Late Night Drive

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Je déteste rouler pendant la nuit.

J'ai toujours ce même sentiment morose qui m'anime, qui s'approprie quelques cellules de mon sang, qui me fait dévier de la route parfois pour m'envoyer narguer le bas-côté. Je déteste cette solitude amère, celle qui me rappelle que j'ai laissé au bord de la route tout ce que j'ai aimé et qu´il est beaucoup trop tard pour faire demi-tour maintenant que le temps est passé. Celle qui résonne dans mon crâne comme la complainte d'une âme qui eut un jour été capable d'aimer et a soudainement peur de ce néant habité. J'aime pas ça, cette idée qui résonne toujours dans ma tête, qui glisse sur le bitume aussi ténébreux que le ciel: Arrête cette petite mascarade. Arrête de tourner ce putain de volant, arrête de descélérer. Garde ton pied là où il est, laisse la musique s'emparer de toi pleinement, regarde plus la route, ça servirait à quoi de toute façon, puisqu'elle a jamais été foutue d'être droite, placarde tes mains là où elles sont, cloue les même, empêche les de continuer cette putain de danse circulaire et monotone, et trace. Trace.Trace une putain de ligne droite jusqu'au néant. Arrête de le lorgner de tes yeux dépités et rejoins-le, ton néant. Une bonne fois pour toutes. Laisse ses abysses pénétrer tes iris bleues, laisse-le te bercer dans son gouffre immense pour l'éternité. Laisse-le faire. Trace. Trace putain, arrête de tourner. File. Tout droit. Trace. Trace-la ta putain de ligne blanche qui signera ta fin sur l'humanité. Trace et apprends que tous ces virages n'étaient que perte de temps et que seules les lignes droites portent à aimer. Trace et apprends, pour la prochaine fois". Je déteste le ronronnement du moteur quand il se met à plafonner, pas que j´en aie peur que du contraire, je déteste plutôt cette satisfaction débile que m´apporte cette sensation de pouvoir enfin effleurer le néant du bout des doigts.

C´est elle que j´aime. Je l´aime trop pour être saine d´esprit. Je l´aime trop quand la musique résonne dans l´habitacle, je l´aime trop quand elle pénétre mon âme et que ses vas-et-viens incessants au plus profond de moi me poussent à accélérer encore. Je l´aime trop quand elle me susurre des insanités. Je l´aime trop que pour être normale.

J´ai pas de maison qui m´attends au bout de la route. Personne qui me fera signe affectueusement ou me prendra dans ses bras si je rentre en vie. Personne qui me félicitera d´avoir sur tenir la route, aucun endroit qui me gratifiera d´une douce ambiance chaleureuse qui me fera oublier, l´espace d´un instant, que j´ai fais ce qu´il fallait, que j´ai bien fait de ne pas tracer.

Je me sens désespérément seule dans cette bagnole. Beaucoup trop près de ce ciel silencieux, beaucoup trop loin de cette terre bruyamment habitée. Les pensées sont trop fortes, elles hurlent comme un loup en cage le ferait pour rattraper ses congénères, et elles m´arrachent le cœur au passage. Et je déteste ça.

Mais bizarrement, quand j´arrive devant cette baraque en brique, que j´y gare finalement la caisse et que je lève les yeux pour observer ce ciel tacheté d´étoiles, j´eprouve comme une immense satisfaction. Une satisfaction d´être encore en vie, malgré tout ça. La satisfaction d´avoir pu narguer le néant sans le laisser m´attraper pour de bon.

Je ne sais si c´est de la faiblesse ou une grande force, mais c´est une euphorie d´être encore là, et de pouvoir pousser cette porte étrangère en plein milieu de la nuit. Je suis pas sûre de le détester finalement. Peut-etre même que je l´aime un peu trop.

Ca n´a aucun sens, mon dieu. C´est pas grave, fallait que je publie un truc. Au moins un petit truc sans queue ni tête.

Ɯσя∂ѕWhere stories live. Discover now