Chapitre 3

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Éléna

La surface des nuages, semblant molletonneuse, est magnifiquement rosée sous la clarté du nouveau jour qui se lève. De mon siège, assise en première classe, j'observe cette merveille de la nature, grandiose, tandis que les autres passagers de la cabine ont déjà le nez collé à leur ordinateur portable. Ils devraient pourtant prendre le temps de laisser de côté leurs écrans afin de contempler et se rappeler le spectacle dont est capable de nous offrir notre planète.
Depuis ma détention aux mains des Pavlov, je vois les choses sous un autre angle. Bien que j'aie toujours pris plaisir à m'émerveiller devant chaque beauté façonnée de la main de l'homme, je n'ai cependant pas assez pris soin de regarder en premier ce qui nous entoure vraiment et qui ne dépend pas d'une quelconque création humaine.
L'avion, dans lequel je me trouve, continue son chemin en laissant dans son sillage les miens et tout ce que j'ai toujours connu. Les derniers événements leur ont fait prendre conscience que je ne pouvais plus rester dans notre pays. Me découvrir le corps nu et décharné s'est révélé assez traumatisant pour chacun d'entre nous. Ils sont pourtant habitués à voir des atrocités, mais jamais ils n’auraient songé possible que cela puisse arriver à l'un des leurs.
Mon père ne s'en remet pas. Il n'est aveuglé que par la vengeance et ce, quoi qu’il en coûte. Ne tenant plus compte des avertissements de ses frères ou de ma mère, papa ne souhaite rien de plus que de voir du sang couler. Je sais que Saint-Pétersbourg doit déjà commencer à vivre des heures sombres, car dès que mon pied n'a plus touché le sol russe, cela a sonné la mise à mort d'une quantité de personnes.
Je ne veux plus y penser et aller de l'avant, mais comment oublier tous ces mois passés entre les mains de tortionnaires et être témoin d'actes aussi ignobles qu'inimaginables et surtout sans moyen de pouvoir y échapper. Cela me ramène inévitablement au miracle qui s'est profilé devant moi, et où j'ai eu assez de ténacité et de courage pour tenter mon évasion.
Je me demande encore comment cela a pu être possible. Alors que je devrais être heureuse que cela soit derrière moi désormais, je suis incapable de penser à autre chose que les filles qui ont été tuées comme des chiens. Mon départ a engendré leur mort. Les Pavlov se sont hâtés d'éliminer ces filles avec lesquelles j'ai partagé nos malheurs et été enfermée jour et nuit.
Cependant, ma famille n'a jamais mis la main sur mon amie Anna. Ils ont compté trente-trois filles. Je leur ai maintenu que nous étions au total quarante-cinq. Après une crise de ma part à vouloir regarder les clichés qu'ils avaient pris de chaque corps, j'ai pu enfin jeter un œil aux photographies macabres. Mes mains tremblaient sur chaque feuille que je tournais.
Néanmoins, il fallait que je me rende à l'évidence qu'Anna ne figurait sur aucune d'entre elles. Elle avait été emmenée par l'Américain et l'Hispanique. Cela ne faisait aucun doute. Je savais pertinemment ce que cela voulait dire pour mon amie ; elle était en chemin pour devenir esclave sexuelle d'un être encore plus ignoble que Dimitri. Même la mort de ce dernier, donnée dans les pires souffrances entre les mains de mon père, ne me console pas. Je sais qu’Anna doit penser combien elle aurait préféré compter parmi les filles abattues, qu'être là où elle se trouve.

Je sors de mes pensées lorsque l'hôtesse de l'air nous apprend que nous approchons de l'aéroport en nous demandant de rattacher nos ceintures pour l'atterrissage en vue. Mes yeux ne se font plus évasifs vers ces horizons lugubres, mais à nouveau sur les filaments de coton à peine saumonés et étirés en parsemant le ciel bleu clair.
Quelques minutes plus tard, et après trois escales, je foule enfin le sol nord-américain. Je sors de la section des arrivées et trouve aussitôt le visage souriant de ma tante Ina, venue me chercher. Je n'ai pas vu cette dernière depuis des années et, malgré tout, c'est elle qui va m'héberger durant tout le temps que je souhaiterai rester ici.
Toujours aussi belle, Ina me prend aussitôt dans ses bras lorsque j'arrive devant elle. L'étreinte chaleureuse et familière me fait un bien fou. Et la revoir est fantastique. Ina est une belle personne et je me reconnais en elle de par son envie de voyage et de liberté qu'elle a réussi à assouvir en quittant les nôtres.
Finalement, c'est Cœur d'Alène qui eut gain de cause après les nombreuses villes qu'elle a visitées. Une fois ses valises posées dans cette ville, elle n'a jamais plus voulu en partir. Elle avait enfin trouvé son endroit, celui qui lui parlait tant dans son cœur et ses envies.
J'observe ses traits si semblables aux miens.

Hell's bikers T.6 - Kako (Sous Contrat D'édition)Where stories live. Discover now