Erell

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Furieuse, la Duchesse d'Estrefol descendit une à une les marches qui menaient à la salle du conseil, à grandes enjambées furibondes, sourde aux cris de sa Dame de compagnie, qui pourtant l'appelait d'une voix forte.
Les cheveux rouges d'Erell, semblables à des flammes et illustrant bien son état d'esprit, flottaient derrière elle. Sa robe de brocart vert, bien qu'impeccablement fermée, était encore froissée et rien ne couvrait son front nu, pas même la couronne qui seyait à son rang.

- Madame ! Je vous en prie, Madame, attendez ! Les médecins vous ont prescrit du repos, l'accouchement vous a épuisée ! s'essoufflait derrière elle la petite femme ronde qui s'occupait de ses tenues.

Mais rien à faire, bornée, la Duchesse marchait droit devant elle, sans considération pour son corps courbaturé ni ses muscles qu'elle sentait trembler devant l'effort fourni. Ses yeux verts, aussi clairs que les herbes de la lande, étincelaient, révélant toute l'étendue du feu interne qui en elle venait de s'allumer. Un trait noir sur les paupières, les soulignait et conférait à son visage une gravité effrayante.

Elle arriva rapidement devant les portes de la salle du conseil, et se planta devant les gardes. Il y avait là le Commandant Farell O'Donovan et un jeune garçon blond, nouvellement vassal au compte du duché, du nom d'Oen Lynch.

Farell, grand homme aux traits francs et au regard sombre, coiffé d'une crinière de cheveux auburn prématurément parsemés de blanc, s'inclina devant Erell, brièvement. Il ôta son heaume, familier avec la compagnie de la maîtresse des lieux, et remarqua :

- Déjà, Ô Dame d'Estrefol ? Si j'avais su que mon messager était si rapide, je n'aurais alors pas commencé à garder ces portes.

Un sourire flottait sur ses lèvres, malgré la gravité présente dans ses yeux si noirs. Pourtant âgé de vingt-cinq ans seulement, le Commandant des gardes d'Estrefol en paraissait le double quand on le regardait dans les yeux.
Mais Erell le côtoyait depuis trois ans, et ne fut pas vraiment freinée dans son élan par l'aura de force tranquille qui s'échappait du Chevalier en face d'elle.

- Je te suis reconnaissante de m'avoir fait prévenir, et t'en remercie, mais ce message aura été inutile si tu ne m'ouvre pas ces portes. J'aurais quelques mots à dire aux vassaux de mon époux, répondit elle simplement, avec un sourire en apparence aimable, pour lui montrer qu'elle n'avait vraiment pas l'intention de s'écraser devant ces messieurs.

Farell, à cette tirade, rit franchement. Il fit signe à Oen de s'écarter, et s'approcha de la Dame de compagnie de la Duchesse, qui restait un peu retrait, désapprouvant ce comportement.
Il lui fit un baisemain, le heaume calé sous le coude, avec un de ces charmants sourires dont il avait le secret, et qui mettait en valeur la grâce naturelle de ses traits.

- Mon Seigneur et ami, le Duc, m'a prié de rester ici afin de veiller sur la santé de son épouse. Je prends donc cette charge sur mes épaules dès aujourd'hui, et décrète que la Dame de ce château sait où sont ses limites, et est donc libre d'aller où bon lui semble tant bien sûr qu'elle ne s'enhardit pas à la pratique dangereuse de l'équitation, ajouta t-il avec un regard en coin en direction de la concernée.

Erell se contenta de croiser les bras, et de redresser le menton avec tout de même un léger sourire. Au moins, grâce au Commandant, elle se retrouvait plus libre, sans l'étreinte étouffante de ses médecins.

- Chevalier ? s'impatienta t-elle, car de l'autre côté de la porte les conseillers du Duc d'Estrefol commençaient innocemment à tisser leur toile, pour l'évincer du trône.

