Chapitre Quarante - Sombreaux

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Dix jours s'étaient écoulés depuis la dernière attaque et le Béryl avait renforcé la sécurité de la cité. En plus des patrouilles, quatre gardiens étaient d'astreinte toutes les nuits pour intervenir en cas de renfort.

Mélina dormait dans une petite alcôve près de son bureau, elle y avait installé un coussin grand et moelleux dans lequel elle dormait sous forme de Minaloo. Au milieu de la nuit et alors qu'elle dormait depuis moins d'une heure, une alarme retentit.
Un système astucieux de cloches à activation manaanéenne courait sous la cité et en quelques secondes, les trois gardiens et elle quittèrent la Crypte pour rejoindre le lieu de l'intervention.

L'indicent se déroulait en plein centre de Cierna, dans une petite rue pavée et cernée de chaque côté de maisons étroites aux fenêtres éclairées. Deux gardiens du Beryl et deux de l'Onyx sécurisaient les lieux et empêchaient les curieux de s'approcher. Parmi eux, Nevra. Mélina aboya et son second s'accroupit à sa hauteur.

— C'est une jeune sorcière de 15 ou 16 ans, elle s'appelle Eya. La crise a débuté depuis une vingtaine de minutes. Nous avons fait évacuer la maison, elle est en train de la saccager mais pour l'instant, nous n'avons qu'un blessé léger.

Le vampire désigna du menton un homme, un petit kobold entouré des membres hétéroclites de sa famille. Quand la cité avait ouvert ses portes, beaucoup de Faeries étaient arrivés à Cierna et des familles s'étaient composées ou recomposées, adoptant parfois des orphelins et offrant amour et protection.

À l'étage, une vitre explosa au même moment et une chaise se fracassa près d'eux. Mélina entendit les cris de rage mêlés au remue-ménage furieux. La cheffe du Béryl lança un jappement et aboya encore une fois, message que Nevra comprit.

— Il faut la capturer sans la blesser, traduisit-il au reste de l'équipe.

Les huits gardiens pénétrèrent prudemment dans la maisonnette à étage, Nevra coordonna l'approche le plus silencieusement possible. Mélina détailla superficiellement l'environnement, la famille venait sans doute de terminer leur repas, un couteau en évidence l'alerta et elle grogna.

— Soyez vigilants, c'est une sorcière et nous ne connaissons pas ses pouvoirs.

À l'étage, il y avait deux chambres et la sorcière en crise avait déjà fait son oeuvre dans la première. À pas de loup, les gardiens entourèrent l'encadrement de la porte qui avait disparu. De part et d'autres, Nevra lança une validation silencieuse à sa cheffe et en même temps, ils se glissèrent dans la chambre. La jeune sorcière leur tournait le dos, elle était en train d'éventer un matelas et se retourna pour faire face aux intrus. Elle paraissait vraiment jeune avec sa silhouette frêle, ses cheveux noirs et bouclés et quelques taches de rousseurs sur le nez. Cet air angélique tranchait avec son apparence débraillée, ses yeux injectés de sang, l'écume à ses lèvres et la rage qui se lisait sur ses traits.

— Eya, tout va bien. On est là pour t'aider, l'apaisa Nevra.

Elle porta toute son attention sur le vampire et Mélina en profita pour se jeter sur elle mais sans comprendre comment, elle se retrouva projetée contre le mur.

— Elle contrôle les flux d'air ! cria une gardienne de l'Onyx.

La cheffe du Béryl était sonnée mais elle pouvait voir Eya envoyer voler tous les éléments qu'elle avait à porter de main : le cadre d'un lit, les tessons de porcelaine, d'un broc cassé. Les gardiens évitaient et paraient les projectiles mais ils n'avaient pas d'angle pour attaquer. Mélina avisa une planche en bois et l'envoya sur leur agresseur, touchée à la tête. Elle aboya pour attirer son attention et, dès qu'Eya fit un pas vers elle, trois gardiens se précipitèrent pour la maintenir. Ils avaient réussi à l'attraper mais d'un cri perçant, la jeune fille les repoussa tous les trois. Deux percutèrent un mur et Nevra traversa la fenêtre. Mélina entendit l'impact et le cri de son second lorsqu'il percuta le sol. Enhardie, elle se transforma en Sersea, sauta crocs en premiers vers la cheville de la jeune sorcière qui grogna à peine sous le coup de la douleur. Puis elle entoura tout son corps reptilien autour d'Eya, jusqu'à son cou et serra sa prise jusqu'à ce qu'elle soit privée d'air. Quand enfin la sorcière s'écroula au sol, Mélina desserra sa prise, essoufflée et laissa les autres le soin de l'attacher solidement. Elle reprit difficilement l'apparence du Minaloo et trottina jusqu'à l'extérieur. Nevra était assis contre un mur, vivant et grimaçant mais il lança un sourire goguenard à sa cheffe.

— Je prends des coups avec toi... Je vais peut-être envisager de retourner à Eel.

Le minaloo souffla par le museau et regarda les autres évacuer Eya. Le vampire se leva mais Mélina grogna dessus pour qu'il reste calmement assis, il l'ignora.

— Qu'est-ce que vous allez faire d'elle ? questionna le père de la famille, inquiet.
— C'est une très gentille fille, serviable en plus. On l'a accueillie dès son arrivée, elle n'avait jamais causé le moindre souci, renchérit la mère.
— Ne vous inquiétez pas, les rassura Nevra. Nous voulons la soigner. Grâce à elle, nous pourrons peut-être comprendre ce qui s'est passé et nous allons la guérir. Est-ce que vous avez des amis ou de la famille pour passer la nuit ?

