Fearless Knight

Erell

La Duchesse se retourna en entendant le claquement des portes de la salle s'ouvrir, puis se refermer pesamment dans un bruit de tombeau. Elle détestait cet endroit, plein d'ondes néfastes, ou par de simples mots pouvait se jouer jusqu'à une vie. La large table rectangulaire couverte d'une nappe aux couleurs de celles du Duché n'accueillerait pourtant pas aujourd'hui les conseillers d'Argan. Prévu pour héberger une dizaine de personnes, le lieu paraissait bien vide, et l'écho insupportable du silence créé par cette absence de foule résonnait aux oreilles d'Erell lugubrement.
Seren avait d'ores et déjà gagné son siège quand sa soeur se plaça dans celui de son époux, en bout de table.

Farell s'inclina brièvement, et, d'une tape sur l'épaule, rappela à Myrrdin -qui était totalement dans la lune- de faire de même. Erell soupira, et invita les deux retardataires à prendre place près d'elle. La Duchesse haïssait ces marques de déférence protocolaires que le Chevalier se sentait obligé de suivre. Elle ne voulait pas qu'on lui montre du respect pour son titre ou son rang, mais pour les actions qu'elle avait accomplies. Farell aurait pourtant dû le comprendre, lui qui s'était fait par les armes en surclassant tous les nobles arrivés là par piston. Il aurait dû comprendre sa volonté d'être reconnue par ses actes, et non par sa naissance.

Le Chevalier laissa Myrrdin s'installer à droite d'Erell, et lui même occupa le siège près de Seren. Il cala son épée, Haltys "l'implacable", contre le bois gravé de la table, posa ses mains à plat sur la nappe. Tout dans son attitude criait son impatience d'enfin débuter la séance, et surtout son désir d'aller directement à l'esentiel. Erell avait assez de coeur pour ne pas le faire languir, et parla sans attendre, se levant pour attirer sur elle l'attention :

- Aujourd'hui, je parlerais de deux choses : les tâches du jour, et les recherches concernant Argan, commença la Duchesse alors que Myrrdin se redressait soudain à la mention de son Parrain.

- Des nouvelles ? bondit l'adolescent, troublant l'atmosphère calme, avant de se rasseoir devant le regard réprobateur de Farell, piteux.

- Oui, et de quoi espérer, lui répondit Seren plus doucement, tempérant le Chevalier d'un sourire lumineux.

Farell soupira en la regardant, son expression cependant très légèrement adoucie. Myrrdin renfonça la tête dans les épaules : il allait se faire houspiller, le Commandant des Gardes était très à cheval sur l'attitude. Il disait que la manière de se comporter en société dans un monde tel que le leur définissait beaucoup de choses, jusqu'au droit de vie et de mort. Par conséquent, il exigeait de sa part une tenue irréprochable. "Pour le protéger".

- Premièrement, les tâches, rappela la Duchesse, les regards se tournant de nouveau vers elle. J'ai décidé aujourd'hui d'aller en personne récolter les impôts, comme le faisait Argan, afin de contrer l'influence de Glen, ou du moins de faire ce que je peux en ce but.

- Dame Erell... intervint Farell, sourcils froncés. C'est là une dangereuse décision, mesurez vous les risques que vous prenez ? Nous ne sommes pas à l'abri d'une tentative d'assassinat, et...

- Je le sais, Chevalier, le coupa la jeune mère, main en avant pour reprendre la parole. C'est pourquoi j'aimerais que vous m'escortiez, pour prévenir ce genre d'effets fâcheux qu'on les mots pleins de venin de Monseigneur Magrath, poursuivit elle en se rasseyant, les yeux rivés dans ceux du guerrier.

- C'est un honneur, accepta Farell en courbant la tête. Pardonnez ma réaction trop vive.

Seren eut un rire, devant le sérieux presque parodique dont faisaient preuve sa soeur et son voisin de table. Elle se stoppa cependant bien vite, et demanda plutôt, comprenant que le moment n'était pas à la plaisanterie :

- Ai-je un rôle, moi aussi ?

- Oui, et pas des moindres. Je te demande de superviser l'entraînement des gardes d'Estrefol, à la place de notre cher Commandant. Je sais que tu as toujours continué à t'exercer avec l'épée de Père, elle est dans tes bagages, lui apprit Erell sans lui laisser le temps de répliquer, alors qu'un rictus plissait sa lèvre supérieure.