Chapitre 42 - Sans regret se quitter...

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Le cœur lourd, au début du printemps, Augustine commença à ranger ses affaires et à préparer ses cartons pour le déménagement. Dès qu'elle fut capable de marcher sans boiter, elle s'échappa de son donjon, un nouveau matin, avant l'aube. Son objectif : rejoindre le sentier sinueux et les troncs-jumeaux où logeait le portail. Elle espérait pouvoir à nouveau le traverser pour rencontrer Ninnie. Elle lui avait promis que tout irait bien. Elle lui avait promis qu'ils seraient saufs. Tous ! Quelque chose avait du mal se passer, ce n'était pas possible autrement. Quelqu'un s'était joué d'eux une nouvelle fois. Lorsque cette idée avait émergé de l'esprit d'Augustine, elle avait su, au fond d'elle, qu'elle était sur la bonne voie, une sorte d'intuition. Elle l'avait saisie alors au vol et en avait fait son cheval de bataille pendant sa rééducation. Au lieu de passer ses journées à déprimer, elle avait compté les jours jusqu'à sa prochaine excursion dans les bois.

Ce jour-là, la lumière crépusculaire ne teignait pas de gris colorés les bois, il n'y avait pas de brouillard non plus, juste un ciel gris et pesant qui menaçait d'exploser. Sac sur le dos rempli de deux gourdes et de quelques en-cas, elle partit pour sa matinée de randonnée. Le mot qu'elle avait laissé à sa mère était clair, précis... mensonger. Si Augustine lui avait indiqué exactement où elle allait et quand elle était censée rentrer, elle ne lui expliquait pas ce qu'elle allait faire dans la forêt et particulièrement à cet endroit des bois.

Après une marche d'une petite heure, Augustine s'assit sur une petite souche, face aux troncs-jumeaux. Elle attendit et attendit encore jusqu'à ce que la lumière déclinât, mais rien ne se passa. Jamais le portail n'apparut. Peu à peu, la jeune fille se résigna à n'avoir vécu qu'aventures imaginaires. Pourtant, elle laissa une lettre, en évidence, face aux arbres qui se mireraient pour l'éternité et qu'elle emballa dans un papier de fortune sur lequel elle écrivit :

« Pour Ninnie »

Savait-on jamais...

Un bruissement dans les ronces, derrière elle la fit sursauter. Le faisceau d'une lampe balaya les troncs, puis l'éblouit. Augustine se raidit. Discrètement, elle posa le pied sur sa lettre.

- Augustine, je t'ai enfin retrouvée. Mais qu'est-ce que tu fais ici ?

La voix de Marissa transpirait de soulagement. Elle étreignit sa fille un peu trop fort. Augustine se débattit légèrement pour pouvoir respirer.

- J'avais besoin de comprendre M'man. De rev'nir. De voir. Mais...
- Mais il y a des choses, sur Terre, qui restent mystérieuses même pour les scientifiques les plus chevronnés. S'il n'y a pas de hasard, comme j'aime tant le dire, tout n'est pas encore démontrable et explicable. Il faut souvent beaucoup de temps et de patience pour trouver une réponse possible à nos questions. Et parfois, il y en a même plusieurs. Je sais que tu as vécu quelque chose de compliqué ici et que tu n'es pas encore prête à m'en parler. Le jour où tu le seras, je serai là pour t'écouter.

Augustine passa sa tête sous le bras de sa mère. Marissa put ainsi envelopper sa fille dans une cape qui la protégerait du froid, l'hiver était long cette année. Elle lui tendit également une lampe. La jeune fille hésita à s'en saisir.

- Deux mois de séances de kiné, ça ne t'a pas suffit ?

Le chemin fut rude et long. La lune, dissimulée par un masque épais de nuages noirs, ne se montra pas. La forêt revêtait tout un apparat de sons glauques qu'Augustine ne savoura pas cette nuit-là. Trop de souvenirs, trop de questions, trop peu de réponses. Encore.

***

Peu à peu, les cartons s'amoncelèrent dans le salon de la petite maison ; un coin leur était réservé près du canapé. Augustine en déposa un dernier, contenant les ultimes livres de sa propre collection, sur une petite pile destinée à sa prochaine chambre. Elle soupira et sa gorge se noua. Elle n'avait pas envie de quitter sa région natale pour la capitale, une zone urbaine, sans véritable forêt, sans véritable âme, sans véritables amis.

Augustine Baudelaire - T.1 - Les disparitions mystérieusesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant