Hot réflexion

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Pour répondre à un défi d'écriture qui proposait de soumettre des extraits de scènes érotiques, je me suis laissé tenter par l'écriture, puisque je ne disposais pas encore de passages de ce type malgré la multitude d'écrits que j'ai déjà à mon actif. Je vous propose d'abord de la découvrir, puis de découvrir mes intentions directrices pour cet essai... Bonne lecture !


***


— Tu dis qu'elle a pris ses affaires ?

Salim a la voix rauque, pleine du chagrin qui me ronge. Incapable de répondre, je hoche la tête à nouveau.

— J'ai trop déconné, finis-je par lâcher, les voyelles coincées dans la gorge par une amère boule de bile brûlante.

Ouais, bien trop merdé. Trompée, humiliée, insultée... Je ne comprends même pas qu'elle soit restée si longtemps. Ni pourquoi nos parents nous ont tellement poussés l'un vers l'autre. On s'aimait tellement, quand on était amis. On faisait un beau couple, qu'ils disaient.

Tu parles.

Pour qu'ils aient de beaux albums photo avec leurs gosses en tenue de mariage, ils ont tout détruit.

On a tout bousillé.

J'ai tout flingué.

De nouveau, les larmes et les sanglots débordent mes entrailles et me font suffoquer.

— Viens là, David.

Son bras entoure mes épaules et m'attire contre lui. Je plonge comme un môme dans son cou, cherchant une chaleur qui me manque tant depuis si longtemps. Son autre main dans mon dos me caresse doucement, et c'est exactement ce qu'il me faut : un réconfort qui m'enveloppe de son affection, loin des tensions et des pressions. Salim et moi sommes amis depuis presque aussi longtemps qu'avec Adama, mais notre complicité est demeurée intacte, contrairement à celle que notre mariage a dissoute entre elle et moi. Et le vide que ça laisse prend aux tripes comme un vertige qui m'appelle et me terrifie.

Contre Salim, accroché à lui, c'est un peu comme si rien de mal n'était arrivé, ne pouvait m'arriver. Alors je me laisse aller, ma douleur jaillissant de moi en cris et sanglots violents tandis qu'il me serre plus fort, comme pour m'empêcher d'éclater en mille morceaux aiguisés de souffrance sanglante.

Quand ses lèvres déposent dans mes cheveux un baiser serein comme une évidence, c'est tout mon être qui répond à cette tendresse bienvenue, et j'embrasse son cou mouillé de mes larmes. Un nouveau baiser vient effleurer doucement mes cheveux, et ma bouche remonte vers sa mâchoire, tirant une force inconnue de la sensation de ses mains chaudes contre mon dos. Sa joue picote étrangement, mais son parfum familier est comme un lieu d'enfance qu'on retrouve avec une mélancolie émue après l'avoir oublié, et je ferme les yeux pour mieux me noyer dans ces sensations bienfaisantes et réparatrices.

Quand nos souffles se mêlent, tout cesse d'exister. Tout ce qui n'est pas nous. L'esprit accaparé par ses mains sur mon corps et son corps sous mes mains, les sens pleins de lui, nous dévorons le temps en nous saoulant d'une vie qui explose en nous à chaque contact.

Toujours il était là, solide, fidèle, tellement complice. Toujours j'étais là, prêt à le relever, à le suivre, à repousser ensemble nos limites. Lui et moi, c'était une évidence. Moi et lui, c'est une renaissance.

Fébrilement, nous ôtons nos vêtements pour mieux nous rapprocher, nous sentir l'un contre l'autre. Je ne pense pas à ce surpoids qui le mine depuis si longtemps dans sa confiance en lui, tout comme j'ignore ma pudeur : il a déjà vu mon corps maigrelet et velu. Et on s'en moque. On se connaît tellement qu'on n'a plus besoin de se voir. Il nous suffit à présent de nous éprouver. Et c'est un vertige grisant, celui-ci, que la sagesse des corps qui s'affranchissent des tourments de l'esprit, que cette science de l'instinct au diapason du désir de l'âme.

