Une guerre entre deux monarques, une tradition idiote de princesses enfermées dans leur donjon, une lutte intestine pour le pouvoir, un chevalier disparu, et de lourds secrets bien gardés dans un monde où les apparences ne révèlent pas toujours ce q...
Le bruit de l'auberge l'intimidait un peu, ou alors c'étaient plutôt tous ces hommes qui buvaient avec des mines plus très nettes. On peinait à entendre le son de la vièle dans tout ce tintamarre ambiant.
Personne ne remarquait Maureen, on passait à côté d'elle, on la poussait ou on lui grognait de rentrer chez ses parents, mais pas un de ces hommes ne sembla faire attention à elle plus que de raison.
L'adolescente se fraya un chemin jusqu'au comptoir, poussant les ivrognes et les femmes aux moeurs douteuses. Trônant en maître de l'endroit, se tenait un homme très carré d'épaules, à la légère barbe blonde et aux yeux couleur chêne.
Un torchon jeté sur le bras, il remplissait des verres et coupait du pain, tapant parfois sur le comptoir en bois de sa large paume, pour se faire entendre. Tout chez lui paraissait démesuré, et Maureen se sentit presque diminuer en croisant son regard. On aurait dit un géant, avec sa taille gigantesque et sa voix rocailleuse. Il se pencha vers elle, appuyé sur un avant-bras gros comme la cuisse de la jeune femme, et demanda, sans trop de brusquerie mais on voyait bien qu'il n'était pas famillier avec la douceur :
- Salut gamine, qu'est ce qui t'amènes ici ? C'est pas vraiment un lieu pour les jouvencelles. Tu m'as pas l'air du coin, avec ta frimousse toute blanche. Tu cherches quelque chose ?
Maureen décida de ne pas se laisser impressionner, même si elle aurait volontiers prit ses jambes à son cou, ne goûtant vraiment pas ce genre d'endroits. Mais avant qu'elle n'ait pu répliquer, une main de femme se posa sur son épaule, et apparut à côté d'elle une jolie brune, qui pointa un doigt accusateur sur le tenancier :
- Dis-donc Breval ! C'est impoli pour la demoiselle. Sers lui plutôt un verre, et ne pose pas de questions indiscrètes, elle a l'air d'avoir voyagé, finit elle sur un ton entendu.
Le géant pesta un peu contre son adversaire, plaida la curiosité, puis finit par poser devant elles deux chopes de bière légère au gingembre.
- Cadeau de la maison, grogna t-il avec rudesse alors que la sauveuse de Maureen lui faisait un signe de main railleur.
L'adolescente se retrouva donc attablée avec une femme dont elle ne savait rien, mais qui venait sûrement de la tirer d'une situation un peu délicate. Comment ne pas faire remarquer sa fuite ? Elle était couverte de poussière, décoiffée !
- Je suis Nessa, se présenta finalement sa sauveuse, en face d'elle, trempant les lèvres dans sa boisson.
À son tour, Maureen déclina son identité en veillant à modifier son nom de famille, observant son interlocutrice sous tous les angles. Un visage ovale à la peau brune, sublimé par de grands yeux noirs, un nez en trompette et une crinière de cheveux sombres et bouclés. Sa beauté envoûtante sautait au regard. La princesse demanda, timidement :
- Et... Vous venez souvent ici, Dame Nessa ?
La femme à ses côtés éclata d'un grand rire sonore, qui résonna dans tout l'endroit de manière charmante. Elle posa la main sur le bras de Maureen, un grand sourire aux lèvres.
- C'est bien la première fois qu'on me donne du "Dame" ! J'ai quoi, dix ans de plus que toi ? Je ne suis pas à l'article de la mort tu sais ! Trop tôt pour un tel respect ! Je travaille ici, pour Breval, le grand type à qui appartient l'établissement. Il paraît impressionnant, mais il est à peine plus vieux que moi, confia t-elle sur un clin d'oeil.
L'adolescente piqua un fard. Qu'est ce qu'elle se sentait idiote ! Parler avec les manières du château, ici ?! Elle allait se faire remarquer en quelques minutes et renvoyer dans son donjon. Il lui fallait jouer plus finement pour réussir à gagner ses quelques jours de liberté. Heureusement, personne pour l'instant ne pouvait que soupçonner son appartenance à la famille Royale de l'Ouest. C'était trop aberrant pour qu'on y songe !
Mais quand, bientôt, la nouvelle de sa fugue serait répandue... Elle devrait faire vraiment attention à elle.
Un regard suffisait pour comprendre qu'elle n'avait pas affaire qu'à des enfants de coeur.
- Quel genre de travail ? Le ménage ? demanda t-elle innocemment à sa protectrice de quelques instants.
Nessa eut un sourire, très grand, mais qui n'allumait pas jusqu'à ses yeux. Elle serra un peu plus fort le bras de Maureen.
- Non, pas vraiment... Disons que je lui rends des services en... Collectant des informations auprès de clients fortunés. Je m'introduit dans leur intimité, une nuit suffit, et j'ai tout ce que je veux savoir... Breval aime connaître les nouvelles tenues secrètes par la noblesse. Je suis son espion personnel, si tu préfères, avoua t-elle, et la lueur dans ses yeux n'avait rien d'angélique.
Maureen sentit son sang se glaçer dans ses veines. Cette femme vendait son corps et son honneur contre des informations tenues secrètes par son père le Roi ! Derrière cette ambiance normale d'auberge peu fréquentable, que cachait le parquet couvert d'alcool et les pierres neuves des murs ?
Qui étaient au juste Breval et Nessa ? Il apparaissait clairement que leurs rôles ne se résumaient pas juste à Tavernier et Prostituée.
Maureen, sur un sourire fabriqué de toutes pièces qui heureusement passa pour sincère, but une gorgée de sa boisson, bien que l'alcool ne soit pas assez fort pour lui faire oublier, aussi ardemment l'eut elle souhaité. Elle osait désormais à peine risquer un oeil par dessus sa choppe.
Dans quoi s'était elle encore embarquée... ?
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