Farell arrêta de jouer les joli-coeurs et se tourna vers la jeune mère. Il tira son épée, introduisit le pommeau ouvragé de l'arme dans un espace creux de la porte, et la tourna comme une clé, déverouillant le mécanisme. Les battants s'ouvrirent dans un bruit de mécanique bien huilée.

- Oen, désormais personne n'est plus autorisé à venir nous interrompre, apprit le Chevalier au jeune soldat, retirant son arme pour la glisser de nouveau dans son fourreau.

Erell s'avança, d'un pas décidé malgré les douleurs qui parcouraient ses jambes, et le Chevalier, habitué sans doute à lire dans les mouvements grâce à son expérience du champ de bataille, le vit très bien. Toutefois, il connaissait la fierté de la Duchesse, et il ne voulait pas la froisser, encore moins devant ses gens.
Aussi lui tendit il un bras galant, faisant silencieusement passer le message de sa compassion envers elle.

La jeune femme s'y appuya avec soulagement. Les portes se refermèrent derrière eux, et elle se reposa sur lui plus ouvertement dans le couloir menant à la salle du conseil, une fois sûre que personne ne pouvait les voir.
Farell admira silencieusement le courage de cette femme. Il pouvait sentir à la manière dont elle marchait que la douleur irradiait dans son corps entier.

Il savait que l'accouchement s'était difficilement déroulé, après tout c'était à lui qu'on avait donné l'honneur de garder la porte de ce qu'il avait alors confondu avec une salle de torture en entendant les cris.

- Madame, êtes vous sûre que tout va bien pour vous ? demanda t-il finalement, brisant le silence qui s'était installé.

Elle tourna la tête vers lui, amusée. Le Commandant des soldats d'Estrefol remplissait à la perfection la tâche assignée par son Seigneur et frère d'armes, mais elle sentait presque autour de lui une aura guerrière. Il regrettait de ne pas être sur le champ de bataille avec le Duc, mais continuait de s'inquiéter pour elle autant que l'aurait fait Argan.
Sans doute était ce pour ça, d'ailleurs, que ce dernier avait consenti à renoncer à son ami le plus précieux le temps d'une bataille, sachant que son épouse serait autant en sécurité qu'avec lui même.

- Farell, répondit elle en souriant, adoptant une attitude moins formelle vu qu'ils n'étaient que deux. Il s'agit de mon enfant, et probablement de ma liberté que Glen et ses suivants menacent, sans même parler de l'honneur d'Argan. Mon repos, face à une telle cause, passe en second plan.

Le Chevalier inclina la tête sans réussir à cacher ses lèvres qui s'étiraient, tant il se sentait heureux d'être vassal de la Dame d'Estrefol. Il posa une main, celle dont Erell ne se servait pas pour marcher, sur la garde de son épée et déclama, d'un ton assuré :

- Vos paroles me remplissent de joie, nulle autre que vous aurait probablement laissé les choses se faire. Je suis heureux de vous savoir aux côtés d'Argan, et à la tête de notre duché. Soyez assurée de ma loyauté, et comptez sur mon appui et celui de mes hommes en cas de besoin, le Duc m'a aussi mandé de vous protéger. Si pour cela il faut attaquer les félons du conseil...

- Paix, ami, lui sourit la Duchesse en posant une main apaisante sur son bras. Vos serments renouvelés me sont précieux, mais je vais tâcher d'éviter tout conflit, surtout en l'absence du maître de ces lieux. Estrefol n'a pas besoin d'une guerre intestine, maintenir ses frontières est déjà bien assez éprouvant !

Mais Farell n'eut pas l'occasion de répondre, puisque se présentait à eux le bout du couloir et les lourdes portes de la salle du conseil.
Les reconnaissant, le garde de faction s'écarta vivement, et ils avancèrent sans problème.

Bien décidés à ne pas fléchir.

Bien décidés à ne pas fléchir

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Fearless KnightTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon