Magnifique. Et très drôle. Il aurait aimé pouvoir revenir en arrière rien que pour voir cette tête encore et encore. Elle avait été tellement choquée de le voir. Après tout, c'était grâce à lui si elle s'était retrouvé sur cette falaise. Là où elle avait fait le grand plongeon pour se retrouver dans un monde qui lui était totalement inconnu. L'humain en lui avait un peu pitié pour elle (et encore, le mot était fort). Mais le démon s'en moquait comme de sa première toilette.
Malheureusement, il était attendu par le roi. Il n'avait pas le temps de l'observer avec cet air choqué. D'un autre côté c'était préférable. Quand elle reprendrait ses esprits, elle risquait de lui demander des comptes et il n'avait pas le temps pour ça. Il se contenta donc de sourire légèrement puis de reprendre son chemin. Il continua vers l'escalier de la tour qu'il descendit entièrement, traversa ensuite les cuisines, saluant au passage, Flania, la cuisinière, et ses commis. Il déboucha dans le hall d'entrée et fila tout droit pour arriver devant la salle du trône. Le roi l'avait voulu au rez-de-chaussé pour que même les personnes ne pouvant plus se déplacer seules (ou très rarement) puissent venir le voir, sans avoir à affronter d'interminables marches.
Patiemment, il attendit qu'un garde l'annonce pour entrer. Il foulait la terre des hommes depuis de très nombreuses années et avait appris à vivre selon leurs coutumes, même si parfois - souvent - il les trouvait trop pompeuses et longuettes.
Arrivant face au trône, il s'inclina, une main sur le coeur :
- Aina Ariea Votre Majesté.
- Aina Ari mon cher Alastyn. Désolé de vous avoir dérangé. Mais j'aimerai vous demander une faveur.
- Vous ne m'avez en rien dérangé, Majesté, et je serais heureux de vous aider.
- Très bien. Très bien, acquiesça le roi. Mais tout d'abord, je voudrais savoir : sais-tu qui est cette jeune femme qui vient d'arriver ?
Alastyn sourit intérieurement. Le roi avait toujours été si perspicace. Il avait deviné d'où elle venait et qu'il en était responsable. Lui, et Elle.
- Elle m'a parlé en songe. Pour me dire que je devais aller chercher son successeur. Qu'elle était prête. J'ai donc médité afin de projeter mon esprit auprès d'elle. Elle était à une sorte de fête. Très vulgaire de notre point de vue, mais plutôt sobre du leur. J'ai tout fait pour attirer son attention. Après l'avoir capté, j'ai usé de mes pouvoirs pour la faire venir là où Elle le voulait. Ensuite je suis revenu et je l'ai laissé faire. J'aurais dû la chercher mais Merle et Ikar m'ont devancés.
Le roi hocha la tête.
- Elle va probablement t'en vouloir de l'avoir emmené loin de chez elle. Cependant, je voudrais que tu restes auprès d'elle. En tant que protecteur, et que tu la guides dans son apprentissage du combat. Je doute qu'elle sache tenir une épée. Et peut-être n'est-elle même pas au courant des pouvoirs dont elle dispose. Il va falloir tout lui apprendre. Merle et Ikar le feront aussi, mais toi seul peux réellement la protéger. Si vraiment elle est Son élue, elle va avoir besoin de protection et de préparation.
Alastyn baissa la tête en signe d'assentiment mais au fond de lui, ça ne lui plaisait pas de suivre cette jeune fille comme un chien. Même s'il devait lui apprendre des choses, il n'aimait pas passer trop de temps en présence d'un humain. Le seul dont il acceptait la présence constante était le roi. Les autres ne représentaient que des mouches pour lui. Grouillants un peu partout. Mais puisque c'était une demande du roi, il s'exécuterait et préparerait la jeune femme à ce qui l'attendrait - et affronterait son courroux quant à sa présence ici.
- Parfait. Elle doit maintenant être chez les érudits. Vas la rejoindre et ramènes les tous vers moi quand ils auront fini.
Alastyn s'inclina en posant la main sur son cœur puis sortit de la salle du trône pour se rendre dans la tour Nord. Les érudits s'y trouvaient car le soleil y apparaissait très peu. Cela afin que les livres et manuscrits ne souffrent pas des rayons du soleil. Les documents les plus anciens étaient gardés dans les sous-sols où les murs étaient protégés par des sorts retenant l'humidité. La luminosité y était également très contrôlée, dans le but de conserver les documents le plus longtemps possible.
Il monta au premier étage de la tour et, entendant des voix, entra sans bruit et s'adossa à un mur.
* * * * *
Merle emmena Muiri à la tour des érudits. Elles furent accueillies par un grand homme avec de longs cheveux et une grande barbe. On aurait dit Merlin, mais à environ quarante ans.
