27 novembre.
Assis en tailleur sur le lit de Chris, Cam pianotait sur son ordinateur portable. Il n'avait pas hésité longtemps avant d'accepter l'offre de son ami et de filer chez lui afin de récupérer le nécessaire et pendant ce temps, Chris avait pris sur lui pour se rendre du côté habitation.
[Même si j'adore ma sœur et mes parents, même si j'arrive parfaitement à tenir des conversations, ça n'en est pas moins épuisant. Tant que la conversation dure, ça va, mais sitôt fini, je suis comme un panneau solaire en plein orage : vide et inefficace. C'est la même chose avec les facetime ou les Stream. Tant que je suis dedans, tout baigne, mais sitôt le micro coupé, j'ai besoin de me recharger.
Et ce soir-là, j'avais non seulement tenu une longue conversation avec Lise, mais j'avais aussi passé tout l'après-midi avec Cam. Qu'il parte chez lui pendant quelques minutes me permettait un break salvateur et je n'avais aucune envie de voir ce repos gâché par une rencontre impromptue avec ma famille.
Bien sûr, le meilleur moyen de ne croiser personne aurait été de rester chez moi. Sauf que j'avais fait. Et envie d'un café. D'un latte, même. Et mes placards ne s'étant pas rempli par magie, je n'avais que deux choix : mourir de faim ou prendre des risques.
Et ces risques ont payé !
Bon. Le ronronnement de la machine à café a attiré ma mère dans la cuisine et j'ai été obligé de me cacher dans les cabinets pour l'éviter, mais j'ai tout de même réussi à revenir chez moi avec un paquet de coquillettes, une briquette de béchamel et deux tasses de latte. Et avec Renoncule et Chiendent.
Pauvre Cam. Il allait découvrir que c'était nettement plus drôle de voir des chats sur mon clavier que sur le sien.]
— Chris, faut que je fasse quoi, maintenant ? cria Cam depuis le lit. Le fichier est téléchargé, la barre de progression avance et... je dois juste attendre ?
En train d'égoutter les pâtes, Chris se retourna à demi.
— Non, il reste encore une étape.
— Dis-moi tout !
— Tu poses ton ordi et tu te lèves...
— Euh... ok.
Perplexe, Cam obéit.
— Et après ?
— Tu viens dans la cuisine, et tu vas vers le tiroir de gauche.
Une fois encore, Cam obtempéra, non sans jeter un regard à Chris qui reversait les coquillettes dans la casserole.
[Du moins, une partie des coquillettes. Je ne sais pas comment je me débrouille, mais j'en mets toujours à côté. Elles s'échappent dans l'évier ou sur la gazinière ou même par terre. C'est agaçant.]
— Je ne vois pas bien en quoi ça va m'aider à lancer le jeu...
— Ha, aucun rapport avec le jeu, mais les coquillettes sont cuites. Maintenant que t'es là, prends deux couteaux et deux fourchettes s'teuplaît.
— Et voilà que c'est mon tour de ne pas savoir si tu te payes ma tête ou pas, s'amusa Cam.
— Peut-être bien un peu des deux, rétorque Chris en déposant deux assiettes copieuses. Alors, ce soir, c'est émulsion de coquillettes sur un lit de Béchamel avec son grain de sel en croûte.
Tout en parlant, le jeune homme arrosa le plat de sauce industrielle. Cam l'inspecta, le nez plissé avant de s'assoir et de disposer les couverts.
— Laisse-moi deviner... tu n'as pas la moindre idée de ce qu'est une émulsion, n'est-ce pas ?
— C'est un truc émulsifié, répondit Chris avec aplomb, l'œil rieur. Qu'on a largement le temps de manger vu que le jeu va mettre au moins une heure à DL.
— Une heure à quoi ?
— A DL. Download. Télécharger.
Chris porta une fourchetée de pâtes à sa bouche, et après avoir pris le temps de mâcher et avaler le tout, il reprit la parole.
— C'est quand même étrange, tu es fan des Hunters au point de venir regarder les lives chez moi, mais tu ne connais aucun terme et... tu n'as aucun jeu sur ton PC...
— Tu te souviens de la première fois où je suis venu ? s'enquit Cam de but en blanc.
En face de lui, Chris posa sa fourchette et prit le temps de réfléchir.
— Si je me souviens bien, ta mère avait plus de farine et t'a envoyer en chercher. Et ma mère avait oublié son sachet dans mon sac de courses, donc t'as popé à ma porte pendant un live. Quel rapport ?
— Disons que ce n'est pas tant le live que toi qui m'a fait revenir.
— Moi ? Pourquoi ? Je suis pas tellement le genre de mec avec qui on veut faire ami ami dans le coin, s'étonna Chris.
— Tu devrais vraiment te faire un peu plus confiance. On s'est croisé des tas de fois dans la rue avant, et je ne t'avais jamais vu aussi sûr de toi que ce soir-là. Comme si je voyais deux hommes différents. j'ai cru que j'hallucinais de te voir tellement à l'aise en live... et puis j'ai vu qu'en fait, tu ne te montrais pas. J'ai eu envie de savoir pourquoi, de comprendre pourquoi.
— Ha... je suis une curiosité, en fait.
— Peut-être au début. Et après, en te côtoyant, la façon dont je te voyais à changer, et j'ai eu envie de... devenir ton ami.
— Oh...
— Et c'est ta sœur qui m'a indiqué ta porte extérieure.
— Lise ? Ça m'étonne pas d'elle, soupira Chris avant de recommencer à manger.
— Non, Ellie. Elle s'inquiète pour toi parce que tu n'as pas d'amis... selon elle. J'ai bien vu que t'as trouvé de vrais potes sur E&W.
— Ouep, mes meilleurs amis, on peut dire. Pas besoin de se voir irl pour s'apprécier. Ellie a jamais compris. Bref, j'peux pas lui en vouloir sur ce coup, j'suis bien content que tu sois là.
— Vraiment ? murmura Cam, les joues roses.
— Vraiment, confirma Chris, absorbé par un agglutinat de coquillettes dans son assiette. C'est vrai que c'est pas aussi simple que sur le net. Je veux dire, je peux pas te dire de virer de là quand je sature, mais j'aime bien, je crois. Même si je sais pas toujours quoi te dire.
Cam se pencha en avant, les mains jointes sous son menton, et son sourire ravi déstabilisa Chris.
— Je suis habitué à tes silences, ça ne me gêne pas.
— Bourbe ! On dirait un vieux couple qui parle, s'exclama Chris pour dissiper sa gêne.
— La tristesse ! Vieux sans avoir été jeune et en couple sans même s'être embrassé ! Faut y remédier !
— OK !
[Plus tard, Cam m'a avoué que son cœur s'était arrêté à cet instant. Qu'il avait cru, pendant un instant, que j'acceptais vraiment de l'embrasser, lui. Et qu'il n'avait pas saisi pourquoi j'acceptais vu mon état émotionnel.
Parce que mon adorable voisin avait compris que Côle était le plus gros frein à son envie de me séduire. Il avait aussi compris, bien avant moi, qu'il ne me laissait pas indifférent et qu'il allait en suer pour m'ouvrir les yeux. Qu'il allait en souffrir à chaque fois que mon déni parlerait à ma place.]
— OK ?
— Mais ça va être dur vu que je sais pas sur qui tu crushes !
— Evidemment... tu as du chemin à faire encore, n'est-ce pas ?
Chris ouvrit la bouche pour lui répondre, mais Cam ne lui en laissa pas l'occasion.
— Ce n'est pas grave, j'ai un plan !
— Je ne suis pas sûr de comprendre ?
— Je sais, t'entrave que dalle, comme dirait ta sœur. Mais tu sais quoi ? C'est un challenge que je me fixe. Et mon deadline... ce sera le jour où Lizzie embrassera Lise !
— Euh... d'accord ? Tu as besoin d'aide pour ce... challenge ?
— J'ai besoin de toi, c'est certain.
— Faut que je fasse quoi ?
— Que tu sois toi. Juste toi.