-Chapitre 1-

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(trigger warning: crise d'anxiété, scarification)

Le jour de mes 10 ans, ma mère m'avait offert un très joli carnet en cuir noir. Je me souviens encore de son sourire rayonnant quand elle m'a dit:

"Tu pourras y écrire tout ce qui te passe par la tête. Tous les moments qui sembleront importants dans ta vie. Prends en bien soin."

J'ai hoché la tête comme une idiote en souriant. J'ignore pourquoi ce souvenir me reviens. Je regarde le fameux carnet dépassant de mon sac. Je le prends, ainsi que le crayon qui tenait mes cheveux en place:

"6 novembre,

Ma main tremble, j'ai du mal à écrire. En rentrant du collège, j'ai vu mon père complètement effondré dans le salon. Il avait reçu un appel de l'hôpital. Maman a eu un accident. Elle revenait du travail quand son train a déraillé à cause du verglas. 

Je suis dans la salle d'attente.

J'ai peur. 

Je n'arrive pas à pleurer. 

Je n'ai pas envie de pleurer. 

Et les chaises en métal bleues sont trop inconfortables"

Je pose mon carnet et ramène mes genoux sous mon menton. En face de moi, une femme âgée feuillète un magazine, les commissures des lèvres serrées. À côté d'elle, un jeune garçon tape à toute vitesse sur le clavier de son téléphone en mâchant son chewing-gum. Un peu plus loin, un petit garçon chahute sur les genoux de son père. Ces personnes attendent elles aussi un verdict important ? Un souffle d'air me fait frissonner. Il fait tellement froid dans cette salle. Je rentre mes mains dans les manches longues de mon pull. Mes jambes tremblent sous mes chaussettes hautes et la jupe de mon uniforme. Je n'entend plus rien autour de moi, à par mon coeur qui semble battre dans ma gorge. Mes tympans sifflent. Au bord de la suffocation, je me lève et cherche mon père du regard. La femme à l'accueil ne me voit pas passer devant elle. Je marche au hasard. Perdue dans un couloir, je vois un médecin et mon père sortir d'une pièce. Je capte une bribe de leur conversation. Le médecin a une main posée sur l'épaule de mon père:

"Elle avait le bassin et la colonne vertébrale brisée, on ne pouvait plus rien faire. Désol..."

Je n'entendais déjà plus sa voix.

Les jambes tremblantes, je fais demi-tour et me dirige vers les toilettes. 

Il n'y a personne. J'ai le souffle court et ma vision se rétrécie. J'ai l'impression d'avoir des abeilles dans la tête. Soudain, j'ai peur de faire un malaise à cause de l'angoisse. Je me tourne vers le miroir. Une pâle inconnue suffocante me fixe dans la glace. Ses yeux gris avec ses paupières gonflés me fixent l'air de dire: alors, tu vas faire quoi maintenant ?

Je refuse que ce reflet m'appartienne.

J'abat mes poings sur le miroir. Le verre craquèle sous le choc. Je le roue de coups jusqu'à ce qu'il se brise en ce qui semble être un millier de morceaux, tombant dans les lavabos et par terre. Mes mains sont en sang. Un morceau de miroir crisse sous la semelle de ma chaussure. Sans réfléchir, je l'attrape et le contemple. La gamine dedans n'a pas changé, j'ai juste l'impression que le fragment de visage qu'il reflète est enfermé dans le verre. Je remonte ma manche. Et le plante dans ma peau. Mon coeur bat plus fort dans ma gorge, mais cette fois de douleur, pas de panique. Je m'écroule au milieu des morceaux de miroir et fixe celui planté dans mon corps. Sans le retirer de ma peau, je le remonte vers le creux de mon coude, puis en travers de mon bras. Mon sang gicle sur le sol et sur mon pull d'uniforme. La douleur et la vue de ma propre chaire luisante me donne envie de vomir, pourtant j'ai l'impression de ne plus être dans mon corps, de regarder la scène de l'extérieur. Le coeur au bord des lèvres, je lâche ma lame de fortune et me laisse tomber contre le mur, soudainement épuisée. 

C'est stupide. Je le sais bien. Si j'avais taillé plus profond je pourrais être en train de me vider de mon sang sur le sol des toilettes. Et ça ne ramènera pas ma mère. 

Consciente d'un coup de la situation, je me lève et passe mon bras meurtri sous l'eau, colorant de rouge le lavabo blanc. Un spasme de douleur me fais me mordre la langue. Merde je suis vraiment débile. 

J'enroule mon bras dans du papier toilette. Le sang imbibe déjà le bandage grossier. Mon coeur résonne comme un tambour et mes tympans bourdonnent. Je tire au maximum sur les manches de mon pull. Malgré la laine bleue marine, on peut distinguer quelques taches commençant à se former sur le tissu. Je sors des toilettes comme un zombie. Une infirmière se tient devant la porte:

"C'était quoi ce gros bruit ?"

Je tend mes mains abîmées vers elle, et la dernière chose que j'entend avant de tomber par terre, c'est sa voix criant à un médecin de venir.

13 années que tout me paraissait trop doux.

Trop parfait pour durer. 

Et je me complaisais dans ce confort. 

Maintenant je ne suis qu'un lambeau de ce qu'étais, et de ce que je voulais être. 

Je ne suis plus rien.

Je suis fatiguée.

Constrictor (Notice Me Senpai)Where stories live. Discover now