— Je suis amoureuse, vous savez, avoué-je à mi-voix. Et... lui aussi, je crois. Mais on est pas ensemble, hein, précisé-je d'un ton pressant. Pas pour l'instant. Mais qui sait, peut-être que c'est bientôt le moment. Je n'ai plus peur de ça, non plus. Qui l'eut cru.

Je souris, m'imaginant leurs yeux écarquillés et l'expression estomaquée qu'ils auraient eu. J'aime à penser qu'ils se moquent de moi ensemble, en cet instant même.

— J'ai fini le lycée, vous vous rendez compte ? Et je ne serai pas là de l'été. Désolée, je reviendrai après. Ça m'aidera peut-être à trouver ma voie, cette nouvelle aventure. Sur des bases seines, cette fois. Ça ne peut qu'aller mieux, non ? Le temps guérit tout. (J'inspire doucement.) Mais je ne suis pas encore guérie, toujours un peu cassée. Je mettrai sûrement longtemps à guérir, et je sais qu'une partie de moi ne le fera jamais. Mais ça ira.

Je frissonne, et dessine du bout des doigts des formes invisibles sur la pierre froide de leurs tombes.

— Je vais aller mieux, alors ne vous inquiétez pas pour moi. J'irai bien. J'ai enfin espoir. Maman, Papa, Sarah, vous pouvez dormir tranquillement.

Je sens les larmes rouler jusque dans mon cou et des fourmillements parcourent toute mon échine. J'aimerais, à ce moment, les serrer contre moi pour leur dire au revoir, sentir une dernière fois leur chaleur et les rassurer en souriant dans leurs bras.

Je ferme les yeux, et derrière mes paupières, je vois passer d'innombrables images. Je les accumule pour éclairer les dernières que j'ai d'eux. Car à cet instant, je ne parle pas aux personnes que j'ai vu en ouvrant les yeux dans la voiture. Je parle à celles qui existaient avant, qui existeront toujours en moi. Que personne ne connaîtra plus jamais, mais que je connaîtrai toujours. Qui, même quand je voudrai les oublier parce que la douleur sera trop grande, resteront là, à mes côtés, dans chacune de mes pensées, chacun de mes choix. Dans l'ombre, dans le silence, invisibles. Ils me feront mal, mais me rappelleront à chaque fois que la douleur en vaut la peine.

Parfois, je me dis que je suis un peu plus vivante que les autres. Que, parce que j'ai vu la mort de si près, je vois la vie d'un peu plus près aussi. Ça doit être ça pour tous ceux qui ont perdu un proche. On imagine qu'on sait ce que ça fait, jusqu'à ce qu'on le vive vraiment, et on remet alors tout en cause. Et une fois qu'on a été en contact avec la mort, on ne peut plus revenir en arrière. On ne peut plus faire semblant. J'ai voulu le faire, il y a longtemps. Avec Malia, je voulais me persuader que je pouvais oublier que j'avais vu la mort. Mais on n'oublie pas. On vit, en sachant ce que d'autres ne savent pas. On vit avec la mort qui nous suit, et on avance en ayant déjà vu ce qu'il se passe à la fin. C'est assez étrange, impossible à décrire.

Je crois que, bizarrement, j'aurai ainsi moins peur de la mort. Pourquoi pas l'inverse, je n'en sais rien. Peut-être parce que je me rends compte que même après la mort, on vit toujours un peu.

Je ne sais pas combien de temps je reste là, assise en silence devant les tombes de ma famille, mais chaque seconde me paraît soulever un poids dans ma poitrine, enlever une épine de mon cœur. Ça m'a bel et bien soulagée, de parler à trois blocs de pierre.

Lorsque je me lève sur mes jambes flageolantes, j'hésite à me rasseoir. Mais je prends une profonde inspiration, et ça va mieux. Je regarde toujours sans un mot cet endroit où reposent les dernières traces de ma famille. Quoique, je ne suis pas sûre que ce soit ces traces qui comptent le plus. Sereine, apaisée, je leur dis avec douceur :

— Je vous promets que, dans chaque ville où j'irai, je me ferai un souvenir avec vous. Dormez. Écoutez dans votre sommeil quand je reviendrai vous parler un peu. Puis quand vous vous réveillerez, je serai avec vous. Dans longtemps, très longtemps. Et je vous raconterai tout.

Bientôt, je serai plus vieille que ma soeur. Un jour, je serai plus vieille que mes parents. Je ne préfère pas imaginer ce que je ressentirai à ce moment. Mais je suis prête à vivre à leur place. Et quand on sera réunis, je leur dirai tout, tout ce que j'ai vécu avec eux dans mon cœur. Je leur raconterai combien j'ai honoré la vie qu'ils m'ont laissée.

En leur tournant le dos pour m'engager dans les allées du cimetière, je ne ressens étrangement pas l'envie de faire demi-tour. Je garde une main posée sur mon cœur, et l'autre accrochée au pendentif en forme de soleil qu'April m'a donné en me souhaitant bon voyage. Je les ai tous les quatre à mes côtés. Et je les retrouverai le moment venu.

J'arrive sur le parking après quelques minutes, et laisse tomber mes bras le long de mes cuisses. Peinant à respirer, je m'arrête une seconde et les considère tous un à un avant de reprendre ma route.

— C'est bon, tu es prête ?

J'accroche mes yeux à ceux de Tyler, lisant en eux une telle tendresse que je suis obligée de sourire. Derrière lui, dans la voiture, s'entassent Hailey, Joy, Ally, Jason, Scott, Cameron et même Connor. Ils m'attendent, plus ou moins patients, bougeant parfois la tête au rythme d'une musique qui résonne vaguement. Je capte quelques uns de leurs regards, et m'amuse intérieurement du chemin que nous avons tous parcouru.

En reposant mes yeux sur Tyler, j'acquiesce doucement, et je vois son visage s'illuminer de soulagement. J'imagine son excitation. Qui aurait cru que son projet hasardeux et aventureux, proposé à la sortie d'un café, embarquerait tous ses amis aussi vite. Deux mois pour découvrir le pays et se redécouvrir nous-mêmes. Deux mois pour apprendre, enfin, à vivre avec les autres. Avec eux. Avec lui.

— Oui, réponds-je doucement. Allons-y.

FIN

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Oooh qu'est-ce que je suis émue ! J'écris cette histoire depuis tellement longtemps, et j'ai tant de fois pensé que je ne la finirais jamais...

En écrivant cet épilogue, je me suis rendue compte comme j'avais grandi avec Alive, d'une manière très différente qu'avec Différente (lol), et plus intime. Ecrire sur un tel sujet, je crois que ça m'aura beaucoup aidée à extérioriser, et j'espère sincèrement avoir bien retranscrit ces émotions si complexes ♡

Il n'y aura pas de suite, on pourrait le croire mais je pense que ça ne serait pas logique. Cette histoire racontait le moment entre l'ancienne et la nouvelle vie d'Angie, une tranche de son existence dont on connaît peu l'avant et dont on ne peut qu'imaginer l'après :)

Je ne vous remercierai jamais assez de me lire et de me soutenir, de comprendre toujours ce que j'essaie de transmettre ! Sans vous je ne me rendrais pas compte que mes histoires peuvent vivre, et ça, ça n'a pas de prix. Alors je vous dis merci encore une fois infiniment ♡ (et je me remercie un peu moi-même d'avoir réussi à finir cette histoire !)

J'espère que vous suivrez mes prochaines aventures, et j'ai hâte de vous retrouver !

À bientôt ♡

AliveWhere stories live. Discover now