Chapitre Vingt-Trois - Trahisons

133 16 0
                                    

Lorsque Lance et Florelle pénétrèrent dans la salle du cristal, la sorcière sentit le regard de Nevra sur elle mais ne sut l'interpréter. Elle espérait simplement qu'une fois promue officier, elle aurait accès à plus d'informations concernant la migration des sorcières, et sur les secrets de ses consoeurs.

Les dernières personnes à pénétrer dans la salle furent Huang Hua et Zifu. Depuis leur arrivée, les Ren-Fenghuang participaient de plus en en plus à la vie de la cité et à celle de la garde autant sur le volet politique, offensif ou défensif et pour chaque mission sensible, Miiko consultait toujours la Phénix, ce qui n'était pas toujours au goût de Lance.

— Bien, nous sommes ici pour choisir le nouveau second de la garde d'Obsidienne, déclara Miiko solennellement. Les membres de la garde ont élu Florelle Blackhill à ce poste et nous allons voter pour savoir qui est en faveur ou en défaveur de cette décision. En cas d'égalité, le vote collectif de la garde prime. Tout d'abord, ceux en faveur.

Le vote se faisait à main levée et trois mains se détachèrent : celle de Nevra, d'Alté et de Leiftan. Florelle, qui n'était pas surprise de ne pas avoir les votes de Miiko ou d'Ezarel, ne savait pas prédire la décision de Janaz. Mais à trois contre trois, c'est le vote interne de l'Obsidienne qui primait.

— Ceux contre.

Ainsi sans surprise, les mains des trois chefs se levèrent et Lance retint un sourire avant qu'il ne s'évanouisse. Sur leur gauche, Huang Hua et Zifu levèrent la main et le mogwai eut un rictus de franc contentement sadique.

— De quel droit les Ren-Fenghuang votent-ils ? Je pensais que leur avis était consultatif et non obligatoire, s'insurgea Lance.
— Nous possédons un droit de véto depuis toujours et puisque la cité d'Eel nous consulte ce jour, nous souhaitons l'exercer et voter contre cette décision.

Le dragon lança un regard à Miiko qui se détourna.

— Trois votes pour, trois contre et un véto. Nous rejetons le choix du second de l'Obsidienne.

Tel un marteau frappant le bois, la décision était prise.

— Avez-vous au moins des arguments ? clama Florelle dont le sentiment de trahison la poussait à avoir des explications.
— Tu n'appartiens pas ni à la garde, ni à ce monde depuis assez longtemps pour connaître toutes les subtilités, c'est indispensable, expliqua Miiko d'un ton qui se voulait faussement conciliant.
— Et puis votre situation personnelle joue contre vous, enchaîna Ezarel qui ne cachait pas sa satisfaction. Je pense que vous avez fait une erreur en choisissant de vous mettre en couple et de l'avoir officialisé, cela nuit et nuira à l'avancement de Florelle au sein de la garde.

La sorcière serra les dents, croire que son histoire avec Lance était un frein, c'était un mensonge éhonté, une raison plus que la vérité.

— Et enfin, remarqua Miiko, l'Obsidienne a vécu beaucoup de perturbations depuis l'arrivée de Florelle à Eldarya, la mort de Borus, la guerre avec Amendo pour les montagnes du Wigné, la mort de Valkyon, la recrudescence de signalement de sorcières... Nous pensons que cette garde a besoin de stabilité donc nous avons décidé, en accord avec les autres chefs, de nommer Zifu comme nouveau second de l'Obsidienne.

Il y eut plusieurs longues secondes de sidération avant que Lance ne réagisse.

— Je refuse ! clama-t-il véhément.
— Tu peux accepter ou bien laisser ton rôle de chef, contra la kitsune. La décision est prise.

Florelle pouvait sentir son chef bouillir intérieurement et une aura de colère l'envelopper.

— Laisse tomber, ça ne vaut pas que tu risques ta place !

Lance ne répondit pas et se contenta de tourner le dos à l'assistance et de quitter la salle du cristal sous le regard pétillant et malicieux de Zifu. L'assemblée se dispersa et Florelle quitta à son tour la pièce et, dans un couloir, fut happée par un bras dans un recoin discret. C'était Nevra.

— Ils vous ont collé Zifu dans les pattes pour vous surveiller, l'informa-t-il. Ils veulent vous forcer à arrêter l'enquête sur Valkyon.
— Personne ne nous arrêtera... Cela veut dire qu'ils sont au courant ou pire, qu'ils sont complices...
— Vous devriez faire profil bas en attendant de retourner dans leurs bonnes grâces, conseilla Nevra, mais si je peux, je vous aiderais à trouver qui a fait ça.
— Merci Nevra.

Les deux gardiens se quittèrent comme si de rien et la sorcière rejoignit Lance au Bastion d'Ivoire. Les autres étaient dans l'arène, leur entraînement arrêté, ils s'étaient attroupés et s'interrogeaient, visiblement inquiets.

— Que se passe-t-il ? questionna Florelle à ses collègues.
— Le chef est revenu, visiblement hyper furax. Il est dans la salle de muscu' en train de se péter les bras, je l'ai jamais vu aussi énervé... expliqua Caméria. Qu'est-ce qu'il s'est passé là-bas ?
— Ils n'ont pas validé ma nomination au poste et ils nous ont forcé la main à accepter Zifu comme second de la garde d'Obsidienne.
— Quoi ?!
— Il est hors de question qu'un larbin des Ren-Fenghuang soit notre officier ! râla un autre.
— Il n'appartient même pas à l'Obsidienne !

Tous les gardiens présents manifestaient leur refus virulent envers Zifu qu'on leur avait imposé sans raison. Florelle était totalement d'accord mais cet ultime affront était plus que suffisant pour elle. Elle devait réagir.

— Arrêtez, ne soyez pas stupides ! les calma-t-elle. Maintenant, Zifu est votre second, il va vous surveiller, fouiller partout et remuer la merde mais vous n'avez rien à cacher ! Vous allez tous continuer votre travail normalement. Vous allez lui rendre des comptes à chaque mission, vous allez le respecter même si cela vous retourne l'estomac ! Nous sommes l'Obsidienne et c'est pas lui qui changera quoique ce soit ! "Honorables guerriers courageux et droits", n'oubliez pas qui vous êtes !

Les gardiens fixèrent leur collègue, le visage soucieux mais tous savaient que Florelle avait raison. Il ne fallait pas donner à Zifu des raisons de se plaindre de l'Obsidienne.

— Ce n'est qu'une mauvaise période à passer et nous allons réussir à la surmonter. Vous êtes les meilleurs gardiens que je connaisse et je vous fais confiance pour agir de la manière la plus respectable possible !

Derrière elle, des applaudissements solitaires retentirent tonitruant dans le silence. Florelle, comme tous les Obsidiens, se tournèrent vers le spectateur.

— Bravo bravo, mademoiselle Blackhill. Ce discours est des plus motivants. Je comprends pourquoi les vôtres vous avaient choisie en premier lieu.

C'était Zifu qui venait de rejoindre l'arène du Bastion, toujours vêtu de sa tenue traditionnelle bleue et de ses gants blancs immaculés, ses cheveux gris tirés en un chignon impeccable et sa fine moustache rehaussant un air hautain insupportable. Il avait beau paraître pour un individu honnête, personne n'oubliait que c'était un mowgai, une créature maligne aux intentions retorses. La sorcière serra les mâchoires et, se tournant vers lui, s'adressa avec le plus de déférence possible.

— Je propose de vous faire le tour du Bastion d'Ivoire, et vous montrer votre nouveau bureau, si vous le souhaitez.
— Avec plaisir, pour les autres, retournez à vos activités.

Les Obsidiens se détournèrent et reprirent leur entraînement mais avec moins d'enthousiasme. Ils échangèrent des regards perplexes voire méprisants envers l'homme de main des Phénix. Une fois Zifu à l'écart, les conversations reprirent, bien plus que les coups échangés. Florelle guida son nouveau supérieur à travers le Bastion, l'office, la salle d'armes, les salles de musculation, les dortoirs, la salle commune...

— Vous êtes de loin la sorcière la plus éduquée et courtoise que je n'ai jamais rencontrée, remarqua-t-il. J'ai plus souvent croisé la route de sauvageonnes qui vivaient comme des parias, au coeur de la forêt à dormir avec des meutes de loups ou dans des terriers de belettes. Mais je vous parle là d'une ère que je croyais révolue.
— J'espère changer la façon dont vous percevez les autres femmes de mon appartenance.
— Il n'y a aucune chance, rétorqua Zifu. Si j'avais eu mon mot à dire à l'époque où Miiko a accepté de vous intégrer à la garde d'Eel, vous seriez déjà morte et enterrée depuis longtemps.
— Vous n'êtes pas le premier à m'avouer vos fantasmes de me voir morte et pourtant, je suis toujours là.
— Faites attention à vos arrières Mademoiselle Blackhill. Aucune sorcière n'est ressortie vivante d'entre mes griffes...

La menace était plus qu'évidente et laissait suggérer également que Zifu avait participé à la chasse et à la mort de sorcières dans le passé. Au même moment, Lance apparut dans le couloir qui menait au bureau de commandement du Bastion. Il avait sa chemise noire entrouverte, laissant apercevoir son torse couvert d'une pellicule de transpiration, signe qui suggérait qu'il venait de se défouler librement contre un sac de frappe pour tenter de refluer la colère qui l'avait envahi un peu plus tôt. Pourtant, il semblait toujours débordant de rage et son regard suffisait à glacer quiconque le croisait.

— Vous, dans mon bureau, désigna-t-il à l'intention de Zifu.

Il n'adressa pas un regard à Florelle qu'il ignora simplement. Le chef voudra sûrement mettre les choses au clair avec le nouvel Obsidien qu'on lui avait imposé. Il devait aussi réaffirmer sa position de supérieur, quel que soit l'âge ou le rang du mogwai. Florelle avait la boule au ventre, elle était persuadée que la décision d'imposer Zifu au sein de la garde était en lien avec leur enquête sur la mort de Valkyon. La coïncidence était trop grosse... Ici, elle n'obtiendrait pas plus de réponses. Ici, elle serait surveillée de près, et même menacée par Zifu ou Ezarel qui verrait ses projets de meurtre revenir sur le tapis. Sa sécurité n'était plus assurée au sein d'Eel.

▲▼▲

Lance déboula dans sa chambre bien après la tombée de la nuit. Il était resté tard au Bastion, même une fois Zifu parti. Le chef avait encore couru dix kilomètres dans un parcours d'endurance à l'extérieur de la cité pour tenter d'évacuer la tension qui menaçait de lui faire péter les plombs.
De quel droit Miiko approuvait que les Fenghuang décident d'imposer Zifu à la garde d'Obsidienne et, surtout, pour des motifs qu'il jugeait fallacieux ? Tout ça, c'était pour punir Lance, parce qu'il remettait en cause la raison de la mort de Valkyon. Est-ce que le conseil savait que Florelle et lui enquêtaient secrètement sur la mort de son frère ? Est-ce qu'ils tentaient de se protéger ? Avaient-ils un rôle à jouer dans cette affaire ?

Toutes ces questions ne faisaient que renforcer sa frustration et son irritabilité. Il n'avait envie que d'une chose, retrouver Florelle et profiter de sa présence réconfortante pour tenter de lâcher prise.
Malheureusement, la sorcière n'avait pas les mêmes projets en tête.

Dans sa chambre, elle était assise sur le petit fauteuil qui jouxtait la grande fenêtre de la pièce. Il faisait nuit noire et, pourtant, elle scrutait l'obscurité comme si elle pouvait discerner quelque chose à l'extérieur. Elle était en tenue d'excursion, ce qui interrogea le chef.

— Que fais-tu ? demanda-t-il.
— Je t'attendais.

Lance la questionna du regard, avant de constater que Florelle avait disposé dans un coin un petit bagage.

— Il y a deux jours, j'ai rencontré quelqu'un ici à Eel... avoua-t-elle. Ma cousine Mélina est en vie.
— Quoi ? Je pensais qu'elle avait péri durant l'incantation de l'ouverture du portail.
— Moi aussi, mais il semblerait qu'elle enquête sur la disparition de sorcières qui auraient été capturées et envoyées au phare de Diiios, poursuivit-elle. C'est là qu'elle nous a repérés et m'a suivie jusqu'ici.
— Elle a réussi à pénétrer dans la cité ?

Florelle hocha la tête.

— J'ai décidé d'aller la rejoindre, elle et plusieurs autres sorcières.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Tu veux quitter Eel ?
— Juste pour quelques jours et j'ai besoin que tu me couvres. Je trouverai là-bas des réponses que je ne trouverai pas ici...
— Mais et l'Obsidienne ? Tu comptes nous trahir ? s'exclama Lance.
— Jamais je ne trahirai l'Obsidienne ! C'est ma famille ! Autant, voire plus que Mélina ! Mais c'est Eel qui m'a trahie, le conseil, Miiko, les Phénix ! Tu les as entendus comme moi ! Je n'aurai jamais de poste à responsabilités au sein de la garde et ce n'est pas parce que toi et moi nous sommes ensemble. C'est parce que je suis une sorcière et je deviens gênante.

Lance resta muet quelques instants en imaginant la situation, Florelle absente, Zifu sur son dos... Mais la sorcière avait raison. Si le conseil avait décidé de leur mettre des bâtons dans les roues, il fallait jouer au même jeu qu'eux et se montrer plus malin encore.

— Promets-moi de faire attention.
— Je te le promets, toi aussi fais attention Lucas. Je t'aime.

Lance ne répondit pas mais enlaça Florelle avec force avant de l'embrasser d'un baiser chargé d'amour. Après un dernier regard, elle quitta la chambre avec son paquetage.

[Eldarya] [Lance]Le Sang des SorcièresWhere stories live. Discover now