— Merci, sourit-elle.

Avant d'ajouter :

— C'est... C'est grâce à vous. J'ai pensé à ce que vous m'aviez dit, avec le point d'ancrage, la respiration, tout ça, et... 

Ne sachant pas trop quoi dire de plus, elle se contente de répéter, de la gratitude dans les yeux et dans la voix :

— Merci.

Évidemment, la docteure Javarbel n'est pas aussi soulagée et confiante qu'elle cherche à le paraître devant Oriane. Quelque chose la préoccupe toujours. Cela se voit dans son sourire, de plus en plus proche de la grimace, qui finit en un rictus lorsqu'elle commence à demander :

— Et comment...

Rien qu'en surprenant la direction de son regard, Oriane devine la fin de sa phrase. Alors elle se raidit, prête à montrer les crocs comme une tigresse dont on cherche à toucher les petits. Il y a des choses qu'elle refuse d'entendre de la voix d'un autre, et ceci en fait partie. Sa bouche se crispe, ne maintenant désormais une courbe amicale sur ses lèvres qu'au prix d'un certain effort. Quand elle parle, elle le fait d'une manière qu'elle veut assez polie pour éviter la lutte, mais assez claire pour clore la conversation :

— Ça va bien. Tout va bien.

La médecin ne semble même plus s'en étonner. 

— Vous ne voulez toujours pas en parler ?

— Je vous ai dit que ça allait. »

Oriane ne veut vraiment pas se battre : toutefois, si cette vieille femme commence à en faire exprès...

A la grande satisfaction de la patiente, la docteure Javarbel fait marche-arrière, évoquant plutôt à la place les attrape-rêves, l'ergothérapie, et la vie à l'hôpital d'une manière générale.

Elles parlent ainsi pendant une dizaine de minutes, dans une ambiance sereine qu'Oriane trouverait presque irréelle. Dans un moment d'égarement, Oriane pourrait presque penser que tous les meurtres commis au sein de l'Organisation n'étaient qu'un rêve... N'avoir aucune mort sur la conscience, ce serait si agréable... Trop agréable pour être vrai, en fait.

Inexorablement, la réalité finit par la rattraper, et la docteure Javarbel ramène soudain sur la table, au détour de la conversation, le sujet qui la préoccupe tant :

« Il faudrait quand même prendre une décision, madame Souaignot...

— Elle est déjà prise !

Oriane l'avait prévenue, elle n'avait pas envie de se battre. Sauf que là, cette vieille femme ne lui laisse pas le choix, et bien que cela ne lui plaise pas, sa patiente n'hésitera pas à...

A quoi en fait ?

Des idées morbides s'insinuent dans son esprit à une vitesse effrayante, et la colère, plus lente à venir mais tout aussi impitoyable, monte en elle.

Ses poings se serrent.

Pendant ce temps, la femme face à elle enlève ses lunettes pour plonger ses yeux clairs dans ceux bruns d'Oriane. Elle soupire avec une douceur que sa patiente trouve maintenant hypocrite :

— Vous faites ça pour M. Dussant, n'est-ce pas ?

Son visage se peint des couleurs de la compassion.

Non. Pas de la compassion. De la pitié. Celle qu'on a pour les bêtes de foire. Cette comparaison raidit encore plus Oriane, qui se tait pour ne pas hurler.

— Je sais que vous n'aimez pas ça mais... dit la docteure Javarbel en adoucissant encore sa voix pour n'en faire plus qu'un murmure. Il faut vraiment que vous le compreniez : il ne reviendra pas.

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