« Ne renonce jamais à aimer, malgré les épreuves et l'aridité du cœur. L'amour est la grande force qui soutient l'univers ; sans lui, le monde vivrait un éternel hiver. »
Sagesse Amérindienne
Tout le reste de la semaine, je le consacrais à mon travail puis je rejoignais mamie au ranch. Nous avions discuté et épuisé nos stocks de larmes. Je me sentais juste bien là-bas. Je croisais de temps en temps Jayden. Il semblait bosser deux fois plus accomplissant des activités qui ne lui incombaient pas. Je passais également des moments avec mon grand-père, il était revenu pour moi, son histoire faisant écho à la mienne. Il me rassurait dans mes démarches m'expliquant que lui n'avait jamais connu ses parents biologiques. Ce vide-là, je ne l'avais plus totalement maintenant. Je savais. Même s'ils ne demeuraient plus là. Je pouvais mettre un visage sur des prénoms, des mots sur mes origines, des réponses à mes questions.
La fin de ce samedi après-midi arriva rapidement, le temps s'arrêtait auprès de nos ainés. Les touristes ne se bousculaient pas ce week-end, ma grand-mère me congédia très vite. En sortant du ranch, Jayden se dirigeait vers le ponton. Un petit bateau de plaisance était amarré. Je l'observais en catimini, il commençait à charger quelques sacs et une canne à pêche. Comble de tout, je devais engager la conversation en premier.
— Tu vas vraiment pécher ?
No comment. C'était lui le pro des entrées en matière, la mienne pour le coup n'était pas brillante, mais il réagira forcément.
— Oui, ça me détend. Je te l'ai déjà dit, répliqua-t-il sans un regard soulevant cette fois une petite glacière.
— J'ai beau chercher, je ne connais pas de pêcheurs sexys célèbres.
Ce n'était quand même pas l'activité préférée des jeunes de vingt ans ! Haussement d'épaules, pas de réponse, ce n'était pas bon signe, si je voulais savoir ce qui le tracassait je devais poursuivre.
J'aurais pu lui demander s'il avait besoin d'aide, non ? Sérieusement, je me trouvais ridicule, j'allais faire quoi franchement, mettre l'asticot sur l'hameçon ?
— Je n'ai jamais pêché, je peux t'accompagner ?
Mieux, plus direct et efficace. J'allais être fixé ou mourir de honte, je détestais ça, qui pouvait aimer cela d'ailleurs...
— Je préfère être seul, une autre fois peut-être, désolé.
Lila game over, KO. Et il évitait toujours mon regard.
— Entre nous, on sait tous que c'est toi qui parles le plus et vue comment c'est parti, je resterais muette promis.
Chasse le naturel, il revient au galop. Ses yeux se posaient finalement sur moi, son visage solennel difficilement gérable.
— Tu ne peux plus te passer de moi toi aussi ?
Malicieux et malin, il maîtrisait parfaitement les mots pour me faire fuir.
— Bon aprèm, Jayden ! lui répondis-je sèchement. Avant même de tourner les talons, enfin les baskets pour être plus précise.
Franchement, je ne savais pas ce qu'il m'avait pris, un élan de bonté, un moment d'égarement ou une incapacité à rester seule. Et à dire vrai, sa présence demeurait la moins pire de toutes. Bref, ma grand-mère trouva le moyen d'arriver à ce moment précis. Timing des Bradley !
— Oh chérie, tu sors, super, ça va te faire du bien de te détendre. Merci beaucoup, Jayden, tu es adorable.
Le principal concerné se décomposa. Je sautai sur l'occasion pour monter à bord sous le regard désespéré de mon hôte, Lila de retour dans le game. La curiosité plus forte que la fierté pour l'instant !
— Oui, effectivement, il est A.D.O.R.A.B.L.E.
Nous quittâmes la terre ferme sous les au revoir chaleureux de mamie Ellen.
— Franchement ta famille est quand même vachement présente, marmonna-t-il enfin.
Je l'observais piloter l'embarcation avec aisance.
— Je t'avais dit que tu te lasserais vite, je te voyais plus tenace que cela, quinze jours, petit joueur.
— Je tente simplement une mini trêve et me retrouvais seul avec toi au milieu de nulle part...
Il soupira sans réussir à terminer sa phrase, quelque chose clochait.
— Contrarié ?
Il ne répondit pas et je ne savais plus comment lui tirer les vers du nez !
