III-Où l'on apprend comment Iris est morte une deuxième fois

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Sergueï se leva de son séant, de plus en plus menaçant. Iris déglutit avec peine. Il était vraiment grand et musclé. Et elle, petite et faible, s'enfonçait par réflexe dans le canapé, comme pour s'y dissimuler. Malheureusement, cela rendait sa position d'autant plus précaire.

Le faucheur contourna le bureau lentement, sachant pertinemment que sa proie ne pouvait rien faire, sinon attendre. Puis, arrivé devant la jeune femme tétanisée et crispée, il se pencha, agrippa l'accoudoir d'une main, tandis que l'autre se posait sur le siège, juste à côté de la jambe d'Iris. Cette dernière eut un mouvement de recul, qui eut pour seul résultat de lui faire heurter maladroitement cet appendice fin et tout en longueur, sans doute parfait pour étrangler une jeune femme de vingt-trois ans. 

Un sourire se dessina sur les lèvres du tortionnaire, qui ne s'attendait pas à une telle réaction d'une personne si sûre d'elle. Mais après tout, nous sommes tous faibles face à la souffrance... Elle effraie, inévitablement. C'est aussi pour cela qu'elle est si vraie, mais surtout si révélatrice. Il essaya donc une nouvelle fois de convaincre Iris, entrapercevant une faille dans les défenses de cette forteresse :

— Alors, n'allez-vous pas vous repentir ? Ou au moins me révéler pourquoi vous avez été jusque-là ?

Iris releva le menton. Elle avait la langue bien pendue et refusait plus que tout de reconnaître sa défaite. Les paroles de Sergueï réveillaient son esprit de combattante, ce qui n'était pas du tout l'effet attendu... Décidément, son interlocutrice regorgeait de surprises.

— Non, trancha-t-elle sans hésitation. Faites ce que vous avez à faire, ajouta-t-elle même pour le défier.

Le brun hésita un instant, mais la jeune femme ne le vit pas, terrorisée comme elle l'était. La méthode était sans doute trop radicale, mais faisait toujours ses preuves, ce qui décida Sergueï. Il pressa délicatement ses mains autour du cou si gracile d'Iris, puis serra. Elle, elle le regardait dans les yeux, bien consciente que se débattre ne ferait que précipiter les choses. Mais, surtout, elle ne voulait pas se montrer faible, car révéler son refus de la souffrance indiquerait au faucheur que sa stratégie était la bonne.

Chercher à tuer quelqu'un qui ne se débattait pas donna en effet un étrange sentiment à Sergueï. Il comprit qu'il avait perdu, qu'on ne pouvait rien contre une telle détermination. Il eut envie de relâcher sa prise, mais tint bon, se rappelant de son devoir. Au bout de quatre minutes, notre héroïne s'évanouit. Après sept, elle mourut une seconde fois, succombant malgré elle à la force de son agresseur.

— Elle est étonnamment résistante, pour une femme de son gabarit, constata ce dernier avant de soulever Iris dans ses bras.

Elle se réveillerait à minuit dans un cachot : après tout, les morts ne pouvaient pas mourir, ou tout du moins, pas plus définitivement. Quant à cette idée de l'enfermer dans un milieu hostile, elle paraissait à présent nécessaire à Sergueï. La manière que la jeune femme avait eu de le regarder alors qu'il tâchait de lui ôter la vie valait tous les discours : il allait devoir employer des méthodes auxquelles ses confrères eux-mêmes rechignaient à recourir. Même s'il n'était plus certain que ce soit la bonne chose à faire.


*


Iris pressa nerveusement ses mains contre son cou, comme pour vérifier qu'il se trouvait toujours à sa place. Elle sentait encore les doigts de Sergueï qui resserraient leur prise, comprimant davantage son souffle et la précipitant finalement dans une inconscience salvatrice. La jeune femme ne parvenait pas à s'arrêter de trembler, même si elle savait qu'au fond, elle ne risquait rien. L'ironie de la situation lui donna envie de pleurer : elle désirait mourir, mais maintenant qu'elle avait passé l'arme à gauche, un regain de vitalité l'assaillait, et le simple fait de songer qu'elle aurait pu redevenir poussière une bonne fois pour toute la terrifiait. Mais n'était-ce pas légitime ? Iris avait fui sa vie d'avant. Son existence aux Enfers lui avait permis de se rappeler de ces journées passées dans l'insouciance. Elle aimait la présence d'Antoine et du maladroit Lucas, ainsi que de la souriante Ella, qui l'accueillait toujours à bras ouverts quand elle quittait ou rejoignait sa chambre. Malheureusement, l'arrivée de cette chauve-souris remettait en cause ces nouveaux acquis. Iris savait bien évidemment que cela ne durerait pas, qu'elle devrait bien rejoindre les champs Élysées ou le Tartare, mais elle s'était plu à croire que tout irait bien, qu'elle se créerait une routine sans danger, dans un endroit où elle ne risquait pas d'être reconnue. Certes, elle était toujours à l'abri, mais elle n'était pas certaine de rêver d'une existence de souffrances... Elle eut préféré qu'un faucheur aussi cruel n'existât pas ou qu'il ne se dressât pas sur son chemin. Mais Iris ne changerait pas d'avis, elle continuerait de résister jusqu'à ce que Sergueï lui-même abandonnât, car elle devinait que sinon, elle subirait bien pire qu'une fausse mort.

 La jeune femme chassa les larmes qui maculaient son visage à cette pensée. Elle ne pensait tout de même pas s'en sortir aussi facilement ? Cet homme était une épreuve à franchir, rien de plus. Et même si Iris venait de découvrir qu'elle se trouvait dans un cachot, elle songea qu'il y avait un lit, même petit, et qu'elle n'avait guère besoin de plus. Et, plus important, elle avait toujours sa voix... même si cette dernière aurait besoin de temps pour se remettre, après ce que le faucheur lui avait fait subir. Mais en réalisant que sa passion ne pourrait pas apaiser son cœur dans les prochains jours, notre héroïne ne put s'empêcher de s'abandonner de nouveau à la tristesse...

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