Les caresses se suivent et ne se ressemblent pas, inlassables, délicieuses, et c'est comme s'il savait exactement ce que je ressens, ses mains, ses doigts, ses lèvres toujours précisément là où mon corps les réclame, et je n'ai pas moi-même assez de toute ma peau pour épouser la sienne et me remplir de lui.

Nus, confondus l'un en l'autre, nous nous pressons lui contre moi, moi contre lui, en une lente fusion haletante et apurée de toute peur comme du moindre doute. Il n'y a plus d'hier, pas plus que de lendemain. Seulement maintenant, nous, le plaisir et le bonheur d'être.

J'ignore qui de lui ou de moi s'est endormi le premier, mais mon premier regard sur son visage apaisé dans la pénombre de l'aube me trouve renouvelé, rasséréné.

Entier.

Je sais où j'en suis.

Enfin.


***


Dans cette scène érotique, j'ai tenté de m'affranchir des déterminismes et stéréotypes sociaux, mais j'ai également voulu illustrer en quoi une scène de sexe doit pour moi consister.

Je suis sorti du cadre de référence sexuel : mon couple n'est pas plus hétérosexuel qu'homosexuel ou bisexuel ou que sais-je. Ce sont deux amis que la vie a réunis en un moment, un désir et une disponibilité pour l'amour. De même, ce n'est pas l'attirance esthétique qui prédomine ici, comme je l'insère peu subtilement, mais bien une attraction de personnalités.

J'ai voulu incarner à travers cette fusion amoureuse le symbole d'une humanité qui transcende les clivages : les trois amis, Salim, David et Adama, sont lisibles comme les représentants des trois clans ennemis de l'humanité occidentale, qui s'aiment en dehors des étiquettes ethniques ou religieuses qu'on veut leur faire porter et qui n'entrent en rien dans les attachements qui organisent leurs rapports. Ce sont trois jeunes gens poussés par leurs familles dans des relations de couple qui ne leur correspondaient pas et qui, forçant leurs liens, les ont abîmés plutôt qu'épanouis. En effet, une émotion peut certes se susciter et se manipuler, mais une vraie relation de couple, elle, nécessite un projet de ses deux membres, un élan de l'un vers l'autre qui ne saurait se soumettre à la volonté extérieure de qui que ce soit, même de proches aimants.

Enfin, une scène de sexe n'est pas une scène de genre, mais un moment fort de la vie des personnages, que l'on raconte parce qu'il est fondateur d'une intimité, ici, comme il pourrait ailleurs incarner la fin d'un couple. Ici, c'est une scène de bascule du deuil d'une relation vers une renaissance en tant qu'individu tendu vers un autre lien plus épanouissant.

Quant à vouloir lire dans la mécanique du récit une apologie de l'homosexualité, ce serait une extrapolation aussi hasardeuse qu'erronée, car j'aurais pu écrire la même scène peu importe le sexe des personnages. J'ai simplement fait le choix de la transgression de la norme hétérosexuelle afin d'offrir une tranche de vie ordinaire à des personnages d'humains ordinaires.


Pour prolonger cette réflexion, je vous invite à visiter quatre de mes publications, que vous retrouverez en commentaire :

- Du Cul en Choeur, un forum du Q pour tacler les tabous et reconquérir la liberté de s'aimer ;

- mon article LPA sur les clichés et la responsabilité des auteurs dans les représentations du monde véhiculées dans leurs écrits ;

- mon article LPA sur la narration, notamment autour du "Show ! Don't tell !" et de l'écriture de scènes de sexe (article réservé à mes clients) ;

- ma nouvelle "Trop !" sur le bad boy et le danger d'une romantisation du personnage de salaud.

Défis et autres accidents heureuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant