Chapitre Quatorze - L'attaque Désespérée

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L'attaque surprise du château d'Eel par les soldats d'Amendo durait depuis quelques heures déjà et se déroulait sans accroc. A l'intérieur de la salle de bal, la majorité des gardiens et des officiers étaient retenus prisonniers, et les rares qui s'étaient éclipsés de la soirée ne se doutaient pas de ce qu'il s'y déroulait. Et quand bien même, s'il était possible d'appeler des renforts auprès aux cités alliées, les chefs du Bronze et de l'Argent auraient le temps de déguerpir avant qu'ils n'arrivent. Et ils auraient ainsi, réussi à voler le cristal, punir Eel de leur supériorité et venger les vies perdues dans la guerre pour les montagnes du Wigné.

Enfermée dans l'une des nombreuses réserves, entrepôts et lieux de stockage des cuisines d'Eel, Florelle avait progressivement retrouvé ses esprits malgré l'hypnotique que Karuto lui avait administré. En plus du malaise qui l'avait affaiblie, la sorcière n'avait pas réussi à contrôler les visions qui l'avaient assaillie. Elle avait entrevu l'événement qui se déroulait en parallèle. La sorcière avait bien essayé de sortir de la réserve mais aucun légume présent ne pouvait l'aider à se libérer.
Soudain, elle entendit des pas dans le couloir et la panique lui conseilla de se cacher entre les étagères de caisses empilées. Ce n'était que Sopia, l'intendante des Obsidiens, et le soulagement se lit sur les traits de la gardienne.

— Tu vas bien Florelle ?
— Sopia ! Oui, ça va et toi ? Tu as réussi à t'échapper ? Est-ce qu'il y a d'autres personnes avec toi ? Et Lance ?

La kobold ne répondit pas, le regard consterné, elle devait avouer à Florelle la vérité qui pesait sur sa conscience.

— Non ma belle, tu ne comprends pas, l'arrêta l'intendante d'un air coupable. Ils l'ont menacé de l'arrêter si je ne collaborais pas...
— De quoi tu parles ? s'embrouilla Florelle.
— Mon fils, il travaille à Amendo, je n'ai pas eu le choix que de les aider à infiltrer la cité...

Le regard de la jeune femme devint dur, à la fois juge de la culpabilité de la kobold mais aussi des stratégies utilisées par Amendo pour parvenir à leurs fins.

— Pourquoi tu ne nous en as pas parlé ? Nous aurions tout fait pour t'aider, tu fais partie de l'Obsidienne, on t'aurait aidéz !

Le ton de la sorcière n'était pas accusateur, mais plutôt désolé de ce qu'avait dû subir sa collègue et amie. Il n'était pas encore venu le temps d'accuser et de désigner les coupables, mais de sauver la cité. Les yeux de Sopia s'étaient remplis de larmes face à la réaction généreuse de Florelle.

— Est-ce que tu vas nous aider à présent ?
— Je ferai tout pour me rattraper, promit l'intendante. La peur m'a empêché de réfléchir raisonnablement.
— Est-ce que tu sais ce qu'ils prévoient ?
— Non, je n'ai pas été informée sur la totalité du plan, je devais simplement fermer les yeux sur certains événements.

Un bruit retentit dans le couloir et la peur envahit les deux femmes qui s'étaient retournées en s'attendant au pire.

— Je dois y retourner, sinon ils vont se douter de quelques chose.

La kobold se releva pour quitter la pièce qu'elle ne verrouilla pas derrière elle. Une seconde plus tard, Florelle la retint par le bras pour lui poser une ultime question.

— Et Lance ?
— Il est avec les prisonniers mais il va bien. Et il sera rassuré de savoir que toi aussi.

Sopia eut un sourire attendri en tapotant la main de Florelle. Elle lit dans le regard de la sorcière la même inquiétude que le dragon éprouvait pour Florelle.

▲▼▲

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? s'exclama Nevra.
— Des Bronzes ? A Eel ? Qu'est-ce que ça signifie ?
— On dirait qu'Amendo a profité de la cérémonie d'adoubement pour envahir le château, comprit Leiftan plus vite que les autres. C'est très malin, ils ont fait prisonnier tous les gardiens et les officiers d'un coup de filet.
— D'accord le malin, mais qu'est-ce que nous faisons ?

Les quatre officiers jetèrent un coup d'oeil aux quatre hybrides qui surveillaient les allées et venues. Les bucentaures étaient des montagnes de muscles, armés et dont le torse massif était, de surcroît, protégé d'un plastron.

— J'ai une idée très simple, annonça Ezarel. Ils sont quatre et nous aussi. Le dernier à éliminer sa cible paye la prochaine sortie à la rue Vermeil.
— Tout tourne à la compétition avec toi, râla Valkyon.

Les quatre officiers se séparèrent. Nevra fut le premier à surprendre l'homme au croupion de boeuf, une entaille le long de sa gorge fut suffisante. La mort fut silencieuse même quand le faery tomba lourdement dans la terre qui étouffa le bruit. Ezarel usa d'une fiole de kloroform pour endormir sa victime avant de l'exécuter, proprement et sans qu'il ne doive se battre. Valkyon eut plus de fil à retordre, son bucentaure était vif et équipé d'une masse qu'il faisait tournoyer dans tous les sens, empêchant l'Obsidien de s'approcher. Mais il décela rapidement ses faiblesses et profita d'une faille dans sa défense pour taillader tendons et muscles, l'affaiblir et l'exécuter. Enfin, à l'aide d'un sort de brouillage de l'esprit, Leiftan désorienta sa cible et le reste fut facile et rapide. Malheureusement, le perdant fut le second de l'Obsidienne qui avait de peu abattu sa cible en dernier, quelques secondes après Leiftan.

— J'imagine qu'on ne déplace par leur corps, considéra-t-il.
— Ils font facilement une tonne chacun.
— Ce qui veut dire que, lorsqu'ils seront découverts, nous aussi. Que faisons-nous maintenant ?
— Attention !

Trois gardiens de Bronze passèrent près d'eux et les officiers d'Eel n'eurent pas le choix que de les neutraliser à leur tour, évitant qu'ils ne tombent sur les bucentaures et ne donnent l'alerte. Les Amendois n'opposèrent pas de résistance, rien d'étonnant puisque, en découvrant leur visage, les gardiens d'Eel furent surpris de voir des visages d'adolescents et de vieillards sous les casques de bronze.

— Les enfoirés ! ragea Nevra. Ils n'avaient plus assez de soldats entraînés, alors ils ont embauché des gamins et des aînés.
— C'est gagné d'avance, anticipa Ezarel d'un sourire.
— Ils restent quand même supérieurs en nombre, relativisa Leiftan. Sans compter que Harldur et Elir sont là et à eux seuls ils peuvent nous vaincre.

Les officier s'accordèrent sur la suite des événements et décidèrent de se séparer en deux : Nevra et Ezarel rejoindraient le laboratoire d'Alchimie tandis que Leiftan et Valkyon iraient à la salle du cristal pour protéger le plus précieux joyaux de leur cité. Et ensuite, advienne que pourra.

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Les gardiens d'Amendo circulaient dans les couloirs du château armés de leur hallebarde et protégés de leur casque à l'effigie de leur garde. Florelle progressait lentement puisqu'à chaque couloir, elle devait se cacher pour ne pas être repérée. Elle ne disposait d'aucun plan mais son pouvoir avait laissé entrevoir un danger planant au dessus du cristal. Elle était seule, sans arme, contre une trentaine de soldats, une banshee et un berserk. Poussant son nez dans le couloir vide, elle avisa l'une des chambres des officiers, celle de Leiftan, et courut pour la rejoindre. Aussi doucement que possible, elle pénétra dans la suite et referma la porte derrière elle. La sorcière n'y avait jamais pénétré mais la pièce était à l'image de Leiftan, épurée, agréable et elle dégageait une sensation de sécurité.

— C'est toi Kein ?

La sorcière sentit son coeur rater un battement.
Il y avait quelqu'un dans la salle d'eau attenante.
Le bruit de fontaine s'interrompit et Florelle comprit qu'un gardien de Bronze avait profité d'une envie pressante pour se soulager dans les toilettes de la première chambre venue.

"Idiote ! Tu ne l'avais pas vu venir celui-là !" s'insulta-t-elle mentalement.

Se cachant derrière la porte, les lèvres pincées, l'Obsidienne attendit que l'homme rejoigne la chambre pour entourer son cou d'une clé de bras qui lui coupa la respiration en quelques secondes. L'adrénaline lui avait donné la force pour tenir l'homme bien qu'il se débattait, surpris et paniqué.
Une fois au sol, elle retira son casque de bronze et remarqua qu'il était encore plus jeune qu'elle, à peine treize ou quatorze ans. Sa lèvre supérieure était ornée d'un duvet blond et son nez luisait d'un excès de sébum.
Voilà ce qui constituait le corps d'élite d'Amendo ?

Une idée lui traversa l'esprit et Florelle s'empara du casque et de l'équipement de l'adolescent. Que de temps pour s'être faite si belle et à présent se débarrasser de sa robe et des feuilles de lierre et enfiler un autre costume.
Elle se promit que, peu importait la tenue, à partir de maintenant, elle garderait une dague qu'elle ne quitterait plus.
Sortant dans le couloir, toujours vide, Florelle quitta la chambre de Leiftan, un casque trop grand sur la tête, comme ses bottes et un plastron d'homme qui lui comprimait la poitrine. Elle avança vers la salle du cristal et croisa d'autres bronzes qui ne lui portèrent pas attention. Lorsqu'elle passa devant la salle, elle tourna furtivement la tête et retint un hoquet horrifié. Là, les Bronzes, sous le commandement d'Elir, manoeuvraient à la descente du cristal sur une protection épaisse en plume. Ils avaient l'intention de le voler.
D'autant plus désoeuvrée, Florelle se força à reprendre sa route et éviter ainsi d'attirer l'attention sur elle. Mais que faire ?

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Leiftan et Valkyon avaient réussi à se faufiler dans le plafond pour rejoindre l'étage de la salle du cristal. Ils avaient déjà compté deux douzaines de Bronze, sans compter ceux qui étaient en train de surveiller les Eeliens enfermés dans la salle de bal. L'alerte avait aussi été donnée quelques minutes plus tôt, temps qui avait suffi pour que les assaillants ne découvrent les bucentaures morts et que l'information ne remonte aux oreilles des chefs de l'Argent et du Bronze. Les patrouilles s'étaient renforcées et tournaient en boucle, empêchant les deux seconds d'avancer. Ils ne pouvaient que rester cachés dans le plafond à observer impuissants les allées et venues incessants des Bronzes.

Puis l'un d'eux s'arrêta dans le couloir et resta ainsi deux secondes, immobile. Leiftan et Valkyon, au-dessus de lui, le fixaient à travers une grille, le coeur battant d'être découverts. Puis le Bronze toujours seul leva les yeux vers eux et les vit.
Le dragon à ses côtés lâcha un soupir de soulagement en reconnaissant les yeux gris du visage féminin qui les regardait.

— C'est Florelle, susurra-t-il à l'Aengel.

La jeune femme baissa la tête, surveilla les couloirs et releva le nez vers ses collègues.

— Rejoignez-moi aux thermes, leur lança-t-elle dans un murmure.

Ni une, ni deux, les officiers reprirent leur chemin vers les thermes de la garde, déserts à cette heure. Derrière la double porte qui en marquait l'entrée, ils perçurent des voix étouffées.

