Le cœur en lambeaux

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Le texte suivant est une réponse à la proposition d'exercice d'écriture que voici :

« Incipit de votre (vos) texte(s) :

— Ils ne voulaient plus le voir

— Il hésita encore un peu

Mots à incorporer dans votre texte :

— Parapluie – Naïf/Naïve – Autobus – Imbécile – Sentir – Albatros – Muet/Muette – Bouteille – Éphémère – Percer.


Le cœur en lambeaux

Ils ne voulaient plus le voir ? Très bien. Il n'avait jamais eu besoin d'eux, de toute façon.

Depuis qu'il avait croisé leur regard plein de honte, d'incompréhension et de dégoût, son attachement naïf et imbécile pour eux s'était délité.

Lui qui s'était confié à eux comme on jette une bouteille à la mer, il s'était senti comme fracassé sur un rocher. Les images d'un poème de Baudelaire lui revinrent. Il l'avait étudié l'an passé pour le bac. L'Albatros. Il y était question de marins se moquant de la maladresse ridicule d'un pauvre oiseau empêtré dans ses trop grandes ailes et qui tente tant bien que mal et plutôt mal que bien de marcher sur le pont mouvant d'un bateau où les hommes s'enorgueillissent de s'ancrer avec l'aplomb d'arbres confiants.

Oui, il avait eu ce même sentiment d'essuyer les rires et les noms d'oiseau, le regard supérieur et humiliant de ceux qui sont sûrs de leur droit et qui réduisent le malheureux à l'évidence de son anormalité pitoyable et méprisable.

Pourtant, quand il leur avait dit vouloir leur parler, il avait connu un éphémère moment d'espoir : enfin, les choses allaient changer, et il allait se libérer du poids d'un secret insupportable.

Puis il avait parlé, leur regard avait changé, et il s'était tu, effondré en lui-même comme en un gouffre noir, glacé et insondable. Muet, il avait reçu leurs paroles écœurées et écœurantes, qui avaient frappé son cœur avec violence, le lacérant de mots tranchants et emportant dans les limbes des pans entiers d'insouciance et d'espoir.

Alors, la vérité avait percé le masque des illusions, jaillissant des fissures causées par leurs grimaces et la lueur haineuse de leurs regards pour mieux éclairer l'imposture du bonheur qu'il croyait avoir connu.

Il était pour eux un étranger, un monstre. Ils étaient pour lui des inconnus, des ennemis.

En silence, il s'était levé de table.

Sans un mot, il avait répondu par ses actes aux demandes qu'ils n'avaient pas eu l'honnêteté de formuler mais qu'ils n'avaient pas su contenir et qu'il avait très bien comprises : il était monté dans sa chambre et avait rempli son sac à dos, puis il était redescendu et avait enfilé ses chaussures.

En ouvrant la porte, il avait constaté qu'il pleurait fort. Déjà, des flaques se formaient partout dans l'allée du jardin.

Il se retourna et chercha à tâtons à travers un rideau de pluie son imperméable et le parapluie de son père. Un instant, il hésita un peu, mais, dans un sursaut d'indignation, il fouilla le sac à main de sa mère et en tira les quelques billets qui s'y trouvaient.

Après tout ce qu'ils venaient de lui prendre, ils lui devaient au moins ça.

Alors il jeta un dernier regard embué sur la maison qui avait vu mourir son enfance et claqua la porte pour s'enfoncer vers l'inconnu en direction de l'arrêt d'autobus.

Pour la suite, on verrait bien.

Le cœur en lambeaux,

Jonathan De Loeuw,

17/09/2022.

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