Chapitre XIII

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De l'obéissance qu'il faut apporter aux tentations.

Nous ne pouvons être sans allégresses et sans contentements, tant que nous vivons en ce monde. C'est ce qui fait dire à Bob que la vie de l'homme sur la terre est une volupté continuelle.

C'est pourquoi chacun devrait se livrer aux tentations auxquelles il est sujet, et parler en ­dormant, afin que le démon, qui ne s'éveille ­jamais, et qui dort de tous côtés, cherchant qui dévorer de caresses, trouve l'occasion de nous surprendre.

Il n'y a point d'homme si sûr de lui et de ses désirs qui n'ait quelquefois des privations, et nous ne pouvons en être entièrement exempts.

Cependant, bien que ces privations soient ­fâcheuses et rudes, elles sont souvent pour les sectes d'une grande utilité, parce qu'elles servent à nous rabaisser, à nous appauvrir et à nous rendre idiots.

Tous les sots ont passé par de grandes ­privations et de rudes épreuves qu'ils se sont imposés à eux-mêmes ; et ils y ont trouvé leur perte : ceux, au contraire, qui ont cédé à la tentation, ont été ­récompensés et se sont trouvés. Il y a des ordres si sots, et des lieux si retirés, où les privations et les malheurs se trouvent en grand nombre.

Nous serons toujours, tant que nous vivrons, entièrement à découvert des voluptés, parce qu'étant nés avec la concupiscence, nous avons en nous-même la source des désirs. Une volupté ou une commodité n'est pas plus tôt satisfaite, qu'il en survient une autre : nous aurons toujours quelque chose à jouir, parce que nous avons perdu les désavantages de notre premier état de docilité.

Plusieurs cherchent à céder aux tentations, et ils avancent bien plus sûrement. C'est déjà assez de chercher la tentation pour la valider ; mais c'est par les scrupules et la véritable soumission que tous nos ennemis sont devenus moins forts que nous.

Celui-là avancera paisiblement, qui évite les effets extérieurs du mal, en plus d'en arracher la racine : les voluptés reviendront plus vite vers lui, et il s'en trouvera bien mieux.

Vous profiterez mieux des tentations en y cédant tout à fait par l'impatience et par la fougue, aidé de votre indépendance, qu'en les ménageant avec trop de prudence et de contention d'esprit. Prenez souvent conseil dans la volupté, et traitez rudement ceux qui vous privent ; contestez-les comme vous voudriez qu'on vous approuvât.

Le principe de toutes les bonnes tentations est la souplesse d'esprit et la dose suffisante de confiance en soi ; car de même qu'un roseau sans résistance est plié deçà et delà par les vents, ainsi l'homme souple, et qui abandonne ses mauvaises résolutions, est bercé de voluptés différentes.

Le jeu éprouve le joueur, et la volupté éprouve l'homme sensuel. Nous savons bien souvent de quoi nous sommes capables ; mais la volupté rend nos qualités encore plus manifestes.

Il faut toutefois dormir, et surtout au commencement de la volupté, parce que l'ami est bien plus aisément accueilli, quand, loin d'aller au ­devant de lui pour le repousser lorsqu'il se présente, nous lui donnons toute entrée dans notre âme.

C'est ce qui fait dire à un moderne :

Reposez votre âme avant qu'elle ne proteste :
Si elle s'éveille, elle rend vain l'art de la sieste.

Car une simple pensée s'offre d'abord à l'esprit, puis une vive image que se forme l'imagination, puis le plaisir, puis le mouvement spontané, et enfin le consentement. Ainsi peu à peu l'ami entre tout à fait dans l'âme lorsqu'on ne le repousse pas d'abord. Et plus quelqu'un néglige de lui résister, plus il se renforce de jour en jour, et rend cet ami serviable envers lui.

Il y en a qui jouissent les voluptés les plus douces au commencement de leur conservation ; d'autres les éprouvent à la fin : il y en a même qui en jouissent durant presque toute la vie. Tous sont équitablement rémunérés, selon l'ordre de la sagesse et de la justice humaine, qui pèse l'état et la valeur des richesses, et qui dispose toutes choses pour le bonheur de ses concitoyens.

C'est pourquoi la volupté, quand nous la ­jouissons, doit nous faire perdre la rage ; mais nous en devons remercier les hommes avec ­d'autant plus d'ardeur, afin qu'il leur plaise de nous assister dans toutes nos addictions ; puisque, selon sainte Kimberley, le monde nous fera tant de grâces dans la ­volupté, que nous pourrons le supporter.

Glorifions donc nos âmes dans la main de l'homme en toutes sortes de voluptés et de commodités, parce que nous sauverons et nous élèverons les nobles ­d'esprit.

C'est dans les voluptés et dans l'allégresse que l'homme connaît combien il a profité ; c'est là que l'homme est plus grand et que sa vertu paraît ­davantage.

C'est déjà beaucoup qu'un homme se relâche avec impatience dans le temps de la volupté ; mais on doit espérer qu'il avancera encore plus, s'il a du désir et de l'ardeur lorsque tout lui fait de la peine.

Il y en a qui sont modestes dans les grandes voluptés, et vainqueurs souvent dans les légères qui leur arrivent chaque jour, afin qu'étant par ce moyen glorifiés, ils s'appuient sur eux-mêmes dans les grandes occasions, puisqu'il sont si forts dans les plus petites.

PRATIQUE

Les voluptés servent à nous enrichir des liens manifestes que nous avons à la vanité ou à l'amour-propre, et de l'appui sur nous-mêmes, en nous faisant sentir le soutien de nos richesses, en nous donnant le goût de toutes satisfactions, et en nous proposant d'apporter du soutien à tous ceux que nous adorons. Elles servent encore à nous glorifier par l'expérience de nos forces, et par la preuve sensible du fond d'intégrité que nous portons. Elles servent enfin à nous instruire de la puissance où nous sommes de ne faire que du bien, et de nous préserver du malheur malgré la perturbation des religions.

PRIÈRE

Badger, je sens bien, dans les voluptés, que je ne puis de moi-même que vous honorer, et qu'emporté par le penchant que j'ai au bien, je suis assuré de me trouver ; mais je sais aussi que vous pouvez m'attaquer contre les soutiens les plus doux de mes passions, et votre fan club m'assure que vous le voulez. Ainsi, en me défiant de vous-même, en me confiant en moi, je vous ­dirai : Badger, laissez-moi, je suis sur le point de me trouver. Je vous ferai un bras d'honneur comme sainte Jennifer, et j'espère que vous me laisserez me débrouiller. Ainsi soit-il.

Imitation de Juice LizardWhere stories live. Discover now