— Ce n'est pas bon de garder les choses pour soi, tu vas enfler. Plus sérieusement, quelque chose te tracasse ? J'ai fait ou plutôt dit quelque chose de mal ?
— Tout ne tourne pas autour de toi, Lila.
OK. Charmant. Effectivement cela n'avait pas l'air de me concerner. Un long silence prit place, il réussit toutefois à trouver le lieu idéal.
— Tu veux vraiment essayer ?
— Heu, non merci, je regarde seulement.
Il en profita pour sortir ses équipements. N'insiste surtout pas hein ! Heureusement, la journée était magnifique. Nous jouissions d'une vue imprenable sur le ranch familial au loin et les montagnes de l'autre côté. Un peu de calme et de tranquillité. C'était le lieu idéal pour écrire, chacun vaquait à ses occupations. Je sortis mon petit carnet et mon stylo amérindien. Jayden me lança un regard glacial et continua à pêcher. Ce mec était peut-être vraiment un serial-killer...
Chayton,
Si tu savais tout ce qu'il m'arrive en ce moment, ma vie est digne des films que tu affectionnes ou des polars que tu raffoles. Enfin, pas de meurtrier en vue non plus, le polar ne me semble peut-être pas la bonne référence, quoique ? Une histoire remplit de rebondissements, de secrets de famille, un mélange de Star Wars et des feux de l'amour. Mon père est décédé, je veux dire mon père biologique, Ash se porte bien, pour l'instant, il est avec Pocanhotas ou Raiponce, donc ça devrait aller pour lui. Quant à Isaac, il souffrait d'addiction, il est mort de chagrin, c'est possible ça ? Assurément. Je ne sais pas ce qui me déçoit le plus. Qu'il ne se soit pas battu pour moi ou que sa famille l'ait totalement laissé seul dans sa douleur. Peut-on vraiment sans sortir seul ? Le corps médical a accompli sa part, parfois cela dépend même plus d'eux. Bref, j'aurais tellement à te raconter...
Mais finalement, comme dirait quelqu'un que je connais depuis peu, dans le mauvais il a toujours du bon. Je ne sais pas si c'est ces événements complètement fous ou le hasard, mais j'ai en fin de compte ouvert ma porte. Enfin entrouverte, et je crois qu'il est entrain de me la claquer au nez ! Bref, Jayden, il n'est plus aussi horripilant, il m'a été d'un grand soutien. Pourquoi lui ? Je n'en sais rien, tout me semble plus facile avec lui. J'espère que tu as quelqu'un près de toi, quelles que soient les épreuves que tu vis...
Mince, je dois te laisser, j'expérimente la pêche, non je n'ai pas totalement craqué, et oui finalement il y a bien un meurtrier ici ! Hors de question qu'il torture ce pauvre poisson.
À bientôt, ton amie Lila.
PS : Je ne me suis pas mise à l'art de rue, les graffitis c'était Jayden, il a tendance à toucher ce qu'il ne devrait pas !
PS 2 : Tu n'as toujours pas trouvé de pigeon voyageur, tu me déçois un peu là...
Je jetai mes affaires dans mon sac et me leva d'un bond. Urgence extrême. D'habitude rien ne pouvait me faire sortir de mes écrits. Mais là, un poisson frétillait sous mes yeux et ce n'était pas de joie.
— Heu, tu comptes le garder ?
Jayden sursauta, se débattant avec l'hameçon afin de le retirer de la tête de cette pauvre bête.
— C'est un peu le but non ? Après on le prépare, on le fait griller, on le mange...
Je me grattai le crâne, vite, que dire ? Que faire ? Je détestais voir un être vivant souffrir.
— Attends, je vais t'aider, proposai-je, en m'approchant maladroitement et essayant de mélanger mes mains aux siennes.
— Lila, qu'est-ce que tu fabriques ? Doucement...
Le pauvre animal finit entre mes doigts malhabiles et m'échappa malencontreusement avant de filer sous l'eau. Mission sauvetage réussi !
— Mince désolée.
— Franchement, tu es aussi discrète qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine.
— Je ne pensais pas que cela me ferait autant de peine, me justifiai-je.
— Finalement, tu as un cœur, bonne nouvelle !
— Très drôle.
Il semblerait que mon petit manège l'avait attendri, il souriait à présent et c'était vraiment agréable de le retrouver.
— Je vais ranger tout ça et nous préparer un truc à boire et grignoter.