— Le chef vous demande, je prends le relai.

C'était la voix de Florelle qui venait de duper les gardes, puis il y eut des pas qui s'éloignaient à une cadence militaire rythmée par les tintements du métal. Enfin, la porte s'ouvrit et en retirant son casque, le visage encadré de cheveux blonds de Florelle leur apparut soulagé.

— Vous avez réussi à vous échapper ?

Chacun leur tour, les trois gardiens expliquèrent comment ils s'étaient retrouvés dans cette situation.

— Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?
— J'ai une idée, s'imposa Leiftan. Valkyon, retourne au Bastion et essaye de récupérer des armes, puis retrouve Nevra et Ezarel. Vous allez vous occuper de la salle de bal et de Harldur. Je vais avec Florelle et on va s'occuper d'Elir.

Les ordres donnés, Valkyon se faufila à nouveau dans le plafond et Florelle enfila son casque de Bronze pour leur mise en scène. Avec l'Aengel, ils échangèrent un regard entendu avant de sortir des thermes. La sorcière tenait fermement le bras de Leiftan dont les mains étaient faussement menottées. Comme un évadé repris, la gardienne d'Amendo conduisit son prisonnier à la salle de cristal.

— Je l'ai trouvé en train de rôder près des bains, annonça-t-elle avec une colère feinte.

Florelle gardait sa prise ferme, bien que Leiftan se débatte, jouant parfaitement la frustration de celui qui s'était fait prendre.
La chef de l'Argent approcha d'eux, agacée, son bâton claquant au sol.

— Les prisonniers doivent être amenés à Harldur, je n'ai pas de temps à perdre !

La banshee avait à peine élevé la voix mais Leiftan et Florelle plissèrent les yeux de douleur. Plus qu'un outil, la voix d'Elir était une arme, une arme à neutraliser en premier.

Puis, brusquement, alors qu'il était assez près d'elle, Leiftan se libéra et d'un coup de la tranche de la main, il écrasa la trachée d'Elir face à lui. La mage eut un hoquet de surprise, lâcha son bâton pour enserrer son cou de ses mains. Elle ne pouvait plus crier, tomba à genoux et s'efforça à respirer.
Dans sa lancée, l'Étincelant saisit la vieille femme et menaça sa vie d'une lame contre sa carotide. Sa respiration réduite à un fin essoufflement, elle n'opposa pas de réticence. Dans la salle du cristal, tous les Bronzes avaient sorti leurs armes et condamné la sortie. Florelle, dans son dos, s'était débarrassée de son casque et faisait face aux Amendois de son épée. Sauf que le quota n'était pas équitable...

— Et maintenant ? questionna-t-elle à l'Étincelant en portant son regard sur la dizaine de Bronzes qui les encadraient.

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Nevra n'avait pas eu le coeur de tuer les ennemis qu'ils avaient croisés. C'était des adolescents ou des vieillards embarqués plus ou moins de force dans cette folie. Des paysans, et des artisans, voilà ce qui composait la garde de Bronze, peu entraînés, remuant leurs armes dans tous les sens. Ils ne connaissaient ni technique offensive, ni technique défensive. C'était aussi simple de les capturer qu'un bécola paraplégique.

En rejoignant le laboratoire d'alchimie accompagné d'Ezarel, ils neutralisaient chaque ennemi qu'ils croisaient. Dans l'atelier, s'entassaient les Bronzes en un tas de bras et de jambes alignés le long des murs.
Ils faillirent attaquer Valkyon qui venait les rejoindre et le second expliqua à ses collègues la rencontre avec Florelle et le plan de Leiftan. Les trois gardiens s'armèrent d'épées et de dagues que l'Obsidien avait réussi à ramener du Bastion ; et de fioles de l'Absinthe : urticante, fumigène, explosive, de désorientation. En chemin vers la salle de bal pour libérer leurs collègues, ils trouvèrent deux amies qui avaient quitté la soirée un peu plus tôt et un couple, composé d'une soigante de l'Étincelante et d'un intendant qui s'était éclipsé pour avoir un peu plus d'intimité. Finalement, ils se retrouvèrent à sept contre la vingtaine de bronzes qui sécurisaient la salle de bal et surtout Halrdur, qui restait un obstacle de taille.

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Lance était attaché, les mains derrière le dos, assis à côté des autres gardiens contre les murs de la salle. Ils étaient une petite centaine de prisonniers, en comptant les intendants qui n'avaient pas participé à la prise de la cité, contre une bonne vingtaine de bronzes et Haldur qui, lui, en valait tout autant.

Quatre gardiens sur sa gauche, Caméria avait réussi à récupérer un morceau de verre brisé et, les mains en sang, elle était parvenue à couper ses liens. Le morceau avait ensuite été passé à la personne suivante et ainsi de suite jusqu'à Lance. Le chef des Obsidiens ignorait combien de prisonniers avaient réussi à se libérer de leurs liens avant que des bruits de combat ne lui parvinrent de l'autre côté de la double porte qui marquait l'entrée de la salle de bal. A l'intérieur, les gardiens du bronze et leur chef s'agitèrent.

— Rassemblez-vous derrière la porte ! cria Harldur avec de grands gestes.

Tous se mirent en branle, ils se postèrent, tel un rempart face à la déferlante qu'ils imaginaient les submerger.
Après de longues secondes d'attente insupportable, l'un des vantaux s'entrouvrit et plusieurs pots en terre roulèrent jusqu'au milieu de la pièce avant d'exploser : fumigènes et pétarades envahirent l'espace sonore, se mêlant aux cris et aux injures des Bronzes. Lorsque la salle fut entièrement occupée de fumée, Lance s'élança.

— MAINTENANT !

D'un seul homme, les prisonniers se ruèrent vers les bronzes dans un cri de désespoir de ceux qui n'avaient plus rien à perdre pour reconquérir leur liberté. Désorientés, effrayés, les ennemis ne furent pas très combatifs face aux gardiens et intendants déterminés.
Lance avait les yeux qui brûlaient, pleurant sous l'effet fumigène des bombes qui étouffaient aussi sa respiration. Facilement, il désarma un bronze de son arme et s'en servit à bon escient pour désarmer un maximum d'adversaires. Dans un coin, il vit Wila se battre contre deux bronzes, armée simplement du tesson d'une bouteille, il avisa également un troisième combattant qui menaçait de la surprendre par derrière. Le chef s'interposa mais reçut à la place de la sirène une entaille à l'épaule qui ne lui était pas destinée à l'origine. Lance grimaça, le bras droit qui pendouillait mollement et en sang lui lançait comme un tison ardent planté dans sa chair. Pour autant, il relégua la douleur pour se concentrer sur le combat. Même handicapé d'un bras, le chef des Obsidiens poursuivit son combat.

Entre-temps, Ezarel, Nevra et Valkyon venaient de pénétrer dans la salle et se mêlèrent au chaos que les explosifs de l'alchimiste avaient provoqué. Le second de l'Obsidienne choisit immédiatement de neutraliser le berserk qui faisait un carnage auprès d'un groupe d'intendants qui tentait de l'encercler. Il maniait sa hache à double tête avec une franche dextérité qui empêchait Valkyon se s'approcher. Nilhem vint à sa rescousse et, sautant sur le dos de Harldur, s'accrocha à lui de toutes ses forces pour immobiliser ses bras. Valkyon se saisit de l'occasion pour le blesser d'une profonde entaille qui traversait son torse de part en part. Mais, alors que les chairs s'ouvrirent et que le sang coulait abondamment, Halrdur ne sembla pas remarquer la plaie, ni sentir la douleur. D'un coup, il envoya les deux Obsidiens voler et le brownie aux cornes de boeuf percuta violemment le mur dans un craquement sinistre. Le sang du chef des Bronzes inonda le sol mais sa fureur continuait de l'animer, son corps et son âme. Il parvint à blesser encore deux gardiens quand le feu bleu de Miiko l'enveloppa. La kitsune grimaçait alors que le berserk se débattait toujours comme un beau diable pour s'en libérer. Finalement, ce fut Janaz qui réussit à le neutraliser d'une simple pince dans le cou qui interrompit le sang jusqu'à son cerveau. Le corps du berserk s'effondra au sol, face contre terre dans la flaque de sang qui continuait à se répandre sous lui. Sa chute précipita l'arrêt des combats. Leur chef abattu, les bronzes rendirent leurs armes, soulagés.

