Chapitre 4

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 Un méchant coup de froid m'a tenu éloigné du travail ces derniers jours. Tout aussi absurde que cela puisse paraître en plein été, je me suis retrouvé prostré chez moi, alternant selon les moments entre grelottements intenses et coup de suées horribles, tout en remplissant ma poubelle de mouchoirs usagés. La faute sans aucun doute au cinéma où je suis allé vendredi, en compagnie d'une amie. L'air conditionné y était tellement froid que je n'ai cessé pendant la projection de penser à la blague qu'aurait pu en tirer Eric pour ouvrir le journal : « Plusieurs spectateurs ont été retrouvés congelés au MK2 Beaubourg vendredi soir. Pour échapper à la canicule, ils avaient décidé de visionner un film tchèque d'une durée de trois heures. A la fin de la séance, leurs corps étaient transformés en de grands blocs de glace. Il a été décidé de ne pas les décongeler avant la fin de la canicule, afin d'éviter qu'ils se retournent contre l'Etat pour les avoir tirés de force de la douce fraîcheur dans laquelle ils se trouvent. »

En revenant travailler, aujourd'hui Mardi, je suis impatient de savoir si j'aurai la chance de retrouver Julien. Malheureusement, en entrant dans la rédaction je tombe immédiatement sur une de ses collègues, et à ma demande celle-ci m'informe que mon petit protégé est en repos jusqu'à demain. Je l'interroge sur son adaptation, et elle n'a rien de particulier à m'apprendre. Tout se passe bien, visiblement. Avec un sourire ironique, elle m'apprend même que Monique fait l'éloge à tout le monde du nouveau venu, et se plaint lorsqu'il est absent que son petit chaton lui manque... Personne dans la rédaction n'a le souvenir qu'elle ait accueilli le moindre employé avec autant de plaisir. C'est une révolution... Certains insinuent même qu'elle est sujette à un coup de foudre. C'est devenu un des principaux thèmes de discussion dans la rédaction, dont elle a toujours été la vieille fille officielle.

En retrouvant mon poste, après avoir traversé l'open space encore presque désert à cette heure matinale, une jolie surprise m'attend. Sur mon écran, un post-it signé Julien me souhaite un prompt rétablissement et m'informe de son numéro de téléphone. Quant à Eric, il a glissé dans mon tiroir une jolie boite de chocolats. Ça fait plaisir de se sentir à ce point le bienvenu. Je cours me servir le premier café de la journée, que j'accompagne de deux généreux croissants, puis entre le numéro de Julien dans mon téléphone. Il est bien entendu beaucoup trop tôt pour l'appeler – à peine huit heures – et je commence à me demander à quel moment je pourrai lui envoyer un premier message lui annonçant que j'ai retrouvé la forme. Après tout, je ne sais rien de son quotidien. Vit-il avec Pietro ? Dans ce cas, mieux vaut le joindre au milieu de la journée, pour ne pas provoquer de jalousie injustifiée. Quoique... d'après Julien, Pietro m'a à la bonne et serait ravi de me voir réapparaître. Sont-ils heureux ensemble ? Une relation de quatre ans, c'est énorme... Leur couple est sans doute désormais d'une solidité à toute épreuve. Julien a-t-il senti un petit pincement au cœur, l'autre jour, lorsqu'il est tombé nez à nez avec moi ? Après tout, s'il y a des retrouvailles qui ne sont pas anodines, ce sont celles avec le premier amour et amant... J'ai toujours entendu dire que toute la vie on reste un peu amoureux de celui qui le premier a fait battre notre cœur...

Et moi, dans tout cela ? Cette rencontre imprévue m'a tout de même fait légèrement chanceler... La nuit suivante, je me suis réveillé au milieu d'un rêve érotique dans lequel mon ancien élève, après avoir méticuleusement léché ma chaussure pleine de café, s'était mis à parcourir chaque recoin de mon corps avec sa langue ! Avais-je senti dans la journée le désir inconscient de ce genre de contact entre nous ? Voire même un désir tout à fait conscient ? Je ne sais pas comment je suis capable parfois de me perdre dans de telles questionnements tout en en connaissant parfaitement les réponses. Il est évident que le retour de Julien a instantanément réavivé le désir intense que je sentais pour lui au moment où nous nous sommes connus. Et je n'ai pas manqué, bien entendu, de regretter de lui avoir mis Pietro dans les pieds. Sans lui, j'aurais pu retrouver avec celui qu'à l'époque j'appelais Joli Monstre l'intimité que nous prenions tant de plaisir à partager. Mais c'était d'autres temps, et Julien était encore très jeune. Il manquait d'expérience et de repères, et cela rendait impossible une histoire d'amour entre nous. Le contraste entre nos deux parcours était trop important. Aujourd'hui, sans doute, la différence d'âge ne serait pas si gênante. Elle reste de six ans, certes, mais elle se ressent différemment lorsque le plus jeune a dix huit ans à peine et n'a connu aucun autre partenaire, que lorsqu'il en a vingt-deux et a derrière lui une longue relation. Mais la question ne se pose pas. Julien est en couple, et il ne sert donc à rien de se perdre en conjectures. Mon joli monstre est devenu un joli petit chaton, mais son cœur est pris. Autant ne pas s'y apesantir.

Joli coeurWhere stories live. Discover now