Rêves Lucides

Une bonne journée

Il est 9h du matin. Mon réveil a sonné il y a deux heures, comme d'habitude. Chaque jour, la même routine. Je me lève quand Don't Panic de Coldplay résonne dans le silence de ma chambre. Je m'habille en laissant tourner la musique. Enfin, quand je n'ai pas attendu la fin du morceau pour sortir de sous la couette. Je me lève donc, puis je vais dans la cuisine. J'absorbe un semblant de petit déj'. Je n'ai pas vraiment faim le matin. Je fais ma toilette et je prends mes affaires. Je n'ai pas besoin de préparer quoi que ce soit, je le fais toujours la veille.

Je m'en vais, après. Porte fermée à clé, mains dans les poches, direction la bouche de métro à côté de chez moi. Je ne mets mes écouteurs qu'une fois les portes automatiques refermées derrière moi et le long et pénible parcours de station à station commencé. Je ne sais pas pourquoi j'attends d'être là pour mettre de la musique dans mes oreilles. C'est une habitude.

Une fois à la bonne station, je sors, je remonte à la surface. J'ai deux rues à passer, puis 71 mètres à parcourir et je me retrouve devant l'établissement. Là, il n'y a plus qu'à suivre l'emploi du temps, chaque heure bien définie et encadrée par la vieille sonerie qui marque tous les moments décisifs de toutes les journées, de toutes les semaines, de toutes les années. Je n'enlève mes écouteurs qu'une fois installée à mon bureau. A midi, je mange au réfectoire avec Samaya et Oda. Parfois, un ou deux autres amis viennent avec nous. C'est rare.

Le soir, je refais le trajet du matin en sens inverse. Je vais acheter à manger à la supérette au coin de la rue, si besoin. Si ce n'est pas à la supérette, c'est chez l'un des restaurateurs qui peuplent ma rue. Il y a un très bon pizzaïolo et le japonais est incomparable. L'indien m'a un peu déçue par contre. Je rentre chez moi, je prépare à manger et je jette un coup d'oeil à mon agenda. Si la cuisson prends du temps, je vais directement me doucher. Sinon, je prends mon repas d'abord. Je fais aussitôt la vaisselle, s'il y en a qui ne va pas au lave vaisselle.

Sous l'eau, je réfléchie à ce que je dois faire pour le lendemain. Je prépare déjà tout mentalement et je commence à réfléchir aux travaux que je devrais rendre. Puis je m'installe à mon bureau et je m'active. Ensuite, je prépare tout pour le lendemain matin.

Je regarde parfois un film, une série, ou je lis, ou je fais toute activité qui me donne envie avant d'aller me coucher.

Puis je recommence.

Tout est bien organisé, bien ordonné, à sa place. Chaque jour, chaque seconde, chaque activité.

Mais pas aujourd'hui.

Aujourd'hui, je ne me suis pas levé quand Don't Panic a résonné dans mes oreilles. Je ne me suis pas préparée, je n'ai pas pris mon petit déjeuner, je ne suis pas sortie de chez moi. Je ne suis pas sortie de sous ma couette.

Je suis restée là. J'ai écouté Coldplay, puis j'ai écouté le silence. J'ai fermé mes yeux. Et apparemment, je me suis endormie. Peut-être ai-je souri dans mon sommeil ?

Je n'ai pas bougé. Pas aujourd'hui.

Des années d'emplois du temps ficelés avec attention. Tout jour, tout instant prévu et répété. Monotone et agréable. Monotone mais sécurisant.

Sauf que je suis là, allongée dans mon lit. Il est 9 heures. Je commence à avoir un petit peu faim. Le ciel est bleu. Je le vois au travers de ma fenêtre, je ne fermes pas les volets. Si je me penche un peu, je peux apercevoir quelques oiseaux voler tranquillement. C'est étrange mais j'ai presque l'impression d'être avec eux, légers comme le vent. J'hésite à mettre la Symphonie n°94 de Franz Haydn et de m'amuser à imaginer la tête que feraient les gens si je leur faisait écouter cette musique suffisamment fort.

Surprise.

Je vais bien. Je ne sais pas comment, pourquoi, ni quoi que ce soit. Mais aujourd'hui, ce matin, je vais bien. Tout va bien. Alors que je n'ai rien fait de prévu. Je suis en train de faire n'importe quoi. Je ne contrôle plus rien, je devrais paniqué. Je panique toujours quand il y a un imprévu qui gâche ma routine, normalement. Mais aujourd'hui, je suis bien.

Docteur Tambal serait contente, à mon avis. Elle me dirait que c'est souvent comme ça que l'on surmonte un traumatisme. Pendant des années, on subit les séquelles et puis un matin, un soir, un moment, quelque chose change et c'est fini. Enfin presque fini. Le plus gros est fait, c'est ça qu'elle me dirait.

Je pense que je vais mettre All Stars de Smash Mouth. Je ne l'ai pas écouté depuis l'aggression. Ça me rappelais trop le jour où l'on s'en ai prit à moi. On ne m'a pas uniquement confisqué mon portefeuille, dans cette rue là. Et puis, j'avais l'impression que ça me porterait malchance et qu'un autre drame, comme tout le monde dit, qu'un autre drame arriverait. Comme si c'était cette chanson qui l'avait provoqué.

Mais là, je pense que c'est une bonne manière de commencer la journée. En plus, j'ai envie de danser, comme ça ne m'étais plus arrivé depuis des années. Comme si tout mon corps était redevenu léger et qu'il pourrait bouger comme avant, avec un peu d'entraînement.

Sans m'en apercevoir, je crois que ça m'avait manqué...

C'est la meilleure musique pour sourire, à mon avis. Je verrais bien ce que je ferais après, en suivant mes envies, sur le moment.

Oui, je pense que c'est une bonne journée.