— La bouffe, c'est un peu notre calumet de la paix.
— File t'asseoir sur la banquette en bois, heureusement que l'on ne possède pas de calumet, tu aurais déjà mis le feu au bateau.
Mouais agréable, pas encore totalement. Je l'écoutais et me retrouvais très vite dans ma bulle avec quelques petits regards (in) discrets tout de même. La semaine se terminait avec douceur. Malgré ce que j'avais pu penser, mes parents même à distance étaient d'un soutien inestimable. Je recevais des messages tous les jours, des appels visios quelques fois également, chacun se rétablissait à son rythme de cette sinistre nouvelle et les liens qui nous unissez été plus fort que tout. En dépit de mon caractère d'ours mal léché, la rancune ne faisait pas partie de mes défauts. Par contre, il me semblait essentiel d'en parler avec eux. Ils répondaient à chacune de mes interrogations aussi complexes que banales. Note pour plus tard, si tu prônes la communication et la parole libre à tes enfants soit prêts à l'assumer. Restera ensuite à endosser le retour de bâton, dans mon cas c'était plutôt un retour d'enclume. Mis à part ce pan de ma vie, j'avais été élevé dans la transparence la plus totale. Nous ne ressentions aucune difficulté à exprimer nos sentiments, nos envies aussi. Et conclusion ultime, les parents parfaits n'existaient pas.
— À qui penses-tu ou à quoi ?
Jayden et ses questions directes, limites malaisantes. Heureusement qu'il ne me l'avait pas posé quelques minutes avant, quand j'observais ses épaules carrées aux rayons X. Je le visualisais me répliquer : « Tu connais des supermarchés sympas toi », mais non, rien à voir avec un magasin ressemblant à un sexshop...
Je me rendais compte que depuis les silences de Chayton, ça pouvait devenir le titre d'un téléfilm d'ailleurs, j'avais tendance à inventer les réponses qu'il pouvait me dire, maintenant je le faisais avec Jayden aussi. Je m'imaginais mes propres scénarios, bien moins originales que les créations Netflix, c'était sûr.
— À mes parents, je ne me trouve pas encore au stade de rire de tout ce que j'ai pu découvrir. Mais je reste contente de pouvoir compter sur eux.
Je crois que j'étais vraiment sous le charme de son sourire, j'observais ses lèvres fines s'étiraient et j'avais du mal à me faire à l'idée de ce que j'éprouvais. Il m'avait manqué. Sa courtoisie pendant une semaine sans pique et sans moments ensemble m'avaient manqués. Était-ce parce qu'il demeurait peut-être mon seul espoir de connaître ce qui se passait à la réserve ? Était-ce l'unique raison à ce que je pouvais ressentir ? D'un autre côté, comment me confier sur cette partie de ma vie ? Franchement, avec mes histoires, je risquais de le voir fuir à des kilomètres et bizarrement je ne le souhaitais plus. J'allais devoir être rusée sur ce coup et rapidement effectuer ce que je maîtrisais le mieux, remettre mes piques de hérisson. Et surtout me concentrer sur l'essentiel : retrouver mon ami.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu me regardes comme si tu désirais me demander quelque chose ?
OK, soit il possédait des pouvoirs extralucides soit il bluffait très bien.
— Comment peux-tu le savoir ?
Les verres posaient sur la table, il s'arrêta un moment.
— Appelle cela comme tu veux, de l'observation, de l'intuition aussi, mais quand tu t'intéresses vraiment aux autres, tous tes sens sont en éveil et tu peux découvrir des choses surprenantes, il suffit de bien les écouter.
Mes piques tombaient à vue d'œil, encore une phrase comme celle-là et j'allais ressembler à une tortue, puis à un petit panda roux tout doux...
Bonsoir ! Une semaine de repos ou j'ai pu trouver le temps d'écrire. Je me rends compte que mes premiers jets manquent cruellement de descriptions, j'en suis désolée. J'arrive toujours à les insérer et les travailler au second jet :(
Je souhaite pour l'instant avancer dans la phase de création. Poser mes idées, mon projet, pour certaines vous attendez la suite depuis longtemps. Vous en aurez les grandes lignes. Merci pour vos encouragements à poursuivre :) N'hésitez pas à me faire par de vos avis, commentaires, cela me servira toujours pour la phase de réecriture ;)
Bonne soirée à vous ! A bientôt j'espère...