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Aussitôt le combat terminé dans la grande salle, les gardiens d'Eel se mirent à dénicher le reste des Amendois pour les arrêter. Janaz, Miiko et Ezarel retrouvèrent Florelle, Leiftan et Elir dans la salle du cristal. Leur situation était assez cocasse.
Les deux gardiens d'Eel étaient assis à même le sol, Elir toujours tenue fermement par l'Étincelant, une lame contre la gorge, face à une vingtaine d'ennemis qui les tenaient en joue. Ils attendaient tous sagement de voir, qui d'Amendo ou d'Eel avait gagné le duel. En comprenant qu'ils avaient échoué, Elir ordonna aux soldats de faire tomber les armes et pria l'indulgence de la kitsune. Tous furent évacués et Florelle, dont le coeur palpitait encore furieusement dans sa poitrine, se laissa glisser au sol. Leiftan, à ses côtés, s'autorisa quelques secondes de pause.

— Si seulement on pouvait aller se coucher, lâcha-t-il en soupirant.
— On est loin d'être couchés...

Leiftan gloussa et, après un soupir dernier, se releva. Florelle se redressa à son tour avec l'aide de l'Étincelant et partit à la recherche de ses compagnons. Elle trouva Valkyon dans la la salle de bal où le second supervisait le transfert des nouveaux prisonniers vers les geôles. En débarquant dans la salle, le regard de la sorcière embrassa le carnage : une immense flaque de sang qui tachait le centre, le buffet renversé, la vaisselle brisée, les blessés qui n'avaient pas encore été pris en charge et ceux, hagards, qui ne s'étaient pas encore remis du choc.

— Florelle, j'ai besoin que tu recenses les gardiens de chaque garde, ordonna Valkyon qui gardait son sang froid malgré le chaos. Commence par l'infirmerie.

La sorcière se força à retrouver ses esprits et ne pense pas aux potentiels morts, et blessés. Elle obéit.
Toutefois, elle remarqua que Lance n'était nulle part en vue et son coeur s'emballa. Était-il blessé ? Pire ?

Dans l'infirmerie, c'était le brouhaha le plus complet. Il y avait aussi bien des gardiens, d'Eel et d'Amendo, des intendants et des soignants. Certains essayaient de trouver une place, d'autres se frayaient un chemin parmi la foule, compresses en main. Il y avait des cris de colère, de douleur et des pleurs. Et parmi toutes les voix, il y en avait une que Florelle aurait reconnu entre mille et qui la soulagea : Lance qui râlait.

— Je dois aller voir mes hommes ! s'échauffait-il.
— Tu ne dois voir personne avec cette blessure ! renchérit Eweleïn sur le même ton. Vous êtes tous pareil ma parole !

Florelle se rassura immédiatement, elle évolua parmi les autres et rejoignit le lit où Lance, torse nu, était assis, une profonde entaille à l'épaule. Son visage, marqué par l'agacement, se détendit immédiatement lorsque son regard bleu de glace tomba sur Florelle.

— Tu vas bien ? s'enquit-il d'un air soulagé en lui frôlant la main du bout des doigts.
— C'est à toi qu'il faut demander ça, sourit-elle.
— Une cicatrice, rien de plus, minimina-t-il.
— A deux centimètres près, le nerf brachial était sectionné et tu aurais un bras impotent ! éructa toujours Eweleïn.

La soignante en chef, encore vêtue de ses beaux atours cérémoniels, appliqua une compresse et banda l'épaule de l'Obsidien pour finalement accepter de le libérer. Comme un automate, elle passa au patient suivant.

— Je suis soulagée que tu ailles bien, exprima Florelle, un peu émue du contre-coup qui menaçait de l'envahir.
— Je vais bien, la rassura-t-il en lui prenant la main. Mais nous devons nous ressaisir, la garde a besoin de nous.

La sorcière eut envie de plus de réconfort, au creux de ses bras, mais se retint. Lance avait raison et elle devait garder la tête froide. Les Obsidiens se quittèrent et Florelle débuta son recensement. Il y avait trois morts parmi les Eeliens, un gardien et deux intendants qui avaient voulu s'échapper, une vingtaine de blessés, dont cinq graves et notamment Nilhem qui avait été violemment projeté contre un mur.

Les autres blessés n'écopaient que de plaies minimes ou des brûlures légères provoquées par les bombes neutralisantes de l'Absinthe. Chez les Amendois, les blessés étaient plus nombreux, mais il n'y avait pas de cas grave, à l'exception de Harldur, dont la plaie géante ne l'avait pourtant pas arrêté. Il était le prochain sur la liste de ceux à opérer, après le brownie aux cornes de boeuf.
Les autres Bronzes, et la chef de l'Argent furent conduits vers les prisons du château qui n'avaient jamais été aussi pleines, environ soixante-dix soldats pour un plan de cette envergure. Amendo aurait pu réussir avec des soldats plus entraînés, mais ce n'était qu'une tentative désespérée qui avait encore une fois échouée.

Une fois sa tâche achevée, Florelle se recueillit auprès de Nilhem avec ses autres camarades. La force avec laquelle il avait été projeté contre le mur avait entraîné des fractures multiples et des hémorragies internes. Le taureau avait subi de lourdes interventions pour limiter les dégâts mais les chirurgiens n'avaient malheureusement rien pu faire pour sauver sa colonne vertébrale. Si l'Obsidian se réveillait, il serait handicapé à vie, paralysé de ses jambes. Lui qui venait d'être promu en serait fou de rage, mais au moins, il serait vivant... C'était ce à quoi Florelle pensait... Du gâchis, ni plus ni moins.

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Deux jours après l'échec des Amendois, et deux jours de négociations avec la garde d'Or, les soldats du Bronze avaient été rapatriés chez eux. Harldur s'était remis de ses blessures mais, avec Elir, ils restaient prisonniers exceptionnels d'Eel, jusqu'à ce que l'Étincelante n'envisage leur retour. La cité d'Amendo accepta de signer un traité de paix qui les privait de garde et ils acceptaient d'être sous la supervision de l'Étincelante pour les cinq prochaines années.

Les traîtres à Eel eurent différents traitement selon leur implication dans l'invasion de la cité. Ceux qui avaient été forcés ou menacés, à l'instar de Sopia, ne furent pas emprisonnés mais exilés et ils avaient interdiction de revenir sur le territoire d'Eel. Ceux qui avaient été payés ou qui voulaient se venger personnellement de traitement qu'ils jugeaient dégradants, comme Karuto, avaient été jugés et emprisonnés pour plusieurs années ou condamnés au bagne.

Le bilan des morts s'était alourdi avec un gardien de l'Absinthe et Nilhem qui n'avait pas survécu, une nouvelle hémorragie avait eu raison de lui et toute l'Obsidienne en restait marquée et peinée.