Dans la rue, une vingtaine de personnes avait assisté à la scène et une voisine se proposa de les accueillir quelques jours.

— Nous vous donnerons des nouvelles dès que nous en saurons plus. Prenez soin de votre famille.
— Merci, merci beaucoup.

Mélina observait Nevra apaiser ces gens avec beaucoup de douceur et de bienveillance et elle s'oublia quelques instants à un sentiment d'admiration adolescente. Les gardiens quittèrent les lieux, Nevra et Mélina sur leurs talons. La sorcière se changea en Seifaun et poussa du museau le vampire qui se tenait les côtes geignant.

— Ça va aller, je peux marcher.

Elle mâchouilla l'une de ses mèches de cheveux pour insister.

— Aie, mais t'es chiante quand tu t'y mets !

Il était sur le point de renchérir quand des éclats de voix les alertèrent. C'était les gardiens qui transportaient Eya.

— Que se passe-t-il ? se précipita Nevra.

La captive convulsait, les yeux révulsés, du sang écumant d'entre ses lèvres, elle hoquetait comme si elle s'étouffait.

— Détachez les liens ! ordonna le vampire.

Ils s'exécutèrent mais son corps était pris de spasmes incontrôlables. Quand enfin, elle s'arrêta de bouger, un dernier souffle franchit ses lèvres et sa poitrine s'abaissa, inerte. Mélina jura et reprit forme humaine. Accroupie et nue, elle débuta un massage cardiaque sous le regard interdit des autres.

— Allez chercher un Améthyste de soin ! Vite ! cria-telle.

Un gardien se détacha et courut vers le château. Mélina effectua alternativement des compressions sur sa poitrine et souffla dans sa bouche à plusieurs reprises, puis Nevra intervint d'une voix la plus douce possible.

— Mél, arrête. Ça ne sert à rien.
— Non ! Je ne dois pas arrêter !
— Elle est partie.
— C'est une gamine putain !

Le vampire détacha sa longue veste noire et s'accroupit près de sa cheffe, l'enroula du vêtement et la poussa à reculer.

— Arrête, s'il te plait, lui intimida-t-il.

Il prit ses mains et l'étreignit doucement. Mélina se retrouva dans ses bras à fixer, abasourdie, le visage de la nouvelle victime.

— Dis moi qu'on trouvera un remède et qu'on arrêtera tout ça, murmura-t-elle.
— Je te le promets.


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La cheffe du Béryl se sentait épuisée mais incapable pour autant de pouvoir s'allonger. Elle avait tenu à accompagner le corps d'Eya jusqu'à l'Académie de Magie et avait demandé à faire réveiller expressément Leiftan et Denreli. Il était impératif de découvrir ce qui était arrivé à cette jeune fille. Puis elle était retournée à la Crypte, avait briefé les équipes de patrouilles et avait rédigé son rapport dans les moindres détails. En relisant sa conclusion, elle sentit l'émotion l'envahir mais elle ravala sa peine et chassa les larmes qui menaçaient.

Enfin, elle rejoignit l'unité de soin et Nevra, qui buvait un cocktail d'antidouleurs, de vitamines et de sang. Il était assis au bord d'un lit, torse nu et ses côtes serrées d'un bandage.

— Comment tu vas ? s'enquit-elle en s'approchant.
— Trois côtes fêlées mais j'en ai vu d'autres. Je vais être rapidement opérationnel.
— Non, prends quelques jours pour t'en remettre.
— Je te dis que ça va aller...
— C'est un ordre !

Consciente de son emportement injustifié, Mélina soupira et porta son attention à tout autre chose.

— Et toi ?

La question Nevra faillit lui faire à nouveau monter les larmes aux yeux mais une pomme la distraya. Elle croqua dedans en haussant les épaules comme réponse.

— T'es pas obligée de faire ça avec moi, reprit le vampire.
— De faire quoi ?
— De faire croire que ça ne t'a pas atteint. C'est normal de ressentir ça, tu peux me parler. Toi et moi, on est une équipe.

Mélina se mordit l'intérieur de la joue, prête à se confier mais Florelle arriva au même moment en s'excusant d'interrompre leur conversation.

— C'est rien, répondit sa cousine, soulagée de son intervention.
— J'ai appris ce qui est arrivé, c'est affreux. Elle était si jeune.

Florelle vit le visage de Mélina et vint la prendre dans ses bras. Sans la présence du vampire, elle aurait ouvert les vannes mais elle se contenta d'accepter l'étreinte en fermant violemment les yeux qui renfermaient des larmes traîtresses.

— Il ne faut plus attendre, relança Florelle tout bas. Tant pis si Terry ne veut pas mais il faut aller enquêter à Sombreaux.
— Je peux pas laisser la garde seule, refusa Mélina à regret.
— Nan mais je suis là ! se fit rappeler Nevra malgré les messes-basses. Je peux faire mon boulot.

Les cousines regardèrent le vampire assis sur le rebord du lit.

— Je ne sais pas ce que vous fabriquez avec vos secrets mais si ça peut aider à régler cette merde, il faut pas réfléchir. Je ne suis pas vraiment à l'aise quand je vois des gamines mourir sous mes yeux.


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⏰ Dernière mise à jour : Aug 03, 2023 ⏰

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