel au cas ou quelqu'un s 'approche de vous pour faire échouer mon plan cupidonnique.
— Houuu, ça rigole pas, alors ! Tu sais, Chris, ça me fait plaisir de voir que même "en vrai", tu gardes ton humour.
— J'allais pas le laisser à la maison, il se serait ennuyé !
Ils se turent un moment pendant lequel Chris chercha ses compagnons des yeux. Cam était toujours devant le même chalet, apparemment indécis. Lise et Ely n'étaient nulle part en vue. Et les biquettes bêlaient toujours.
— On va voir les chèvres ? Enfin, t'y es déjà allé, mais...
— Oui ! Je dois t'avouer que je voulais vérifier leurs conditions de vie. L'enclos est plus grand que la dernière fois, leur cabanon aussi. Et il est écrit que ce ne sont jamais les mêmes, elles ne restent pas plus d'un jour ici. Et tu t'en fiches complètement, c'est ça ?
— N... Non ! bafouilla Chris sans oser la regarder. Mais elles sont trop mimi. Tu savais que Madame le maire en a fait mettre dans les douves de Bergheim ? Pour éviter d'utiliser des tondeuses. C'est une espèce protégée en plus.
En quelques pas, le jeune homme fut au bord de l'enclos. Il retira un de ses gants avec délicatesse, tendu le bras vers une des biquettes. Se figea juste avant de la toucher. Le museau humide recula. Avança. Renifla et finalement, une langue vint lécher les doigts avec application.
Chris éclata d'un rire dégoûté. Lizzie dégaina son téléphone.
— Je t'en supplie, laisse-moi te filmer pour la Team ! Et pour les fans ! Happening au marché de Noël !
Un frisson. Un nœud à l'estomac. L'impression subite de couler.
Et pourtant, Chris accepta. Pour ses amis. Pour tous les enfants qu'ils aideraient. Peut-être un peu pour lui, aussi, pour se prouver qu'il pouvait le faire. Et puis, Lizzie ne lui demandait pas de parler, elle se contenterait de le filmer avec les biquettes. Peut-être en train de marcher, aussi.
— Mais quand Cam me tient la main, tu filmes pas ! prévint-il d'un ton bourru.
— Ça marche, mais alors tu vas devoir absolument m'expliquer cette histoire de main !!