Les funérailles du taureau avaient eu lieu le matin même. Lance, dans son bureau, soupira lourdement. Il avait tenu les mains de la mère du brownie pendant tout le cérémoniel. Elle avait perdu son fils aîné et, alors qu'elle aurait dû se réjouir de sa promotion, elle pleurait sa mort.
Encore un aspect de ce travail qu'il détestait. Le chef des Obsidiens allongea ses jambes sur son bureau et laissa tomber sa tête dans la paume de sa main. L'ambiance de la garde état morose, les décès, les blessés et ce sentiment idiot de s'être fait si facilement avoir, culpabilité, colère... Il faudrait du temps pour que les cicatrices ne disparaissent.
Machinalement, Lance porta sa main à son épaule. Il étirait sa peau et massait son articulation plusieurs fois par jour mais cette blessure-là aussi sera longue à guérir.
Quelques coups furent frappés contre le bois de la porte du bureau et Wila apparut. La sirène guerrière n'avait reçu que quelques hématomes sans gravité et avait bien aidé ses camarades à remonter la pente en écoutant leurs peurs, leur sentiment de vulnérabilité et les blessures psychologiques.

— Ça va ? s'enquit-elle.
— Et toi ? éluda-t-il.
— Difficile. C'était juste et beau ce que tu as dit lors de la cérémonie
— C'était la vérité. Nilhem était un élément prometteur et il est mort en héros pour Eel.

Lance se leva et alla au mini-bar, il avait besoin d'un verre et en proposa un à Wila qui accepta.

— Je voulais aussi te remercier, reprit-elle. Sans toi, je serais aussi sûrement morte.
— Ne dis pas ça. Tu t'es bien battue.

Lance revint au bureau contre lequel la sirène s'était adossée. Il posa son verre près d'elle et vida dans sa gorge celui qui lui était destiné. Une agréable chaleur se répandit le long de son oesophage et dans le creux de son estomac.

— Tu m'as sauvée la vie et je ne sais pas comment te remercier, murmura-t-elle, les prunelles brillantes de reconnaissance.
— Tu n'as pas besoin.
— J'insiste.

La guerrière commença à déboutonner son chemisier et dévoila une brassière en tissu si fin que Lance pouvait apercevoir le contour de ses mamelons. Le chef déglutit difficilement, silencieux, observateur. Les lèvres vert émeraude de la sirène, sa peau écaillée et fraîche, les rondeurs de ses seins, son odeur d'iode et de soleil et son regard troublé... Lance eut envie de déposer ses lèvres contre son cou, de sentir la fermeté de ses cuisses autour de sa taille. Il se sentait à l'étroit, avait envie de se saisir de la jeune femme, de se libérer des ténèbres pour s'imprégner de vie.
Pourtant, un frein l'empêcha d'assouvir cette pulsion, son coeur ne battait pas en harmonie avec le reste de son corps et l'image de Florelle dans sa robe verte, ses cheveux tressés et entourée des fragrances de fleurs vint le hanter. Aussi délicatement que possible, il prit les pans du chemisier de la gardienne pour le refermer sur elle.

— Je suis désolé, je ne peux pas, s'excusa-t-il avec douceur.

Il sentit l'émotion étreindre Wila, il voulut la prendre dans ses bras mais, vexée, elle le repoussa et quitta le bureau en serrant contre elle son vêtement entrouvert. Lance secoua la tête et les bras ballants, il se retrouva à nouveau impuissant. Il ne pouvait rien faire contre le coeur qu'il venait de briser. Il eut envie d'un autre verre, voire de la bouteille entière. Finalement, il se refusa à choisir la facilité. Il quitta le bureau et avec lui, toutes les responsabilités qui lui incombaient. Il passa dans le couloir des chambres des gardiens et hésita à s'arrêter à celle de Florelle. Était-elle là derrière la porte ? Il avait envie de toquer, d'y entrer, de retrouver du réconfort par sa présence mais il ne fit rien de tout cela. Il avait interdit à Wila de l'aimer, alors qu'est-ce que lui donnait le droit d'aimer Florelle ?
Il retourna au bureau et saisit la bouteille par le goulot.

[Eldarya] [Lance]Le Sang des SorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant