Dernière lettre

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Le 97ème jour du Solstice d'Hiver, an XX03

À : la pluie et le vent,
Le ciel gelé (Je pense que c'est la bonne adresse)

De : Al Spineart, 8ème du nom,
La Petite Tour, Aropolis,
Île de la Grande Arche

Chers éléments,

Je me trouve incroyablement ridicule à commencer ma lettre ainsi. Jamais ni le vent ni la pluie n'ouvriront d'enveloppe pour lire les traits d'encre qui y sont gravés. Ce n'est même pas pour ça que je les ai inscrits comme destinataires.

Non...

C'est parce que je leur laisse cette missive. Je leur offre. Je ne fais que profiter des éléments pour me libérer de ce poids que mes épaules ne peuvent plus porter. Tout comme je profite du Jour du Ciel Blanc, en vérité. Mais c'est bien pour ça que les avions décollent ce fameux 100ème jour après le Solstice d'Hiver, pour délivrer aux nuages les lettres qui ne peuvent pas avoir de destinataires. Et cette année, encore une fois, j'ajouterai un morceau de papier au florilège qui sera largué par les oiseaux de métal.

Larmes arrêtez de couler vous effacez les lettres ! Quoi qu'elle ne pourra jamais lire mes mots, autant les laisser dévaler mes joues.

Savoir que cette année, mon enveloppe volera en solitaire me fait si mal. Elle n'aura pas de jumelle, ne sera pas écrite au milieu des fous rires et des batailles de grimaces. Personnes ne remportera le concours d'improvisation d'éloquence, version âneries s'il vous plaît. Personne ne partira en expédition périlleuse pour dérober les cookies encore chauds, tout juste sortis du four.

Ô Petit Fleur, tu me manques tant. Pourquoi nous as-tu laissés ? Pourquoi es-tu partie ? Je suis si ridicule, je n'arrive ni à t'en vouloir ni à t'oublier. Mais après tout, tu nous as abandonnés il n'y a pas si longtemps, il me reste des jours et des semaines et tant de secondes sans toi. Je n'arrive pas à y penser. Dans le long tunnel mal dégrossi, rempli d'embûches et de cul-de-sac qu'est ma vie, tu étais ma lumière, mon guide. Tu sais, et tu es bien la seule à qui je l'ai avoué, j'ai toujours eu, enfin encore, peur du noir. C'est dans le noir que les monstres venaient s'attaquer à moi, quand j'étais encore un micro-pouce, avant que les Spineart ne deviennent ma famille et que Mam ne m'apprenne à me battre, pour que je me défende contre ces abrutis de sac-à-vins. Pourtant tu as ouvert la porte aux ténèbres. J'ai l'impression que l'air en est fait et que plus je respire plus je m'étouffe.

Te souviens-tu de cette nuit au champ fleuri, Solis ? Oh je suis sûr que toi aussi tu ne l'oubliera jamais. Je crois bien que jamais je n'ai vécu et ne vivrai un moment plus doux, plus simplement bon. Tout paraissait magique à la lueur des lanternes-à-lucioles que tu avais emmené. Je ne pouvais pas m'empêcher de goûter chaque ombre et chaque tâche de lumière qui me dessinaient ta silhouette.

On dit que les yeux sont le reflet de l'âme. En voyant les tiens, je ne pouvais qu'être d'accord. J'aime... j'aimais tellement voir les deux petites étincelles, qui les habitaient toujours, s'enflammaient plus encore quand je te contais des histoires sur les étoiles, les galaxies. Toutes ces histoires que tu t'empressais de chanter une fois que je les finissais, comme pour ne jamais les oublier.

Quand tu chantais, ou même fredonnais... le monde tout entier avait l'air de retenir son souffle, le temps avait l'air de vouloir arrêter sa course juste pour t'entendre. Je me souviens si bien de cette nuit là, la lune, ronde de bonhomie, semblait te bénir. Et les fleurs, ces milles fleurs que tu chérissais de toute l'étendue de ton cœur -faisant presque naître la jalousie en moi. Aujourd'hui, j'ai tellement honte d'avoir été si stupide ! Et tes milliers de délicates fleurs, qui embaumaient tes vêtements de leur parfum, ce soir là, semblaient sourire à ta mélodie et fermer les yeux, comme pour me faire écho, emplissant tout leur être de ta voix, de toi.

Et puis, gentiment, tu t'étais moquée de moi et de mes sanglots, nés à l'instant où j'avais compris que cette chanson-là parlait de moi. Puis on avait ris. Comme toujours ensemble.

Pourquoi avons-nous arrêté ? On riait tout le temps, tant et si bien, que tout le village nous reconnaissait ainsi. Certains devinaient même où nous étions, d'après ce qu'ils m'ont dit ! Pourquoi est-ce que nos rires ne s'envolent plus ?

Tu sais, sans toi, je ne suis plus rien. Je ne sais plus rire. Je ne sais plus comment être seulement de bonne humeur. Je ne sais plus vivre.

Quels étaient les mots de ta chanson déjà ?
Je ne remercierai jamais assez les étoiles pour m'avoir offert la chose la plus précieuse. Non, jamais, car elles m'ont mis la vie sous les yeux, juste à mes côtés.
Je rêverais pouvoir te dire ces mots à mon tour. Je rêverais pousser tes mains qui cacheraient tes joues rougies, ton sourire rayonnant. Ses mains qui étoufferaient ton rire doux comme le bruissement des vagues. Je rêverais me fondre ainsi dans ta joie embarrassée pour t'y rejoindre.

Grammy m'a dis qu'elle souhaiterai que je prenne sa place. Tu le sais, j'ai toujours voulu devenir Astronome à mon tour. Je nous voyais déjà. Toi, parée de tes fleurs préférées, ton panier d'osier chargés de bouquets, sous le bras, descendant les rues de pavés pour aller au marché. Moi, les yeux collés à la lunette d'observation, découvrant une nouvelle étoile et la nommant de ton nom, puis le soir je te présenterais une nouvelle facette du ciel.

Mais ça n'arrivera jamais.

Tu... Tu t'es endormie dans mes bras... Et... Et tu as... tu étais trop épuisée pour te réveiller.

Je n'ai plus jamais vu les constellations, qui vivaient dans tes yeux, briller. Ce jour là, les étoiles se sont éteintes. Et elles ne se sont jamais rallumées au dessus de ma tête.

Ne t'inquiète pas, je n'en veux pas à la Vie. Je sais qu'elle n'est qu'une amante fidèle et passionnée qui gâte sa Mort chérie de cadeaux. Et je sais que cette dernière en prend soin comme des biens les plus précieux.

C'est juste que... tu me manques ! Et je regrette tant, tant, tant de ne pas avoir pu t'offrir plus de temps ! Je t'aime tu sais. Je n'aimerais jamais personne comme je t'ai aimée. Mes nuits sont acides, mes larmes amères, plus rien n'a de goût. C'est comme si... oui, c'est comme si tout mon être s'en voulait et regrettait cet avenir que tu n'auras pas, ces souvenirs que porte mon cœur en solitaire. Tout me fait penser à toi, le plus petit bruit me fait te regretter, Solis. Tu n'as jamais quitté mes pensées. Mais tu étais splendide, et la Vie t'as offerte à son amante pour ta splendeur.

Je la comprends.

Ma Petite Fleur, ma précieuse Solis. Un jour tu m'avais dis que j'étais un soleil. Quoi qu'il arrive je grandissais et rayonnais et réchauffais toujours plus. Je te promets de continuer. Et je vivrai pour toi et je serais le plus grand et chaud soleil pour que le jour où je mourrai, où que tu sois tu pourras me voir briller !

Et alors, je te rejoindrais les bras chargés de présents et de souvenirs que je te partagerai et d'histoires que je te raconterai. Tu chanteras. On rira. Et le temps ne pourra plus nous être volé parce qu'en nous voyant, toutes les horloges, montres et pendules refuseront d'égrener les secondes. Je le sais, ça se passera ainsi. Je le sais car je t'en fais la promesse.

S'il te plaît, attends moi encore un petit peu.

Je t'aime.

Al.

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¡ Holà todo el mundo !

J'ai écrit cet OS pour le concours n°1 de AngePandemonium. Et je vous offre une version légèrement remasterisé car sans limite de mots ^^.

J'espère que ça vous a plus !

Rêves LucidesWhere stories live. Discover now