- Ah ! Merle, dit-il d'une voix profonde et grave qui donna des frissons à Muiri. Nous vous attendions. Madame, je suis Bjorn, et voici Anyon, notre érudit en chef, ajouta-t-il en s'inclinant devant la jeune femme qui tenta de reproduire gauchement son geste. Si vous le permettez, nous allons commencer avec des questions sur vous-même. A savoir : votre nom, votre âge, le lieu où vous vivez.
Après avoir donné les informations qu'ils demandaient, elle leur raconta comment elle s'était retrouvée ici. En tout cas, ce qu'elle se souvenait. Ils lui demandèrent ensuite si elle connaissait l'Irlande et les falaises de Moher. Elle les connaissait oui. Elle avait toujours eu envie de s'y rendre. Et les falaises de Moher, hautes de 200m l'avaient toujours attirées quand elle en regardait des photos. Fronçant les sourcils, elle se demanda si son plongeon n'avait pas été fait ici...Pourtant, c'était impossible. Il aurait fallu qu'elle fasse plusieurs milliers de kilomètres.
Voyant que les érudits la fixaient à la fois impressionnés, heureux, et...respectueux ? Elle fit une moue interrogative.
- Seena, l'héroïne qui a sauvé Tamila des monstres, venait d'Irlande. Elle était aux falaises de Moher quand elle est arrivée chez nous. Vous venez toutes les deux du même monde. Je pense que tu es celle que nous attendions pour nous aider à réveiller le dragon Finn et à renvoyer ces monstres d'où ils viennent. Vous êtes l'héritière de Seena.
- Excusez-moi, dit Muiri en se retenant de rire, mais je doute d'être si importante .
- Au contraire, fit une voix derrière elle.
Tout le monde se retourna vers Alastyn qui était nonchalamment appuyé sur le mur. Savourant le fait qu'il avait l'information qu'ils attendaient, il se redressa et se dirigea vers Muiri. Il lui tourna autour en l'observant de haut en bas, le visage impassible. Il fit une petite grimace hautaine et poursuivit :
- Seena m'a parlé en rêve pour m'annoncer la venue de son héritière. Elle m'a demandé de la faire venir au passage entre nos mondes. Une fois sur place, Seena a dû te parler puis te faire venir ici. Que t'a-t-elle dit ?
D'abord stupéfaite, Muiri ne comprenait pas ce qu'il disait. Personne ne lui avait parlé. Puis la voix féminine qu'elle avait entendu avant de tomber lui revint en mémoire. Malheureusement, elle n'avait rien compris à part quelques mots.
- Je...J'étais trop vaseuse pour comprendre quoi que ce soit. J'ai entendu une voix de femme mais je n'ai compris que quelques mots : Destin, dragon et Gayoma.
Un mouvement à sa droite lui fit tourner la tête. Alastyn secouait la tête, dépité. Mais les érudits étaient encore plus heureux que quelques minutes plus tôt.
- Vous êtes vraiment l'héritière de Seena. Maintenant, il va falloir déterminer ce que vous savez faire. Et vous devriez prendre contact avec le dragon le plus tôt possible. Mais avant ça, nous devons aller voir le roi pour lui faire part de nos découverte.
Tout cela allait beaucoup trop vite pour Muiri. Elle pensait toujours que tout cela était une mauvaise blague ou alors un rêve...Pourtant elle s'était fait mal en se pinçant...Ce devait être un cauchemar alors. Non ? Ça ne pouvait pas être réel.
Pas réel. Et pourtant. Quelque chose en elle lui soufflait qu'elle devait être ici. Sa famille et ses amis lui manquaient mais elle ne pouvait décrire ce qu'elle ressentait au fond d'elle.
Ils ne sauront pas que tu es partie.
Muiri sursauta et regarda autour d'elle mais elle ne vit pas la femme a qui appartenait cette voix. Les érudits marchaient au pas de course devant elle, Merle était à côté d'elle et Alastyn la suivait, un léger sourire aux lèvres. A quoi pouvait-il penser ce manipulateur ? C'était à cause de lui qu'elle s'était retrouvée au bord de cette falaise.
Salopard !
Comme s'il avait entendu ses pensées, Alastyn se mit à pouffer. Quand elle le regarda en haussant un sourcil et il fit une mine innocente mais Muiri voyait qu'il était près du fou rire. Elle n'eut cependant pas le temps de se questionner sur la raison, car ils étaient arrivée devant la salle du trône où on les annonça.
- Aina Ariea votre majesté, dit Anyon en s'inclina la main sur le cœur. Les hommes l'imitèrent et Merle fit une révérence que Muiri copia aussi bien qu'elle put.
- Aina Ari. Quel est votre rapport ?
- Elle vient du même monde que Seena, l'héroïne de Gayoma. Et aurait été appelée par elle. Bien que ses souvenirs à ce sujet soient encore flous. Étant donné qu'elle vient d'un monde si éloigné où la magie est inexistante, il faudra qu'elle ait un instructeur. Et il faudrait qu'elle essaye de réveiller le dragon dès que possible pour qu'il l'aide dans sa tâche.
- Alastyn sera son instructeur. Je l'ai nommé comme protecteur et instructeur de l'héritière de Seena. Madame, ajouta le roi en se tournant vers Muiri qui se redressa, je sais que vous devez être déboussolée et que tout cela vous dépasse mais l'avenir de notre royaume - et de notre monde - repose sur vous et sur la rapidité de votre apprentissage. Loin de moi l'envie de vous brusquer mais notre situation va vite empirer. Les attaques de monstres sont de plus en plus rapprochées. La dernière était il y a 2 jours. Peut-être nous laisseront-ils un peu de répit mais nous ne pouvons pas parier sur une donnée si incertaine. Alastyn s'occupera bien de vous. Merle et Ikar seront également là pour vous aider si vous avez besoin.
Muiri déglutit et hocha la tête, le cœur serré. Elle voulait rentrer chez elle, quitter cette endroit où on lui parlait de monstres, d'apprentissage par un démon qui semblait se moquer d'elle et de dragon. Bon d'accord, ce dernier point l'intriguait. Elle avait toujours trouvé les dragons fascinants. Ressemblerait-il à ceux qu'on voyait dans les films ou les peintures ? Voilà que l'excitation la gagnait. Puis les monstres refirent surface dans son cerveau et elle fut de nouveau au bord de la panique.
- Mais avant de passer à ces choses peu amusantes pour vous, ce soir nous donnons un bal masqué. La Reine Mirana y tient. Selon elle - et je suis de son avis - il est important de faire la fête et de se détendre quand le danger court dehors. Les monstres ont subi une défaite sévère la dernière fois. Ils n'attaqueront pas de sitôt. En attendant ce soir, je vous propose de faire plus ample connaissance avec Alastyn et peut-être que Merle et Ikar voudront vous tenir compagnie.
- Désolé Votre Majesté, dit un petit brun aux oreilles pointus à côté de Merle, mais Merle et moi avons une petite chose à faire. Mais nous serons heureux de l'aider à se parer pour la soirée.
- Très bien ! Dans ce cas, c'est décidé. Profitez de l'après-midi - chanceux - et nous nous retrouverons ce soir.
Après une dernière révérence, tout le monde quitta la salle. Ne sachant pas quoi faire, Muiri resta sur place à la sortie de la salle du trône. Soupirant, Alastyn se planta devant elle et fit une légère révérence.
- Je suis Alastyn, protecteur du Roi de Redora. Désormais, je suis aussi le tien, et ton instructeur en ce qui concerne ce monde. Je dois aussi t'apprendre à développer ton pouvoir.
Si tant est que j'en ai un, ajouta Muiri mentalement. Je n'ai pas envie de lui répondre.Pourquoi j'ai l'impression que ça ne lui plaît vraiment pas de s'occuper de moi ?
- Je suis Muiri, répondit la jeune fille après une pause.
- Allons dans le parc, poursuivit Alastyn avec son sourire moqueur. L'air frais et le soleil te délieront peut-être la langue.
Une fois dehors, Muiri hésita encore à parler puis exposa ce qui la tracassait.
- Vous vous êtes servi de vos pouvoirs pour m'emmener loin de la fête. Comment est-ce possible ? Vous êtes venu dans mon monde. Comment je fais pour y retourner ?
- Ouh là ! Doucement jeune fille, rigola Alastyn. Je vois que Merle en a déjà beaucoup dit.
- Seulement que vous pouviez manipuler les femmes pour les manger. Même si vous ne le faites plus.
- Oui. Il est difficile de vivre au milieu des humains si vous ne voyez en eux qu'une bonne tranche de viande. De plus, je préfère les relations charnelles avec les femmes. Tous les partis sont satisfaits. Oh ! s'exclama-t-il, désolé de dire ça devant une aussi jeune fille.
- Les relations sexuelles n'ont rien de tabou chez nous. Et vous pouvez bien vous faire le royaume entier, je ne vois pas en quoi cela m'aiderai à comprendre la situation. Et je ne suis pas une jeune "fille". J'ai vingt-cinq ans.
Nouveau sourire.
- J'ai en effet utilisé mes pouvoirs pour t'amener aux falaises de Moher. Seena était là pour m'aider. Elle a ouvert un portail de téléportation qui t'a emmené à la falaise. Je n'ai rien fait à part t'y faire entrer. Elle a ensuite pris le relais. Mais apparemment tu as été trop faible et mon influence sur toi a été trop grande car tu n'as pas entendu ce que l'Héroïne disait.
Sérieusement, il me déteste vraiment.
- Je ne vois pas en quoi elle peut penser que tu es son héritière. Les autres générations avant toi n'avaient pas les attributs pour l'être, mais elle t'a choisi, toi, donc il va falloir que je t'en fasse digne. Le Roi veut que tu te reposes aujourd'hui donc je ne vais pas commencer l'entrainement aujourd'hui, mais à partir de demain, prépares-toi à de longues journées.
Muiri avait l'impression d'être un pauvre petit lapin, inoffensif, face à un chasseur et ne doutait pas que les prochains jours allaient être très longs.
- Mais en attendant, je vais répondre aux autres questions que tu as posées. Je ne suis pas venu directement dans ton monde. Ce n'était qu'une projection astrale. Et Seena a permis à mon pouvoir de passer les mondes pour que tu puisses aller là où tu devais aller. Hormis sous forme de projection, tu ne pourras pas retourner dans ton monde tant que ta tâche ne sera pas terminée.
- Mais il va bien falloir que j'y retourne ! Mes amis, qui étaient avec moi à la fête, ils vont s'inquiéter. A l'heure qu'il est, ils ont déjà dû appeler ma famille, et la police. Ils doivent me chercher partout. Il faut que j'y retourne, il faut que je leur montre que je vais bien ! Je...
- Suffit ! Sans blague ! Ce que tu es fatigante à piailler ! Tes amis et ta famille, dit Alastyn en accentuant sur les mots, ne s'inquiètent pas pour toi pour la simple et bonne raison qu'ils ne savent pas que tu es là. Non, le temps ne s'est pas arrêté, poursuivit-il comme s'il avait lu ses pensées. Quand tu es arrivée ici, un clone de toi a été créé. Il est autant toi que...toi et personne n'y verra rien. Quand ta tâche sera terminée, tu pourras choisir entre rester ou repartir. Autrefois, Seena a décidé de repartir et je ne doute pas que tu feras la même chose après toutes les horreurs que tu verras ici.
Il disait ça de manière anodine. Comme s'il lui parlait des prévisions météo.
- Vous avez connu Seena ? Merle m'a dit que vous viviez depuis très longtemps.
- En effet, je foule cette terre depuis si longtemps que j'ai connu Seena. Ses manières étaient bien meilleures que les tiennes. Elle ne posait pas autant de questions. Elle savait se taire. Et elle ne te ressemblait pas du tout. Physiquement j'entends. Tes cheveux sont vraiment bizarre. Je n'ai jamais vu ça. Ils sont rouges, aussi sombre que le sang, avec une mèche blonde. Les humains ont bien changé à ton époque. Ils ne sont plus aussi raffinés.
- Primo, c'est une teinture que j'ai rêvé d'avoir pendant des années et secundo, cette horrible mèche n'était pas là quand je suis partie à la fête ! Elle est apparut quand je suis arrivée ici et je rêve de la cacher sous une couleur. Quant à nos manières, nous avons évolués...tout n'était pas bon à jeter dans les bonnes manières mais nous ne nous inclinons plus devant chaque personne que nous rencontrons. Les femmes ont le droit de travailler, de voter, d'exprimer leurs opinions. Elles ne sont pas toujours écoutées parce qu'il y a toujours des macho tels que vous pour se penser supérieur à la "faible femelle" mais nous savons nous battre, nous assumer seules. Et nous avons notre fierté ! Pourquoi souriez-vous comme ça ?
- Je ne te pensais pas si...passionnée. Comme ça, tu sais te battre ?
- Hum, marmonna Muiri. Il s'agit plutôt de quelques bases d'autodéfense au cas où je ferai une mauvaise rencontre dans la rue.
- Très bien. Fais-moi tomber.
Impossible. Malgré ses diverses tentatives, il restait aussi solide qu'un tronc profondément enraciné. Et cette robe la gênait !
- Ce n'est pas très concluant, dit-il en rigolant.
Profitant qu'il avait baissé sa garde pour se moquer d'elle, elle lui attrapa le poignet et d'un mouvement sec, le fit se retourner et se retrouver sur les fesses.
Bien fait, pensa-t-elle en s'éloignant la tête haute. Il cherche la guerre, je ne lui faciliterais pas les choses !
- Ça va être plus intéressant que je le pensais, finalement, pouffa Alastyn en la regardant s'éloigner. Passionnée et surprenante. Je sens que je vais enfin m'amuser. Ça faisait longtemps, ajouta-t-il en se relevant pour la rejoindre.