27 novembre
21 h 00. Satisfait, Chris recula sa chaise de bureau et heurta Cam, penché par dessus son épaule. Il se leva si brusquement qu'il faillit recommencer derechef.
— Bourbe, pardon !
Un frisson le parcourut. Cam se trouvait si proche de lui qu'il pouvait sentir sa chaleur. Ou bien rêvait-il ?
— T'inquiète... alors, on est bon ?
Chris se racla la gorge et se rassit sur son fauteuil.
— Je crois, ouais.
— Comment ça, tu crois ? T'as fait un boulot de dingue cet aprem...
[Grâce à lui. Honnêtement, s'il n'avait pas occupé Chardon et Chiendent (Lise avait réussi à capturer sa chatte et à la garder dans sa chambre), jamais je n'aurais eu la possibilité de me concentrer. Mais mon casque anti-bruit sur les oreilles, je n'avais été que partiellement dérangé par les courses-poursuites, les miaulements et les roucoulements. Et à aucun moment, un chat n'était venu se coucher sur mon clavier, ni jouer avec ma prise éléctrique.
Le seul moment qui m'avait déstabiliser, ça avait été quand j'ai bougonné que je devrais engager Cam à temps plein en temps que Catsitter... et qu'il avait explosé de rire.
Son rire m'avait chatouillé l'estomac et chauffé les joues. Par bonheur, je lui tournais le dos et j'avais pu me concentrer sur le programme de Noël de la communauté de commune sans que Cam ne se doute de rien.]
... Je... je ne savais même pas que tu étais capable de te concentrer autant que ça pour autre chose que le gaming !
— Ouais, apparemment, j'ai autre chose que des pixels dans le crâne, ricana Chris.
— Je... ce n'est pas ce que je voulais dire ! C'est juste que je t'ai toujours vu pendant tes Streams et... j'adore découvrir de nouvelles facettes de toi...
Chris toussota sans savoir quoi lui répondre.
— Bref, reprit Cam. Pourquoi tu n'es pas sûr de toi ? Tu as épluché toutes les activités et sorties possibles ! Franchement, avec un tel programme, c'est obligé que Lizzie craque !
— Alors, oui, c'est vrai, mais... encore faut-il réussir à l'hameçonner au départ.
— Tu vas trouver, je te fais confiance. Tu sais étrangement y faire tant que ça ne te concerne pas.
— Tu sais ce qu'on dit... les Cupidons sont les plus mal cupidonné !
Cam éclata encore de ce rire chatouillant, et Chris ferma les yeux pour resté concentré.
— Personne ne dit ça, gloussa Cam.
— Ben maintenant, si ! Et en parlant de cupidonner les autres, tu sais que si tu avais besoin, c'est avec plaisir que je t'aiderais ? Je fais pas de SAV, par contre.
Malgré son apparente assurance, Chris ressentit un léger pincement au cœur. Sans doute qu'il avait passé trop de temps en présence de Cam ces derniers-jours ; il commençait à vraiment s'attacher à son jeune voisin.
— Ca... ne te poserait vraiment aucun problème de me caser avec quelqu'un ?
Chris se retourna, surpris de l'amertume qu'il perçut dans la voix de Cam.
— Tu es mon ami, alors... normal que j'ai envie de te voir heureux...
Cam se troubla, déglutit et remonta ses lunettes avant de les enlever. Le doute s'empara de Chris.
— Attends... on est bien ami, non ? Tu traînes pas chez moi juste pour obtenir quelque chose à cause de ma notoriété ou je sais pas quoi, hein ?
— Tu as donc si peu confiance...
[Quand les phrases commencent comme ça, c'est rarement bon. En général, la personne pleurniche ou se plaint : "Mais comment oses-tu ne pas avoir confiance en moi ?" comme si c'était là l'outrage suprême. Et moi, je culpabilise de m'être mal exprimé et d'avoir échoué à faire passer mon message.
Avec Cam... je ne sais pas. Un vent de panique à affolé mes neurones et j'ai préféré lui couper la parole plutôt que de le décevoir. Ou le vexer. Ou le contrarier.]
— En toi ? Non, je...
[Il faut croire que le vent de panique soufflait aussi chez Cam puisqu'il fut aussi prompt que moi à me couper la parole. Si quelqu'un nous avait observé... il aurait vu deux empotés incapables de se parler à cœur ouvert et aurait eu envie de les secouer un peu.
Lise a eu plus d'une fois envie de me secouer pendant le mois de décembre, et pas à cause de mon magnifique programme cupidonnesque !]
— J'allais dire "en toi", Chris. Tu es bien plus qu'un avatar sur un jeu vidéo. Bien plus que des mains sur un clavier. Bien plus qu'une voix dans un micro, même si j'adore regarder tes mains et écouter tes commentaires. C'est pour toi que je suis ton ami, pour la personne que tu es ! Avec tes manies, tes bizarreries, tes rires, pour ces fois ou tu chantonnes quand tu crois que je dors, pour... pour tellement de chose... tu es quelqu'un de passionnant et c'est pour ça que je... que je...
Le temps se suspendit. Chris n'osait plus bouger. Il n'était pas certain de ce qu'il devait comprendre derrière ce discours. Des yeux, il chercha Chardon, espéra un moment que le chaton pourrait servir de diversion... mais non. Le félin ronflait doucement dans un nid de guirlandes que Lise n'avait finalement jamais installées.
[J'étais complètement terrorisé, en vérité ! Et pour une raison toute simple. Côle m'avait tenu un discours similaire pour me séduire. Il ne cessait de me répéter à quel point j'étais passionnant, que le garçon derrière l'écran valait tellement mieux...
Son côté bad boy en public, coeur tendre en privé me faisait fondre autant que ses discours.
Mais lors de notre rupture, seul le côté "bad" est resté.
Côle m'a balancé des horreurs. D'abord en facetime, puis en message. Je ne l'ai écouté que d'une oreille, lu que d'un œil, persuadé que ses mots glissaient sur moi sans me faire le moindre mal.
J'avais tort, bien sûr. Ses mots m'ont empoisonné. Ils ont ébranlé le peu de confiance que j'avais en moi et ont teinté ma perception d'un goût de trahison.
Alors, oui, j'étais terrorisé d'entendre Cam proférer ces mots. Terrorisé à l'idée qu'il ne soit pas sincère avec moi. Terrorisé à l'idée d'avoir abaissé mes barrière dans la "vie réelle" pour quelqu'un qui voulait se payer ma tête.
Bien sûr, Cam n'a jamais fait partie de la catégorie "virilité toxique". Au contraire de Côle, ces mots, il les pensait vraiment. Il les vivait.
Et si nous n'avions pas parlé de mon imbécile d'ex quelques heures plus tôt avec ma sœur, sans doute qu'il m'aurait avoué ses sentiments. Et je me serais braqué.
Non, vraiment, que nous soyons ensemble maintenant tient plus du miracle que d'autre chose !]
— ...suis ton ami.
Un soupir de soulagement filtra entre les lèvres de Chris, qui se laissa aller à rire. Dans son couffin de fortune, Chardon sursauta et secoua la patte avant de rouler sur le dos, toujours endormi.
— La vache, pendant un moment, j'ai cru que t'allais me faire une déclaration d'amour ! souffla Chris.
Cam recula d'un pas, visiblement surpris par la réaction de son ami.
— Je ne crois pas que ça aurait été une bonne idée, finit-il par murmurer avec un demi-sourire.
— Quoi ?
Chris se tourna vers Cam qui s'humectait les lèvres. Son voisin semblait mal à l'aise. Contrarié.
— Ce midi, avec Lise... quand tu as parlé de Côle... Je suis désolé, Chris, j'aurais dû voir que tu n'allais pas bien.
— Pourquoi ? On était moins proche et tu étais avec Sand...
— C'est vrai, l'interrompit Cam. Je suis content sur notre relation évolue.
Chris resta interdit quelques secondes avant d'esquisser un sourire.
— OK. Donc, le sujet des ex est tabou des deux côtés. Hey... tu m'aides à ranger un peu ? Si je laisse ça comme ça, je retrouverai des miettes de guirlandes et de boules demain matin.
Joignant le geste à la parole, Chris se leva pour aller recueillir Chardon dans ses bras avant de l'installer bien au chaud dans un plaid. Puis il entreprit de ramasser les décorations qui trainaient ça et là. Cam le rejoignit aussitôt et ne tarda pas à briser le silence :
— En fait... le sujet n'est pas tabou pour moi, c'est juste que je préfère parler de toi que de Sandra. Je te l'ai dit... je n'étais pas amoureux.
— Oui, tu crush sur quelqu'un d'autre, enchaîna Chris en rangeant un sac dans l'armoire. D'ailleurs, vu qu'on devient vraiment ami... va falloir que tu me répondes : elle est joli ?
Cam se concentra sur le démêlage d'une guirlande de perles.
— Très.
— Elle est comment ?
— Cheveux teint, assez court. Un tatouage. Des yeux gris à tomber. Plutôt introverti, et un peu lunaire.
— Mon double féminin, s'amusa Chris. Ca veut dire que si j'étais une fille, je pourrais te plaire !
— Ou si j'étais bi...
Cam lança un clin d'œil à Chris. Déstabilisé, le jeune homme s'autorisa (et se força) à dévisager longuement son voisin qui rangeait la guirlande dans une boîte en bois.
— Quoi ? finit par demander Cam, mal à l'aise.
— Je... j'ai du mal à déterminer quand les gens en face de moi plaisantent ou sont sérieux, avoua Chris, confus et gêné.
— Sérieux ?
— Ouais...
— Donc, là, tu sais pas si je plaisantais ou non ?
— J'en ai pas la moindre idée. Quoique... vu que moi, je blaguais, j'imagine que toi aussi ?
— Ça dépend, tu préfères que je blague ou que je sois sérieux ? s'enquit Cam, malicieux.
Chris bredouilla quelques mots incompréhensibles. Ses doigts cherchèrent son cube dans sa poche, ne le trouvèrent pas. Il se frictionna le visage avec vigueur, troublé.
— Calme-toi, Chris, je te taquine ! Mais merci de me l'avoir dit, je comprends mieux certaines choses.
Cam resserra son chignon avant de s'éloigner vers le coin repas.
— Au fait, tu as pas de réunion prévue avec ta Team, ce soir ?
— Nope, les lundis matins, Py travaille tôt. Ça tombe plutôt bien parce que du coup, j'ai un jour de plus pour réfléchir à comment aborder Lizzie sans lui donner envie de me rencontrer, moi.
— Elle veut déjà te rencontrer, je crois que tu n'y couperas pas...
Chris grimaça.
— Je veux y croire quand même.
[Cam avait raison. Je n'allais pas y couper.]
— OK OK... et sinon, qu'est-ce que tu dirais de profiter de cette soirée sans Stream pour me parler un peu plus de toi ? J'ai très très envie de mieux comprendre le mystérieux et fascinant Chris Entaime. Et je ne plaisante pas !
— Je veux bien, accepta Chris après un moment de réflexion. Mais seulement si tu viens faire une partie de E&W avec moi !