[0] Un Enfer sans flammes.

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☂ LUNDI 8 H 01 / JOUR 1

Je n'avais jamais posé un pied dans une école. Jusqu'à ce que j'y aille assez récemment. Il y a une première fois à tout. C'était le jour de ma première rentrée au lycée que je l'ai vu. Sans trop de doutes possible, je savais que j'avais entre un et deux ans de plus que toutes ces truites en surnombre devant moi. Et comme la plupart des Hommes qui naissent dans l'abondance, eux non plus n'avaient pas conscience de la chance que l'on avait d'être entouré de ces murs épais. Pour moi, c'était une première et j'entendais bien obtenir mon diplôme à force d'efforts considérables. Je n'avais qu'une intention : tenir ma promesse.

Toutefois, la vie nous réserve bien des surprises, je l'avais appris à mes dépends. Et une fois encore, elle allait me surprendre. Dans mon souvenir, il est arrivé comme une apocalypse de bon matin. Un bon matin ensoleillé où l'on se réveille sous un ciel de fin du monde. Il s'est installé dans ma vie si calmement sans s'apercevoir des dégâts et de tous les changements qu'il avait provoqué en moi. Ce fut imprévisible. Je ne pouvais réaliser combien c'était vrai, cependant, j'avais compris, dès que j'avais aperçu ses yeux se refléter dans la fenêtre vers laquelle il était tourné que ce gars ne serait pas rien. Pas rien pour moi.

Il pleuvait. Outre ses yeux, sa fatigue apparaissait pour lui donner un air un peu glauque, il n'était pas au meilleur de sa forme. Un voile de mélancolie ternissait ses orbes pourtant magnifiques. Une mélancolie profonde qui m'attirait. La couleur de ses yeux étaient remarquable. J'étais incapable de trouver le bon adjectif pour les qualifier. Dorés ou jaunes, opales ou ambres, acacia ou aneth. Ce n'était pas ce qui lui correspondait. Je n'avais jamais vu un regard comme le sien. Un regard qui était le seul à ne pas être dirigé sur ma personne à cet instant, alors que tous me jugeaient des yeux. Après tout, j'étais le nouveau, et ils attendaient impatiemment que je me présente.

- Livai Ackerman. Venez pas me faire chier.

Je pensais qu'en entendant ma voix, son attention aurait changé de sujet ; passant de la pluie ennuyante à moi, qui ne voulait qu'une chose : qu'il pose ses yeux directement sur ma personne. J'en étais frustré. Mais il n'en avait rien fait. Pas un geste, il était resté paralysé de la nuque, toujours son attention figée sur ce phénomène bien gris. Probablement, ne m'avait-il pas entendu. Ma présence n'avait aucune signification pour lui, pouvais-je l'en blâmer, alors que nous ne nous connaissions pas ? Je le pouvais. Je l'ai fais. C'était sans aucuns doutes irraisonné, mais le coeur a ses raisons que la raison elle-même peut parfois mépriser, on le sait tous.

Sur la trentaine de personnes qui m'observait comme un poisson dans son bocal rond, je n'avais vu que lui et il était le seul à ne pas m'avoir remarqué. Je l'ai senti, ce gars était spécial. En quoi ? Je l'ignorais, peut-être même me trompais-je. Mais ce fut le sentiment qui abritait mon coeur à cet instant étrange de ma première venue dans une salle de classe. Je me suis donc avancé pour m'asseoir derrière lui, à la table disponible. Quatrième rang, côté fenêtre. Il était au troisième. Je voyais son reflet de plus près. J'ai vu aussi son Enfer.

Jusque là, je pensais que l'on partageait tous le même Enfer. Pour rien au monde je ne croyais qu'il existait réellement sous nos pieds, mais si l'on devait donner un autre nom à nos sociétés d'arriérés, Enfer convenait. Seulement, il m'a fait remettre en question cette idée. Et j'ai alors compris que l'Enfer, il n'y en a pas qu'un. Il y en a presque sept-milliards-huit-cents-millions. Tous autant que nous sommes, nous sommes des Enfers. Présents sous différentes formes, certains se consument, d'autres consument les autres, certains sont froids, d'autres ardents.

Le sien n'était pas chaud. Il n'était pas brûlant. Il ne possédait pas de hautes et gigantesques flammes plus impressionnantes que des gratte-ciels. Il n'y avait pas une seule étincelle. Son Enfer à lui c'était les Enfers des autres. Et sans doute, Enfer rimait avec Solitude pour lui. Peut-être que cela s'accordait aussi avec Violence. Il cachait des vérités difficiles à supporter. C'était flagrant. Il était enfermé dans un Enfer étaux qui lui resserrait ses secrets et ses mensonges autour de sa gorge comme la corde d'un pendu. Et comme un pendu, il ne savait pas où mettre les pieds. J'ai compris qu'il avait besoin d'aide.

Devais-je la lui apporter ? Un sentiment de vengeance naissait je-ne-sais-où en moi. Le coquard noir qui entourait son oeil n'était pas de la veille et me donnait cette envie de me battre pour lui. Me battre je ne l'avais pourtant déjà que trop fait. J'avais moi aussi un objectif et aussi surprenante la vie pouvait-elle être, je ne voulais plus me battre et encore moins pour un gars que je ne connaissais pas. J'avais des responsabilités. Une promesse à tenir, des sacrifices à honorer. Je n'étais pas là par chance, j'avais forcé le destin. Je pouvais bien l'aider, j'en avais le pouvoir, mais je n'en ai rien fait.

De plus, je savais quelque chose à propos de lui. Je savais qu'il ne serait pas n'importe qui. J'espérais simplement qu'il ne me brise pas d'autant plus que je ne l'étais déjà. J'espérais qu'il ne soit pas trop important. Je ne voulais pas m'occuper d'un Enfer autre que le mien, déjà bien difficile à entretenir. Et je ne voulais pas devenir un Enfer de plus pour lui. Aussi beaux et sombres ses yeux pouvaient-ils être, je ne pouvais pas me permettre de le laisser être trop pour moi. Toutefois, je savais que je le voulais.

C'est dans ses yeux Tournesols

que j'ai vue qu'il était plus qu'un inconnu.

Et son Enfer mélancolique 

attirait ma curiosité.


SUNFLOWEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant