— J'aurais dû vous dire beaucoup plus de choses avant que vous partiez. J'aurais dû vous dire tout le temps que je vous aimais, que j'étais reconnaissante chaque jour un peu plus. J'aurais dû vous dire que peu importe combien de fois on s'engueulait, je ne vous abandonnerais jamais.

En prononçant ces derniers mots, ma voix se brise et je serre les paupières, laissant un spasme me secouer d'un frisson gelé.

— J'espère que vous le savez, maintenant, que je vous aimerai pour toujours et que je ne vous en voudrai plus jamais, sangloté-je.

Je m'arrête brièvement, reprenant mes esprits le temps d'un instant. Je respire profondément, essuie les larmes qui inondent mes joues brûlantes, remettant en ordre les innombrables pensées qui fusent dans ma tête.

— Je ne voulais pas autant pleurer, me lamenté-je en balayant mon chagrin de gestes de la main. Mais c'est vraiment imprévisible, tout ça. Je ne contrôle pas grand chose, mais je crois que je n'ai jamais été douée pour ça, ironisé-je avant de prendre une seconde pour soupirer. Peu importe, c'est comme ça que ça marche, le deuil. Je l'ai compris, ça aussi. Je croyais qu'après... qu'après votre mort, je passerai par toutes les étapes et qu'au final, j'accepterai et je continuerai ma vie. Et ça, ça me faisait peur. J'étais terrifiée. C'est pour ça que j'ai fui si longtemps. Parce que j'avais trop peur de passer par quoi que ce soit en rapport avec vous. De me dire que je devais l'encaisser et vivre comme tout le monde. (Je baisse la voix, soudainement prise de mélancolie.) Je crois que le plus dur n'a pas été de le vivre. Ça a été d'accepter que je l'avais vécu.

Je me mords les lèvres, et constate avec soulagement que je ne pleure plus. Le cœur bondissant dans ma cage thoracique, je continue :

— Le deuil ne s'arrête jamais, en fait. Il va et vient, il peut frapper à tout moment, puis se calmer. Des fois, je suis prise de plein d'espoir et je me dis que je peux très bien vivre avec le simple souvenir de vous. Puis d'autres jours, j'ai simplement envie de vous rejoindre, parce que le manque est trop fort, le vide trop grand. Je ne peux jamais savoir si le lendemain, je me sentirai bien ou si ma tristesse reprendra le dessus. C'est normal, apparemment. « La douleur ne disparaît pas, on apprend juste à vivre avec. » Je comprends enfin ce que ça veut dire. Et la différence aujourd'hui, c'est que je veux bien vivre avec cette douleur. Je veux bien être triste en me rappelant de vous, et heureuse aussi parfois. Je n'ai plus peur de ça, parce que ça fait partie de moi. Je craignais de « passer à autre chose » trop vite. D'oublier trop vite votre voix, votre rire, votre odeur...

Je tremble. J'ai déjà du mal à me souvenir de leur odeur, du son de leur rire lorsqu'il n'est pas sur une vidéo. C'est le plus dur, je crois. Pas de savoir que plus jamais je ne me ferai de souvenirs avec eux. De savoir que peu à peu, les souvenirs que j'ai déjà se troubleront, marqués inévitablement par le temps.

— Mais on ne passe jamais à autre chose, déclaré-je. Vous n'êtes pas sur une page qu'il suffit de tourner et ne plus jamais lire. Vous êtes sur toutes les pages, dans tous les mots. Vous êtes juste silencieux.

J'esquisse un sourire tremblotant.

— Je ne pensais jamais vivre toute ma vie avec un tel poids en moi. Je ne pensais pas en être capable, être assez forte pour traîner ça derrière moi pour toujours. Mais finalement, ça a dû me rendre assez forte. Parce que je crois que je n'aurai plus jamais peur de rien. J'ai déjà vécu le pire, qu'est-ce qui pourrait m'achever ? ris-je en haussant les épaules.

Je déglutis, et lève la tête pour mieux expirer l'air bloqué dans mes poumons. Le ciel est nuageux, bas, peut-être orageux. L'air est pesant, mais pas étouffant. Je délie mes jambes et me mets en tailleurs, abaissant et soulevant ma poitrine avec le plus de calme possible.

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